25 août 2014

Les 8 leçons belges d'Arnaud Montebourg (ou pourquoi ça n'arriverait pas chez nous)

Incontestablement, la démission d'Arnaud Montebourg du gouvernement Vals est un fait politique majeur. Pensez-donc : trois ministres (Montebourg, Hamon, Filippetti ) qui défient le président de la république et son premier ministre au nom des valeurs cela s'apparente à un bras d'honneur. Un gouvernement installé depuis 5 mois contraint au remaniement ministériel sans que la tête de l'exécutif ne soit à la manœuvre c'est la confirmation d'une crise, d'un schisme profond. Un président déjà au plus bas dans les sondages malmenés par des élus de son propre camp, le témoignage d'une perte de confiance du "peuple de gauche" dans celui qui est censé être son capitaine. Un désaccord profond avec le premier lieutenant dont on se demande s'il ne s'est pas trompé de camp. La mutinerie se déroule sous nos yeux, d'une petite phrase provocante à l'autre, d'une fête de la rose par ci à un tweet par là. Pire, en squattant les plateaux des journaux télévises ce lundi soir Montebourg et Hamon ont fort bien fait passer leur message : eux seraient fidèles à leurs engagements et veulent œuvrer à une reprise par la relance tandis que Francois Hollande et Manuel Valls trahiraient leurs électeurs et les intérêts français en sacrifiant la reprise sur l'autel d'une rigueur qui ne profiterait qu'aux entreprises. Déjà les analystes s'interrogent pour savoir quelle stratégie sera la plus gagnante tant sur le plan économique que dans la course présidentielle.  Il y aura donc un avant et un après Montebourg. Pour plus de détails je vous renvoie à mes confrères français.

Si la situation du gouvernement français est passionnante je voudrais surtout la confronter à nos débats belges du moment. On dit souvent que les belges adorent la politique française parce qu'elle est plus contrastée, passionnelle et exaltante que nos querelles communautaires. Je rencontre souvent des français qui n'entendent rien à la politique belge parce qu'elle serait  trop subtile, brouillonne, byzantine pour des esprits non-initiés. L'occasion est belle d'essayer de transposer la crise française et d'en tirer quelques enseignements. Une sorte de cours de politique belge pour les nuls (par nuls notez que je ne vise pas les français en particulier), un manuel de survie pour citoyen belge fraîchement naturalisé, ou un manifeste de la différence, parce que ce n'est pas parce qu'on parle la même langue qu'on peut forcément se comprendre. 

Leçon 1 : le ministre est tenu à un devoir de réserve. 
"Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne". La célèbre phrase est signée Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de la défense de François Mitterrand, fort en gueule et lui même démissionnaire. Elle illustre bien cette obligation de réserve qui s'impose à un membre du gouvernement. Un ministre ne critique pas ses collègues et ne met pas en cause la politique suivie. C'est vrai en France, pas en Belgique. Le principe de coalition vous autorise à critiquer les collègues surtout lorsqu'ils sont membres d'une autre formation politique et donc des concurrents électoraux à intervalles réguliers. Il est plus délicat de contester la ligne générale du gouvernement, mais on peut quand même  marquer sa différence lors de chaque grand débat politique pour autant qu'on ait l'intelligence de le faire avant la prise de décision (les contrôles budgétaires servent autant à susciter le débat idéologique qu'à trouver des économies réelles). 

Leçon 2 : le chef de gouvernement nomme ses ministres et peut les révoquer
C'est vrai en France où le Président de la République  nomme un premier ministre, lequel compose son équipe avec les ministres de son choix et peut les démettre à sa guise. Hors période de cohabitation ce type de décision se prend à deux, président et premier ministre constituant un tandem, ce qui semble avoir été le cas ici. En Belgique par contre ce pouvoir n'appartient pas au chef de l'exécutif. Officiellement c'est le roi qui nomme ses ministres. Officieusement ce sont les présidents de parti qui les désignent. Si demain un ou plusieurs ministres devaient être remplacés ce sont ces présidents qui désigneraient leurs successeurs et le premier ministre n'aurait pas grand chose à dire. En Belgique Manuel Valls n'aurait donc pas pu obtenir le départ d'une partie de son équipe : le(s) président(s) de parti(s) concerné(s) s'y serai(en)t sans doute opposé(s). 

Leçon 3 : un gouvernement doit être homogène
Là on rigole. En France il y a une certaine cohérence à être de gauche dans un gouvernement de gauche et de droite dans un gouvernement de droite (notez qu'il y a quand même régulièrement des exceptions). En Belgique dans des gouvernements qui sont par nature des gouvernements de coalition la notion d'homogénéité n'a aucun sens. D'ailleurs ce n'est pas parce qu'on siège dans un gouvernement kamikaze qu'on est soi même kamikaze,  ou suédois dans une coalition suédoise. 

Leçon 4 : on peut changer de cap en cours de route 
C'est le grand argument de Montebourg : constatant l'échec de sa politique économique François Hollande devrait oser un changement de cap. Ce virage politique serait d'autant plus justifié que de nombreuses voix s'élèvent pour condamner les politiques de rigueur, et qu'on ne peut rester sourd à ces appels. Un tel changement de cap est impossible en Belgique. Le cap est fixé dans un accord de gouvernement, on n'y touche plus. Plus la coalition est hétérogène plus l'équilibre politique est difficile à trouver et plus l'accord sera détaillé. Les belges n'aiment pas l'improvisation et face à un imprévu leur capacité de réaction est proche de zéro. 

Leçon 5 : un différend idéologique justifie de faire tomber un gouvernement 
Là on reconnaîtra à Arnaud Montebourg et Benoit Hamon un certain panache. Provoquer une crise gouvernementale sur une question de politique économique c'est quand même de la politique avec un grand P. Pour comparer on se rappellera qu'en Belgique on fait tomber des gouvernements parce qu'ils n'ont pas scindé un arrondissement électoral ou parce que le premier ministre n'a pas tout à fait dit la vérité sur la situation des banques que le contribuable est prié de sortir du pétrin. 

Leçon 6 : une démission ça vous relance une carrière politique
Tout le monde en France pense que Montebourg pense à l'élection suivante. Démissionner aujourd'hui c'est prendre ses distances avec Manuel Valls et se positionner pour la prochaine présidentielle. La démission comme tremplin ? Ce n'est pas Yves Leterme qui nous contredira. Oups, pardon. 


Leçon 7 : c'est toujours un peu à cause de l'Europe 
Là-dessus les hommes et les femmes politiques de toute l'Europe se ressemblent tous un peu. Quand ça va mal c'est toujours parce qu'il a fallu suivre les recommandations de la Commission Européenne et que celle ci bride la liberté des États. Bien sûr on évitera de rappeler que ce sont les Etats qui nomment les commissaires. 


Leçon 8 :  quand il pleut , il pleut 
L'image de François Hollande s'exprimant à l'Ile de Sein restera comme l'une des images fortes de la journée. Imperméable sur les épaules, visage ruisselant, soumis aux bourrasques, François Hollande n'est pas à son avantage. Là on reconnaîtra que les Belges ne sont pas mieux lotis que les Français : le climat serait tout aussi humide et  même un peu moins favorable. C'est la raison pour laquelle, en Belgique, quand on a un discours solennel à faire et qu'à fortiori  toute la presse du pays vous guette, on installe le pupitre à l'intérieur. 

24 août 2014

Le cadre de l'interview


















C'est une image furtive, au milieu d'un reportage de Télé Bruxelles. Dominique Dufourny accorde une interview sur les problèmes de sécurité dans le quartier Matongé à Ixelles. Derrière elle, la rotonde de la maison communale. Le batiment est immédiatement reconnaissable pour tout Ixellois qui se respecte, vous trouverez son histoire prestigieuse ici.

Un œil politiquement averti décodera facilement  cette image. Evidement le cadre n'est pas choisi au hasard. Dominique Dufourny aurait pu accorder l'interview dans son bureau, ou mieux encore, dans le quartier Matongé, qui est l'objet du reportage. En choisissant de se placer devant la rotonde qui accueuille les réunions du conseil communal, l'échevine lie son image à celle du batiment. Subtilement elle nous fait passer le message : la maison communale est son biotope, la commune d'Ixelles et Dufourny ne font qu'un. Pour les non-initiés à la politique locale Ixelloise, un petit rappel s'impose : Dominique Dufourny est première échevine, en charge de l'Etat-civil, du commerce  et des sports. Rien à voir donc avec la sécurité. Elle s'exprime  donc ici en tant que "suppléante" du bourgmestre Willy Decourty (PS) parti à l'étranger.

Le communiqué de presse sur cette problématique de Matongé  est d'ailleurs sans ambiguïté : il présente Dominique Dufourny comme "bourgmestre faisant fonction" et ne fait aucunement référence à sa qualité d'échevine. Si le terme "faisant fonction" renvoie d'ordinaire à un bourgmestre qui remplace un collègue devenu ministre, il prend ici une tout autre saveur. À l'issue de l'élection communale de 2012 Willy Decourty et Dominique Defourny se sont en effet " partagé" le maiorat : 2013-2015 pour le premier, 2016-2018 pour la seconde. En profitant des vacances pour se mettre dans la peau du premier magistrat Dominique Dufourny prend un peu d'avance et marque son territoire.     

Cette "technique du cadre" est un artifice de communication que maîtrise bien la plupart des politiques, parfois même inconsciemment : dis-moi quel décor tu choisis, je te dirais quelles sont tes ambitions. Ainsi, lorsque Laurette Onkelinx confirme officiellement qu'elle est candidate la première fois à Schaerbeek elle donne rendez-vous aux équipes de télé qui veulent l'interroger au parc Josaphat (et surtout pas à son cabinet ministériel), peu avant de devenir bourgmestre Jean-Michel Javaux accordait des interviews dans son jardin d'Amay, Charles Michel s'exprime volontiers depuis Wavre, et Olivier Maingain reçoit la presse au premier étage de la maison communale de Woluwe-Saint-Lambert. Dans la grande bataille de la communication politique, associer son image à un lieu c'est renforcer son ancrage local et garantir ses chances de conquérir/conserver son bastion. 

Revenons à Ixelles. Il y a quelques années je devais recueillir une réaction de Daniel Ducarme, alors personnage influent des  libéraux bruxellois et censé habiter Schaerbeek, où il est élu communal . Nous convenons par téléphone d'un rendez-vous. Quel endroit ? "Attendez je réfléchis". Ce sera finalement devant les étangs d'Ixelles. L'homme veille à ce que ces étangs soient derrière lui pour que ce soit  "joli" dit-il,  en réalité il souhaite surtout que l'endroit soit bien reconnaissable. Une fois la camera débranchée je lui demande s'il a choisi ce lieu par hasard ? "Vous savez bien que non". Daniel Ducarme, qui venait d'être blanchi dans un dossier fiscal, venait de me confirmer qu'il envisageait de faire son retour à Ixelles. La maladie en dédidera autrement. 

En choisissant les étangs pour arrière-plan Ducarme voulait faire passer l'idée qu'il était Ixellois. Dix ans plus tard,  en optant pour la maison communale, Dominique Dufourny est un cran plus haut : elle veut nous faire comprendre qu'elle est, déjà,  la première des Ixelloises. 





17 août 2014

Les lasagnes du commissaire

Cela remonte
à une quinzaine d'années. Je passais la journée à Liège pour fêter l'anniversaire d'un collègue journaliste. Avec une dizaine de confrères,  et après un long préambule apéritif (on est à Liège et entre journalistes), repas dans une trattoria connue des  liégeois de l'époque. On m'y avait recommandé les lasagnes du commissaire, et si mes souvenirs sont bons (15 ans c'est loin) presque toute la tablée opta pour la spécialité. Bien sur, il n'était pas  possible de connaître à l'avance les ingrédients  des fameuses lasagnes du commissaire, mais je me souviens que je n'avais pas regretté d'avoir suivi le conseil des habitués. L'anecdote gastronomique me revient en mémoire au moment où les négociateurs de la probable coalition suédoise doivent justement désigner un candidat-commissaire européen. A bien y réfléchir, le processus de désignation s'articule sur plusieurs étages. Chaque couche peut être analysée séparément mais c'est l'ensemble qui donne au plat toute sa subtile saveur. Et voilà que les lasagnes du commissaire se rappellent à ma mémoire gustative. 

Entendons-nous d'abord sur le temps de cuisson. La lasagne est un plat gratiné qui nécessite un four bien chaud et une cuisson longue. De ce point de vue la désignation du commissaire belge ne souffrira pas de précipitation. Les autres états membres ont tous déjà désigné leurs candidats. Pas la Belgique, formation du gouvernement oblige. On a d'autres casseroles sur le feu. Les noms des candidats commissaires sont dans un coin de la cuisine, mais pas d'urgence. Ils mijotent. 

Le cuistot responsable n'est pas encore désigné d'ailleurs. Si l'on s'en tient à la stricte orthodoxie légale c'est le gouvernement en affaires courantes (celui d'Elio Di Rupo)  qui devrait désigner le commissaire belge, lui seul ayant une existence reconnue. Le pragmatisme belge nous permet de confier cette tâche aux négociateurs du futur gouvernement (le duo Peeters/Michel). À condition bien sûr que les discussions ne s'éternisent pas. Jean-Claude Juncker a demandé à la Belgique d'avoir une réponse avant la fin août. C'est tard, car il risque de ne plus avoir y avoir beaucoup de choix dans les portefeuilles européens. C'est tôt car l'accord de gouvernement ne peut souffrir une cuisson aussi rapide. Or désigner un commissaire ou un ministre alors que l'accord gouvernemental  n'est pas encore bouclé c'est un peu comme servir le tiramisu avant la tomate mozzarella, ça brusque le cuisinier. 

Prenons les ingrédients. Trois noms circulent avec insistance  : ceux de Marianne Thyssen (CD&V) Karel De Gucht (open VLD) et Didier Reynders (MR). 

La première couche de notre lasagne est une question de sexe (ça relance l'attention du lecteur, ça, hein ?). Plus précisément de parité. Les autres états membres ayant choisis une armada de candidats masculins la petite Belgique serait bien inspirée de choisir une femme. Banco pour Thyssen alors ? "Il ne faut pas rire, c'est pas à la Belgique à elle toute seule d'assurer la parité" me confiait l'autre jour un observateur. Comprenez que la logique paritaire ne s'impose pas plus en Belgique qu'ailleurs. En revanche en Belgique nous avons inventé le sexe linguistique, et là, nous sommes habituellement plus rigoureux dans l'équilibre. D'abord en évoquant une forme d'alternance : Davignon, Van Miert, Busquin, Michel, De Gucht : francophones et néerlandophones se succèdent à ce poste. Comme Karel De Gucht vient d'enchaîner deux mandats (enfin, un et demi, soyons justes) il serait logique de confier la charge à un francophone. Cela l'est d'autant plus dans l'hypothèse où le poste de premier ministre pourrait échoir à un néerlandophone (coucou Kris Peeters). 

Deuxième couche de notre lasagne, le poids des partis de la future coalition. En fin de négociation c'est le moment délicat du partage des compétences. Ici, il faut sortir la balance de précision. La cuisine est une mélange de chimie et d'arithmétique. C'est au gramme près. 
Vous avez déjà entendu parler de la clef D'Hondt ? Bien. En Belgique il existe une règle non écrite qui veut que l'on applique la clef D'Hondt à la distribution des fonctions ministérielles. C'est un peu comme une recette de grand-mère que les formateurs se repassent sous le manteau. Personne n'est obligé de l'appliquer mais ça permet de se sortir des situations difficiles en évitant les improvisations et au final le dosage est toujours equlibré, ça satisfait l'appétit de tous les convives. Toujours d'après cette recette non-écrite le poste de premier ministre vaut 3 points. Les postes de commissaire européen, de président d'assemblée et de ministres, deux points chacun, et  les secrétaires d'état à un point permettent de rectifier l'assaisonnement. Vous prenez le nombre de points global (on parle beaucoup d'un gouvernement passant de 15 à 13 ministres) et vous commencez la distribution. D'emblée vous comprendrez que si le CD&V obtient un poste de premier ministre il lui est difficile de revendiquer aussi la commission (au revoir Marianne), et que si l'Open VLD veut la commission il doit abandonner la présidence de la chambre ( c'est Patrick ou Karel mais pas les deux)  et que le MR avec 5 ou 6 ministres a déjà atteint un score plafond. 

Si l'on s'en tient aux stricts équilibres électoraux c'est la NVA qui devrait empocher le poste de commissaire européen. Le problème est qu'on ne lui connaît pas de candidat valable  et qu' en optant pour un groupe eurosceptique au parlement européen les copains de Bart De Wever ont sérieusement amoindri leurs chances. Les nationalistes flamands ont des progrès à faire pour rendre leurs recettes digestes.  La lasagne  peut être légèrement épicée, pas excessivement pimentée. 

La troisième couche de notre lasagne nous ramène à la cuisine federale. Vous aurez compris que Didier Reynders à des chances d'être choisi. L'homme a indéniablement le profil (on notera d'ailleurs que Louis Michel ou Karel De Gucht sont comme lui passés par les affaires étrangères avant de devenir commissaires) :  l'expérience, les connaissances européennes, et il s'entend bien dit-on avec Jean-Claude Juncker. En l'éloignant vers la scène européenne Charles Michel assiérait son autorité sur le mouvement réformateur. Sauf que ce raisonnement est peut être un peu trop à court terme. Dans une coalition très flamande les libéraux francophones doivent présenter un vice-premier qui aura l'expérience et la carrure. Pensez-donc : les partis néerlandophones, en coalition au niveau régional, ne manqueront pas de se parler avant chaque kern. Il faudra décoder leur jeu et éventuellement y résister. On ne voit que trois réformateurs capables de faire le job : Didier Reynders, Charles Michel ou son père Louis. Laisser Didier Reynders partir à l'Europe c'est condamner la famille Michel à assumer seule la conduite du parti, l'opposition en régions et la gestion et du gouvernement fédéral. En d'autres terme privilégier les lasagnes du commissaire, c'est risquer d'être à court de légumes quand on attaque l'osso buco. Ça doit faire réfléchir. 
Je vous souhaite un bon appétit. 



PS : si des lecteurs liégeois peuvent me rappeler le nom de la trattoria et m'indiquer si elle existe toujours, merci à eux 





10 août 2014

L'économie, l'autorité, l'Etat de droit


La semaine écoulée vient d'être marquée par deux " sorties " que je voudrais rapprocher. D'abord celle du secteur Horeca  (hôtels, restaurants, cafés) qui s'inquiète de l'impact des caisses enregistreuses "transparentes" qu'on entend lui imposer. Cafetiers et restaurateurs s'insurgent, et étude universitaire à l'appui, annoncent que la mesure est destructrice d'emploi. Ensuite le patron d'une compagnie de charters prisés des vacanciers (Jetairfly)  annonce tout de go qu'il ne paiera pas les amendes qui lui sont infligées et que l'Etat belge serait en outre bien inspiré de laisser ses avions décoller dès 6 heures du matin.

Dans les deux cas ces prises de positions ont bénéficié d'une belle exposition médiatique. Elles sont basées sur le même argument de fond : laissez-nous faire des affaires, sinon c'est l'emploi qui trinquera. Elles interviennent, et ce n'est pas dû au hasard ( mais  j'en probablement à des conseillers en communication)  à un moment où les négociateurs du probable futur gouvernement discutent de politique économique. À lire ces propos on en viendrait à penser que l'intervention de l'Etat nuit généralement au bon déroulement du commerce et, les médias étant fort peu critiques en cette matière, l'idée fait peu à peu son chemin dans l'opinion que nos entrepreneurs contrevenants n'ont pas tout à fait tort. Il se pourrait même que certains partis de la future coalition, qu'on dit plus proche des entreprises que jamais, soient prêts à relayer leur doléance.

Je voudrais appeler un chat un chat, et un contrebandier récidiviste est un hors-la-loi. De quoi s'agit-il au fond ? Dans le cas du secteur Horeca de patrons qui emploient ouvertement de la main d'œuvre au noir. En clair des entreprises qui fraudent la sécurité sociale et éludent l'impôt. Le personnel de ce secteur se retrouve donc sans protection sociale, alors que l'Etat (donc les contribuables) est appellé à renflouer les caisses de la sécu, et que nous savons tous que le coût du vieillissement est un enjeu sociétal majeur. Laisser ce secteur travailler en dehors des lois est un encouragement à une forme de criminalité qui coûte cher aux travailleurs de ce secteur et à la société belge tout entière. Le principe de la sécurité sociale s'applique à tous (ou alors il faut avoir l'honnêteté de dire qu'on n'en veut plus et privilégier des assurances privées pour ceux qui en ont les moyens), et si tous en bénéficient, tous doivent logiquement y contribuer. Il ne saurait y avoir des entreprises au dessus des lois sous prétexte qu'elles nous servent un petit café en terrasse. 

Pour les compagnies aériennes le raisonnement est sensiblement comparable. Si la région Bruxelloise édicte des règles (ici des normes de bruit à ne pas dépasser) c'est évidemment pour  les faire appliquer. À charge pour les entreprises de s'équiper en avions moins bruyants (ça existe) ou pour les autorités aéroportuaire d'emprunter des routes compatibles. On rappelera que le survol de Bruxelles n'est pas une absolue nécessité, des routes aériennes contournant la capitale existent, il suffit de les emprunter. Certes  l'opposition entre les intérêts de la Flandre et de la Region Bruxelloise  rend ce dossier legerent plus complexe, mais entendre un patron dire qu'il ne paiera pas ses amendes est particulièrement choquant. 

Poussons le raisonnement. Demain une entreprise de  transport refusera de respecter le temps de pause de ses chauffeurs et la limitation de vitesse à 90 km/h pour les poids lourds ; mauvais pour ses affaires donc mauvais pour l'emploi. Nous supprimerons l'obligation de porter un casque et des chaussures de protection sur les chantiers. Mauvais pour les affaires donc mauvais pour l'emploi. Mc Donalds ne devra plus se soucier des règles d'urbanisme pour installer ses enseignes publicitaires ; mauvais pour les affaires donc mauvais pour l'emploi. Nous n'interdirons plus la vente d'alcool ou de tabac aux mineurs ; mauvais pour les affaires, donc mauvais pour l'emploi.  Nous ne découragerons plus le boulanger de faire travailler ses employés de 3 heures du matin, heure du premier pétrin, à 19h, heure de fermeture de sa boutique. Etc.

Le principe fondateur  d'un Etat est de permettre aux citoyens qui l'habitent de cohabiter le plus harmonieusement possible. Pour permettre aux intérêts divergents de s'exprimer sans nuire  cet État  (plus précisément le législateur) édicte  des règles. Si elles sont mauvaises on peut les contester (les élections servent à cela en démocratie) et les changer. Appeller à s'en affranchir est le plus mauvais exemple que le monde des affaires puisse nous donner. Ce que nous avons lu et entendu cette semaine est l'œuvre de patrons voyous qui tentent de faire pression sur les négociateurs de la coalition suédoise  pour défendre leurs seuls intérêts. Faire levier sur l'opinion publique est habile mais ne légitime pas l'appel à l'incivisme. En Europe l'Etat régule l'économie. En position d''arbitre il veille à l'équilibre global mais reste l'émanation des citoyens et non le bras armé des entreprises.

Je ne voudrai pas être excessivement moralisateur, mais l'enjeu est de taille : il oppose les dividendes des actionnaires au bien-être collectif. On espère que quelques négociateurs resteront sourds à ce type de déclarations entrepreneuriales ou simplement lucides. Une entreprise qui triche, comme un citoyen qui triche, doit être sanctionnée. C'est une question d'équité. On ne peut pas prétendre appliquer la justice et respecter l'Etat de droit quand l'appel à contourner les règles vient des plus puissants. 

01 août 2014

Super Laurette sera cheffe de groupe

On savait déjà que Laurette Onkelinx ne monterait pas au gouvernement Bruxellois et qu'elle se profilait comme nouvelle cheffe de l'opposition fédérale si les négociations kamikazes/suédoises aboutissent positivement.
On savait qu'elle cumulerait la fonction de vice-présidente du PS à la présidence de la fédération bruxelloise, comme l'avait fait avant elle Philippe Moureaux.
On savait que la présidence de cette fédération n'était pas du tout honorifique, et que c'est au contraire un poste éminemment stratégique, qui peut concentrer un pouvoir considérable si on l'utilise intelligemment  ( Yves Goldstein, chef de cabinet de Rudi Vervoort et  secrétaire du gouvernement bruxellois  est un proche de Laurette Onkelinx, et rien -ou presque- n'échappe à son radar).

On savait que Laurette Onkelinx avait l'ambition d'en découdre avec la future probable majorité kamikaze/suédoise, ses interviews au Soir ou à la Libre Belgique ces dernières semaines ne laissant planer aucun doute à ce propos.

Ajoutons une précision, confirmée auprès de  plusieurs sources socialistes : Laurette Onkelinx mènera ce combat en tant que chef de groupe à la chambre. La décision en a été prise il y a quelques jours.  Cela pourrait paraitre comme une évidence mais cela ne l'était  pourtant pas. L'hypothèse d'avoir un autre chef de groupe a circulé ces dernières semaines et Laurette Onkelinx s'est bien gardée de communiquer elle-même sur la question. Les socialistes auraient pu maintenir le chef de groupe actuel André Frédéric ou opter pour un nouveau visage (des personnalités comme Karine Lalieux, Ahmed Laaouej ou Willy Demeyer siègent à la chambre), cela n'aurait pas empêché la vice-présidente de prendre la parole pour les sujets qui comptent.  Certains ont même envisagé que ce soit Elio di Rupo lui-même qui tienne le rôle.

Un poste pas du tout honorifique puisqu'il donne le droit d'assister à la conférence des présidents et au bureau de l'assemblée, instances qui fixent l'ordre du jour des travaux, convoque les ministres, détermine les temps de parole,etc. Avec ce statut de présidente de groupe Laurette Onkelinx se donne les moyens d'être informée en temps réel et de pouvoir peser immédiatement sur la vie politique dans l'hémicycle. Elle confirme que le duo fédéral qu'elle forme avec Elio Di Rupo est reconduit tel quel dans l'opposition. A Elio les grands discours, l'image d'homme d'Etat et le capital empathie. A Laurette la pugnacité et la combativité.

On notera au passage que si le groupe PS ne compte que 7 femmes sur 23 élus la direction du groupe sera entièrement féminine puisque Laurette Onkelinx fera équipe avec Emmanuelle Dardenne qui continuera d'assurer le secrétariat politique (soit le pilotage au jour le jour) du groupe PS, un poste qu'elle occupait déjà sous la législature précédente ce qui lui confère une certaine "habileté procédurière" et surtout des contacts utiles avec les autres groupes me confiait un observateur d'une autre formation.

En occupant ce poste la présidente de la fédération bruxelloise signifie aussi qu'elle a toujours de l'appétit pour le fédéral et qu'elle reste une candidate très sérieuse si la succession d'Elio Di Rupo devait s'ouvrir un jour.  Ce vendredi la direction du Parti Socialiste ne souhaitait pas confirmer cette désignation. Tant que le gouvernement en affaire courante est en place Laurette Onkelinx reste en effet vice-première ministre. Son élection à la tête des députés socialistes n'interviendra qu'une fois que le gouvernement Peeters est sur les rails.