26 janvier 2015

La rébellion n'est pas une provocation

Rébellion : action de se rebeller ou de se révolter contre l'autorité. Le peuple grec en votant massivement pour le parti Syriza a émis un vote de rébellion. 

Pour comprendre la portée du phénomène il faut se rappeler que Siryza est au départ une petite plateforme de formations d'extrême gauche, fondée en 2002. On y retrouve des militants communistes, des écologistes radicaux, des euro-sceptiques. Un cartel qui ne recueille la première année que 3% des voix,  13 députés en 2009, 50 en 2012,150 aujourd'hui. Première  force politique de Grèce, les rebelles viennent de prendre le pouvoir. 

La rébellion c'est la colère et le désir de changement,  dirigé contre une autorité ou une situation. Dans le cas de Syriza, on se rebelle contre la politique d'austérité. L'ennemi de Syriza est autant intérieur (les partis traditionnels qui ont conduit la Grèce au chaos) qu'extérieur : ce sont les créanciers, donc les banques, et surtout les autorités internationales qui ont imposé une programme d'économies drastiques. Couper dans les dépenses, licencier des fonctionnaires, diminuer les salaires, rogner sur les dépenses sociales : cela n'a pas relancé l'économie et des centaines de milliers de grecs ont basculé dans la misère ou la précarité.

 En s'opposant à la fameuse Troika ( qui réunit le fonds monétaire international, la banque centrale et la commission européenne)  et en désignant la rigoureuse Angela Merkel comme responsable des malheurs grecs, Syriza joue a la fois sur la fibre d'une  gauche authentique, sur la dénonciation d'un système injuste et  sur la fierté nationale. La rébellion c'est la volonté de dire non  à l'oppresseur. Mieux encore c'est le courage de dire que rien n'est immuable, au contraire de la soumission. Parce qu'ils renversent une montagne Alexis Tsipras et ses camarades ont transformé la révolte en espoir. Ils prouvent qu'en démocratie, c'est le peuple qui décide, pas les banquiers. 

Après voir dit non, il faudra bien sûr trouver une manière de diriger le pays.  Renégocier la dette, sortir des programmes d'austérité et tenter une relance par la consommation. Au niveau des programmes Syriza est proche du front de gauche de Jean-Luc Mélanchon en France, et ne serait pas très éloigné du PTB de Raul Hedebouw, même si lui ne soutenait pas Syriza mais une petite formation concurrente nettement moins moderne dans son approche (il faut toujours faire confiance aux marxistes les plus durs pour se diviser et s'ex-communier, c'est dans leurs gènes).  Imaginez Raul Hedebouw en passe de devenir premier ministre, vous comprenez que la rébellion grecque a des allures de révolution.

Ce matin je voudrais qu'on ne confonde pas rébellion et provocation. La rébellion implique une lutte, on s'y implique. La provocation, ce mot dont on a tant parlé ces dernières semaines à propos de Charlie Hebdo, pousse l'autre dans ses retranchements.  Les rebelles se fixent un but, les provocateurs peuvent vivre sans. Une provocation peut être gratuite, une rébellion ne l'est jamais. Les grecs se sont rebellés contre une politique financière. Les supporters du standard ont déployés, par provocation, une banderole dont on ne voit pas très bien ce qu'elle porte  d' autres valeurs que la violence et la haine de l'autre. C'est toute la différence entre les deux démarches. Le rebelle s'oppose et  finit par renverser. Le provocateur n'arrive qu'à diviser. 

25 janvier 2015

Pouvons-nous garder la mesure ?

Mesure :  moyen mis en œuvre dans un but déterminé.  Une mesure de police ou une mesure de justice, décision prise par la police ou la justice, une mesure gouvernementales,  décision du gouvernement. Depuis deux semaines nous parlons abonnement  de mesures de sécurité. C'est l'alerte de niveau 3  : policiers sur leur gardes, contrôles renforcés,  renfort des militaires.  Jeudi soir deux mesures supplémentaires ont été annoncées. La mise sous protection rapprochée de personnalités , hommes politiques ou magistrats, et l'annulation du festival Ramdam à Tournai.

Toutes ces  mesures ont pour ambition de prendre la mesure du danger pour y  répondre de manière approprié. Mesure signifie alors évaluation. Je prends la mesure de mon adversaire, je jauge sa force, sa détermination  pour pouvoir y répondre.  Il y a dans mesure l'idée de quantité. L'unité de mesure, qui nous permet de mesurer.  La mesure de musique, est un moyen de diviser la partition. On mesure une taille, en centimètre, une surface, en mètre carré, on peut même mesurer le temps avec une montre ou un chronomètre.  

La mesure c'est aussi la modération. Être mesuré se tenir à l'écart des passions, réagir avec calme, raisonner avec discernement. C'est la grande difficulté de la période que nous traversons. Par mesure de précaution, nous avons pris l'habitude de nous prémunir de tout. Face au terrorisme nous prenons donc un arsenal de mesures censés nous protéger. Quand on annule purement et simplement un festival de cinéma, la mesure est si forte qu'elle est pourtant sans commune mesure avec ce que nous connaissons.   Les autorités qui prennent la décision ont  leurs raisons, comme nous n'avons pas le même degré d'information nous ne pouvons que leur faire confiance. 

L'annulation d'une exposition, a Louvain La Neuve,  la fermeture d'un festival à Tournai, la présence de militaires en ville, sont des mesures exceptionnelles. Ce matin on ne veut pas, on ne peut pas crier à la démesure, parce que nous savons que l'heure est grave et les menaces réelles. La démesure c'est l'exagération, l'outrance, tout ce qui est disproportionné. Nous tâcherons donc de rester mesurés dans la critique. Juste pour rappeler, quand même, que si ces mesures d'exceptions deviennent la règle,  ce sont les terroristes qui auront gagné. Quand la peur étouffe la culture, la terreur prend la mesure de nos libertés. 

11 janvier 2015

Qui je suis...

 Je suis Fabrice Grosfilley. Depuis deux jours, je suis aussi Charlie. Comme des millions d'autres personnes, j'affiche ce slogan, mais je suis bien d'autres choses aussi. Je suis avec les manifestants de ce dimanche, mais je ne suis pas d'accord avec beaucoup d'entre eux. Si nous étions 3 millions à penser la même chose sur tous les sujets ce serait inquiétant. Je suis d'avis que condamner la violence autorise des compagnonnages dont je me passe en temps normal. En étant Charlie je veux dire qu'une mise à mort est le degré zéro de la civilisation, qu'elle nous ramène à l'homme de Neandertal, que le débat est la vie et que la vie est une valeur suprême qui dépasse toute opinion ou religion. 

Je suis citoyen français. C'est ma carte d'identité, ma formation, ma culture. Je crois aux valeurs : liberté, égalité, fraternité. Je veux qu'un homme égale un homme, quelle que  soit sa religion, sa culture, son éducation, son origine, sa richesse. Je veux écouter les autres pour les comprendre. Je pense que la différence est une richesse, pas un obstacle. 

Je suis d'éducation chrétienne. Je pourrais écrire que j'ai la chance d'avoir eu une éducation chrétienne. Même si par la suite j'ai mis beaucoup de distance entre la religion et moi. Je n'admettrais pas qu'on me demande si je condamne l'inquisition, les groupes anti-avortement, les militants de la Manif pour tous, les derniers propos de monseigneur Léonard, ceux de Benoit XVI ou même l'opus dei. Je n'ai rien à voir avec eux et je ne vois pas en quoi cela me concerne. Je suppose que pour les musulmans c'est la même chose. 

Je suis résident belge, depuis 20 ans. Je travaille, paye mes impôts, contribue au débat et à la richesse de mon pays d'accueil. On me fait parfois sentir que je ne suis qu'un étranger. Je me contente alors de hausser les épaules et je travaille plus encore, c'est ma manière à moi de voler le pain des belges. Je plaisante. Je n'admets pas qu'on me dise que je n'ai rien dire parce que je suis né ailleurs.

Je suis Bruxellois. D'adoption. Je pense que les Bruxellois ne sont pas assez fiers de la mixité de leur ville. Bruxelles c'est le New-York du vieux continent. 

Je suis père de famille. Je veux construire un monde de paix pour mes enfants et les enfants des autres. 

Je suis antiraciste. A l'école primaire mes meilleurs camarades s'appelaient Francois, José, Hakim et Mohammed. Je ne ferai jamais le tri entre eux. Je suis contre les discriminations. Je ne comprends pas que porter le voile, une kipa ou une croix vous donne moins de droits. 

Je suis critique. Je n'ai pas applaudi Charlie Hebdo au moment des caricatures. Je les trouvais inutilement provocantes et pour tout dire de mauvais goût. Elles ne m'ont pas fait rire. Cela ne m'empêche pas de dénoncer la violence et d'être solidaire. Je veux que chacun s'exprime sans être menacé. Je veux que le droit au blasphème fasse partie de la liberté d'expression. Je veux aussi que le droit de croire soit reconnu. Je suis pour la laïcité et pense que les questions philosophiques font partie de la sphère privée, et que ne s'expriment sur ces questions que ceux qui le souhaitent. 

Je suis journaliste. C'est mon métier et plus encore : un engagement au bénéfice de la société.  Ce n'est pas seulement un moyen de gagner ma vie. J'apporte la contradiction et tente de débusquer la langue de bois. Je mets mon modeste talent au service de la vérité et  donc contre le mensonge. Je refuse de faire la promotion des ennemis de la démocratie. Je suis responsable de ce que j'écris et de ce qui se dit dans mes interviews. 

Je suis rédacteur en chef. Pour la troisième fois dans ma carrière. J'assume la responsabilité de ce qui se dit dans les journaux et les émissions réalisés par ma rédaction. Je tente  de comprendre la motivation des journalistes avec qui je collabore  et je suis fier de leur travail. Je les couvre en cas de pression, je dialogue en cas de doute. Je doute en permanence. 
J'accepte la critique. J'accepte d'être  mis en difficulté, qu'on essaye de m'influencer, de me menacer parfois. C'est lourd. Je n'en tire  pas de gloire particulière. Je sais que j'exerce mon metier dans des conditions de confort et de sécurité que peu de journalistes connaissent. 

Je suis européen. Je veux me sentir partout chez moi dans l'union européenne. Je reconnais le même droit aux autres européens. 

Je suis citoyen du monde. Je suis fraternel avec tous les hommes et toutes les femmes. D'ailleurs je suis pour l'égalité homme/femme. Partout. Je suis Charlie. Mon identité ne se résume pas à cette manifestation. Mais l'émotion qu'elle exprime fait partie de mon identité, mon parcours, mes engagements. Je me reconnais dans ce slogan. Je ne m'y réduis pas. 

08 janvier 2015

Charlie Hebdo, quintessence de la caricature

Caricature :  représentation où on exagère les traits caractéristiques dans un but satirique. Le mot vient de l'italien caricatura qui veut dit charge. La caricature déforme la réalité.  Volontairement grotesque, laide, ridicule elle est utilisée dans un but humoristique ou à des fins de propagande. Les premières traces de caricatures remontent à l'antiquité, mais le genre connaît vraiment son essor avec l'apparition de la presse à grand tirage au début du XIXieme siècle.  Le premier grand caricaturiste c'est Honoré Daumier. Kroll, Dubus, Vadot sont nos caricaturistes d'aujourd'hui. 

Alors oui, la caricature est irrespectueuse. C'est sa raison d'être. Oui elle simplifie à outrance, oui elle est de mauvaise foi. Le verbe caricaturer nous éclaire bien : quand on caricature la position de l'autre, ça n'est pas très flatteur, ça veut dire qu'on manque de finesse ou d'honnêteté intellectuelle.  

Hier midi, je crois pouvoir dire sans caricaturer que la violence du coup nous laissa KO.  Stupeur, dégoût, incompréhension, compassion pour les victimes, colère contre les meurtriers. Ce matin encore il nous est difficile d'écrire  la tête froide. Écrire, dessiner, caricaturer, ce sont nos armes pour raconter le monde. Dénoncer des situations, exprimer des opinions,  c'est notre métier. Charlie Hebdo, journal fondé et dirigé par des caricaturistes en avait fait sa raison d'être et assumait d'être dans l'outrance, parfois dans le mauvais goût.

Parce que caricaturer ne doit pas nous empêcher de comprendre on rappellera que Charlie hebdo a publié, publie, et publiera encore des caricatures du prophète Mahomet. Dans l'islam on ne représente pas Dieu, c'est donc une offense. 
Ne caricaturez pas mes propos : comprendre ce n'est pas défendre et encore moins excuser. Cette pratique odieuse et lâche  qui consiste à régler tout débat par la Kalachnikov est une barbarie. Il faut que les meurtriers soient punis.  

 Il nous faut beaucoup de courage et de lucidité pour ne pas sombrer nous même dans la caricature. Ne pas oublier qu'il y a douze victimes, pas seulement des dessinateurs. Ne pas oublier que l'islam est dans son immense majorité une religion de tolérance, même si  une petite minorité la transforme en projet violent. Reconnaître que les jeunes radicalisés ne viennent pas de l'extérieur mais ont grandi chez nous. Comprendre que nous dresser les uns contre les autres est le projet des terroristes. 

J'ai peur d'être caricatural ou grandiloquent : c'est bien une forme de guerre qui nous est déclaré. Une guerre non conventionnelle, avec un ennemi invisible. On peut se crisper,  se méfier de tout et de tout le monde.  On peut aussi combattre la peur  et décider que cette guerre morale  c'est sur notre terrain, celui de la culture, de la liberté d'expression, du débat,  de la tolérance et  de l'humour, que nous allons la gagner.   

06 janvier 2015

La banalisation et Monsieur Z

Banalisation action  de rendre banal quelque chose qui au départ est rare ou atypique. La banalisation du golf par exemple c'est la démocratisation d'un sport autrefois réservé à une élite. Banalisation a un sens dans l'univers du marketing : quand un  produit ou une marque perd ses caractéristiques. Cela peut être volontaire pour toucher un marché plus large, cela peut être redouté aussi parce qu'on ne distingue plus le produit de ses concurrents. La banalisation d'une voie de chemin de fer, c'est un terme de cheminot, signifie qu'on la met en circulation alternée, tantôt dans un sens tantôt dans l'autre. Mais je m'égare comme on dit a la SNCB.

Vous vous en doutez, je vais vous parler de la banalisation des idées. J'ai été éduqué avec des principes simples et que j'estime universels :  les hommes sont égaux entre eux / les femmes ont autant de droits que les hommes / une couleur de peau, une religion, une condition sociale ou une opinion différente ne vous retirent pas le droit d'être mon égal.   

Aujourd'hui affirmer  que la place d'un femme est au foyer,  que les immigrés doivent rentrer dans leurs pays,  que l'homosexualité est une déviance  est  pourtant possible. La banalisation c'est entendre ou lire ces propos au café du coin, sur internet, à la sortie de l'église, parfois à la radio. Attention :banaliser  n'est pas légitimer. Les idées d'extrême droite restent d'extrême droite, même si elles se banalisent, c'est  tout le problème du jour. Le champion de la banalisation est Monsieur Z (Z comme zozo et non pas z comme Zorro comme il aimerait se présenter). Monsieur Z n'écrit pas très bien mais plus on cite son nom plus il vend ses livres. Il peut tout dire à partir du moment ou ça fait scandale. Monsieur Z aime la victimisation , il passe tous les jours a la radio et à la télévision mais il crie à la censure. Dans les années 70 ses idées aurait été clouées au pilori : réactionnaire, sexiste, raciste, on ne lui aurait pas accordé deux minutes d'attention. La banalisation est passé par là. Monsieur Z a droit à la liberté d'expression, il est devenu un phénomène.  

Il y a un danger à banaliser Monsieur Z, lui offrir des tribunes, l'écouter, l'interviewer. C'est faire croire que ses opinions sont discutables. Banaliser c'est prendre le risque de ne plus distinguer l'inacceptable. La force d'une démocratie c'est le débat. Mais ce débat n'est possible que quand il se déroule dans un cadre, qui sont nos valeurs communes. Quand Monsieur Z, ce Dieudonné triste, s'exprime, il cherche d'abord à casser le cadre. Deviser gentiment de politique avec un homme condamné pour incitation à la haine (c'est une vérité judiciaire) c'est un peu comme demander à un pédophile d'être le baby-sitter de vos enfants. Mais je suis sans doute fort sot de croire que quand on tient à ses enfants et à la démocratie on veille à leur bonne santé. 

Ce matin on a donc pu entendre sur une radio influente Monsieur Z  défendre son concept "d'halalisation" affirmant que les français ne se sentent plus chez. On a pu l'entendre répondre quand on lui demandait si il faut renvoyer les musulmans chez eux qu'il faut qu'on "arrête de lui demander des solutions" (entre nous l'Islam est une religion et non une origine géographique mais c'est trop subtil pour un journaliste approximatif). Il etait difficile de ne pas comprendre que oui Monsieur Z  fait le tri entre les bons et les mauvais français et que son vocabulaire châtié habille une pensée qui se résume à " les arabes dehors". On a pu l'entendre affirmer que le multiculturalisme détruit la France et même expliquer que le régime de Vichy n'était pas le mal absolu puisque  95% des juifs français n'ont pas été envoyés en camp de concentration "peut être pour de mauvaises raisons". En direct, à une heure de grande écoute, sans que ses thèses soient démontées. 

Vivre ensemble n'est pas un slogan. C'est une pratique. Faire le tri entre ce qui rassemble et ce qui rejette. Préférer ce qui nous élève à ce qui nous divise. La pire des banalisations serait d'y renoncer.

01 janvier 2015

L'année des 3 M

Je ne crois pas au couperet du premier janvier. Il n'y a pas un "avant" et un "après" l'année nouvelle, mais bien des évolutions, une continuité et des ruptures qui peuvent survenir à n'importe quel moment. La date, accompagnée d'une certaine torpeur de l'actualité est neamoins propice aux bilans et aux exercices prospectifs. Le marronnier journalistique perd ses feuilles en automne et fouille sa mémoire en décembre, c'est un rituel immuable. L'auteur de ce blog n'étant pas plus malin que ses confrères sacrifiera donc à la tradition : profitons du moment pour tirer un bilan, un arrêt sur image, une photographie instantanée. Mais puisque je ne crois pas que la césure soit si nette, jetons aussi un œil sur l'année à venir. 

L'année 2014 est d'abord l'année qui aura vu un francophone succéder à un autre francophone au poste de premier ministre. Avouons-le d'emblée : je n'aurai pas  parié sur Charles Michel en début d'année. Je pense que je ne suis pas le seul. Son accession à la fonction de chef de gouvernement fut une surprise majeure. Certes des contacts entre les libéraux francophones les sociaux chrétiens néerlandophones et la NVA existait. On a même pu voir au cours de la crise des 540 jours que des majorités alternatives pouvaient voir le jour à la chambre sur des projets précis. Décoder que cela préfigurait une coalition en bonne et due forme avait échappé à la plupart des analystes (même si l'auteur de ce blog fut l'un des premiers à écrire que la "kamikaze", comme on disait a l'époque,  devait être tentée). Charles Michel est donc une surprise. On retiendra l'image de son discours de politique générale à la chambre, ou lui même semble étonné d'être à la tribune, comme otage d'un destin qu'il ne maîtrise pas face à une opposition plus virulente que jamais. Le nouvel homme du 16 a pris depuis un peu d'assurance et d'autorité. Certes Bart De Wever reste dans l'ombre, c'est une évidence. Mais reconnaissons que sous le gouvernement précédent ce n'était pas non plus Elio Di Rupo qui faisait seul la pluie et le beau temps. L'époque des premiers ministres capables d'incarner l'ensemble de l'équipe dans le style Dehaene ou Verhofstadt est sans doute révolu, 2014 nous le confirme. Les première semaines du nouveau premier ministre furent catastrophiques : incapable de calmer la bronca parlementaire au risque d'en paraître inexpérimenté,  contraint de ménager la NVA au point d'en paraître l'otage, impuissant face à la crise morale que représentent des propos favorables à la collaboration au point d'en paraître sans honneur, timide  sur les projets de réforme fiscale au point d'en paraître sans boussole. La fin d'année fut bien meilleure. Il y eut d'abord ce premier accord entre partenaires sociaux, puis ce sentiment que la réforme fiscale devenait possible et que le gouvernement, sous l'influence du CD&V, lui-même sous la pression du syndicat chrétien, en revenait à une politique sociale plus équilibrée. Charles Michel a commencé comme premier ministre d'un gouvernement clivant, sous domination flamande, il sait qu'il doit devenir premier ministre de tous les belges si il veut réussir son pari. Cela impose de pouvoir tordre le bras de temps à autre à un Bart De Wever qui n'a rien perdu de sa force médiatique. 

De mon poste d'observation bruxellois, l'autre homme clef de 2014 est Yvan Mayeur. Officiellement bourgmestre depuis le 13 décembre 2013 le nouveau maïeur de Bruxelles a frappé fort dès la première année. Réformer la police, vouloir mettre des caméras dans les commissariats, confirmer les projets de stade et de réaménagement du Heyzel, lancer une vaste zone piétonne. Mayeur et sa majorité réforment à toute allure. Avec de la casse et des polémiques mais au final avec des résultats. Le dossier du feu d'artifice est assez emblématique : beaucoup de bruit, des prises de position partisanes, une presse pas vraiment favorable  mais au final des festivités populaires  bien visibles. Yvan Mayeur n'a pas que des amis et ses méthodes irritent. La forte représentation du syndicat liberal aussi bien parmi les policiers que parmi les pompiers bruxellois le chatouille. On notera pourtant  que Mayeur s'appuie sur un partenaire liberal pour avancer. On notera aussi qu'il commence médiatiquement à faire de l'ombre aux autres socialistes bruxellois : Rudi Vervoort et Laurette Onkelinx devraient commencer à s'en inquiéter. Si Freddy Thielemans incarnait un bourgmestre bon enfant dont le maiorat était une fin en soi, son successeur propose  un autre profil et pourrait nourrir une autre ambition.  

Le troisième M de cette chronique est évidement Paul Magnette. En devenant ministre-président wallon le bourgmestre de Charleroi monte d'un cran dans l'appareil socialiste. Il devient, si Laurette Onkelinx s'efface, un dauphin potentiel d'Elio Di Rupo. A la tête d'un exécutif Paul Magnette doit désormais traduire l'image d'une gauche moderne qu'il incarne dans un bilan. Ce ne sera pas le plus simple, il devra pour cela passer du verbe aux chiffres : la performance économique, le recul de la misère en Wallonie seront son vrai bilan. Surtout, son accession à la ministre-présidence en fait une cible de ses adversaires politiques. 

Observez-bien ces trois M en 2015. Mayeur et Magnette n'épargneront pas la NVA. De leur poste local ou régional ils incarnent la résistance socialiste au nouveau pouvoir fédéral. Michel leur répondra probablement en les rappelant à leurs devoirs légaux. Car ce que nous a appris l'année 2014 c'est surtout que la Belgique était passé d'un système de consensus à une politique de l'affrontement. Notre système autrefois basé sur la concertation et les compromis se rapproche du debat français avec vainqueurs et vaincus. En 2014 l'expression politique a du prendre ce virage qui permet de parler haut et clair et d'avoir des gouvernements politiquement cohérents. Elle a gagné en lisibilité ce qu'elle a perdu en subtilité, mais cela ne devrait pas déplaire au citoyen. 2014 est l'année des 3 M pour Michel, Mayeur et Magnette.. Mais aussi pour des Majorités Matures et Martiales.