29 mars 2015

Quand le CDH drague les déçus du MR , ou la revanche du pôle des libertés

Ce n'est pas encore l'appel solennel, franc et massif. Juste une petite musique qui s'installe peu à peu. Et si les déçus du mouvement réformateur se tournaient vers le CDH pour sanctionner les dérapages à répétition de la NVA, l'allié tout puissant auquel les réformateurs ont fait allégeance ? Ce samedi l'idée émerge de deux interviews que le CDH accorde à la presse écrite. Explicitement  dans le Soir avec Catherine Fonck  : " quand je vois les couleuvres qu’ils doivent avaler semaine après semaine"  glisse-t-elle avant d'ajouter que son parti a "la main ouverte". La cheffe de groupe donné même un nom au malaise des libéraux : celui de Renaud Duquesne, le fils d'Antoine, ancien ministre de l'intérieur qui confesse avoir mal à son libéralisme social.  L'appel du pied est plus allusif dans la Libre Belgique avec Benoit Lutgen : " j'ai annoncé que des personnes nous rejoindraient, il y a des personnalités politiques qui nous ont approchés mais je veux qu'elles nous rejoignent par conviction pas par opportunisme, j'ai connu ça dans l'autre sens, je reste donc prudent.."

On serait à la place des dirigeants du parti humaniste on agirait sans doute plus frontalement. La séquence de cette semaine illustre parfaitement l'ambiguïté du mouvement réformateur. Voici un parti démocratique qui se retrouve contraint de cousiner avec une NVA qui n'a pas la même histoire et pas la même rigueur morale. Pour Charles Michel l'équilibre à trouver est inconfortable : assumer la charge d'homme d'Etat et rester en phase avec ses valeurs (et on ne parle même pas de l'héritage paternel avec le fameux libéralisme social) d'un côté, maintenir la cohésion gouvernementale et permettre à chaque partenaire, NVA inclus, de s'exprimer de l'autre.  Les propos de Bart De Wever sont une entorse a l'antiracisme, tout le monde en convient. Le partage des rôles entre Olivier Chastel (président de parti) qui condamne et Charles Michel (premier ministre) qui avalise n'est pas des plus lisibles. Rappelons-nous qu'en pleine campagne électorale Charles Michel lui-même indiqué que  la NVA avait des "relents racistes" (c'était le 21 mai 2014 chez Bertrand Henne). Une fois installé au 16 avec le soutien de cet allié le premier ministre n'a plus la langue aussi libre, c'est une évidence. 

Il n'y a pas que le racisme et le populisme de la NVA. Il y a aussi le programme politique de la coalition. J'avais  déjà écrit dans un article précédent que le MR etait en voie de "droitisation". J'entends par ce mot une expression publique et une doctrine qui s'affirment plus franchement libérales que par le passé. Mettez les deux éléments ensemble : un estompement des valeurs morales et une plus grande radicalité des idées. Le Mouvement Réformateur sortira du gouvernement avec une image moins centriste que celle qu'il développait avant d'y entrer. 

Pour une partie de l'électorat réformateur ce compagnonnage embrassant et ce glissement idéologique peuvent devenir difficiles. Dans cette situation le CDH comme le FDF pourraient attirer un électorat de droite, mais pas trop. Un électorat à qui l'idée de faire la courte échelle aux nationalistes flamands donne des boutons. Un électorat qui se reconnait davantage dans le centrisme d'un Francois Bayrou ou le gaullisme d'un Alain Juppé que dans l'activisme de Nicolas Sarkozy. On peut pronostiquer ainsi la prochaine séquence : le MR renverra le CDH  et le FDF vers leur gauche, rappelant leur alliance avec le PS pour écarter le danger. Le CDH et le FDF cultiveront leurs caractères centristes pour s'élargir vers la droite et mettront en avant leur refus des compromissions (sur le racisme ou l'avenir du pays) pour attirer les brebis déboussolées. Et quand la FGTB, la CSC ou le PS tacleront le MR ce ne sera pas la gauche mais le centre qui en profiteront. 

L'allusion au passé de Benoit Lutgen est particulièrement révélatrice. Au CDH on a en mémoire les années 2003-2004. Quand Gerard Deprez puis Richard Fournaux avaient quitté le parti pour rejoindre le MR. A l'époque c'est Antoine Duquesne (le père de Renaud) qui avait lancé un appel à constituer un "pole des libertés" pour "créer une alternative au socialisme". La manœuvre n'avait eu qu'un succès  relatif : les libéraux avaient payé le prix fort en étant éjectés des majorités régionales par un PS qui s'était senti trahi un an plus tard.  Aujourd'hui l'idée  de lancer un "pôle  des convictions" pour "créer une alternative à la NVA et aux compromissions" apparaît comme une stratégie crédible. Le CDH salive a l'idée de prendre sa revanche. Même si les pôles, union ou tentatives de refondation du paysage politique sont rarement des réussites. 

15 mars 2015

Religion et citoyenneté : nous avons besoin de laïcité (à la française)

"Je suis moins radical que ma collègue du parti socialiste". C'est par cette petite phrase étonnante que Youssef Handichi,  député bruxellois du PTB, a pris ses distance avec Karine Lalieux samedi sur le plateau de l'émission "Les Experts" sur Télé Bruxelles. Un élu PTB qui se revendique moins radical que sa concurrente PS, diantre ! Nous parlions alors de cours de citoyenneté,  Karine Lalieux venait de se prononcer pour la suppression pure et simple des cours de religion. "Je veux la liberté pour les élèves, qu'ils puissent ou non aller au cours de religion, mais pas supprimer ces cours" a alors développé l'élu d'extrême-gauche. Visiblement le marxisme mode PTB s'accommode fort bien de l'opium du peuple.  

Il ne faut pas accorder une importance démesurée a cette déclaration de Youssef Handichi. D'abord le député régional participait pour la première fois à une émission de télévision, il a pu s'écarter de la ligne officielle par manque de préparation (la question du cours de citoyenneté n'est pas une matière bruxelloise  mais communautaire) combiné à une bonne dose de stress (votre premier plateau télé ce n'est pas rien). Et si en prime le PTB peut désormais s'ouvrir à des prises de paroles plus personnelles de ses élus, c'est le signe d'une évolution plus démocratique du parti.  

Je rapporte ce propos parce qu'il est toutefois emblématique d'un malaise qui traverse tous les partis : la difficulté pour les élus proches de la communauté musulmane (au sens des familles croyantes, mais aussi non-croyantes mais marquées par la culture musulmane) à condamner la religion. A l'évidence si Youssef Handichi ne veut pas la suppression des cours de religion c'est parce qu'il sait trop bien que dans son entourage on accorde de l'importance à l'enseignement religieux. On n'affronte pas les croyants impunément, parce que l'on sait que les consignes de votes négatives sont souvent suivies et  peuvent coûter cher. Mais aussi parce que l'on ne voit pas la nécessité de brusquer une communauté déjà stigmatisée et dont on est l'un des représentants. 

Prendre ses distances avec une religion ou une culture dont on est issu n'est jamais facile pour un élu. C'est prendre le risque de se brouiller avec ses électeurs mais aussi avec ses proches. Je connais beaucoup d'élus musulmans qui boivent du vin à table. Mais qui ne veulent surtout pas que cela se sache. "Ma mère le prendrait très mal" m'expliquent-ils souvent. Derrière la figure maternelle ou paternelle se cache la craindre d'être perçu comme "non-représentatif" et de tomber en disgrâce électorale. 

Ce dimanche un peu plus de 3 000 personnes ont participé au rassemblement "Together in Peace". C'est peu. Portée par les grands courants religieux et philosophiques, la manifestation de voulait une démonstration de tolérance entre chrétiens de toutes obédiences, musulmans, juifs et libre penseurs. Elle n'aura pas mobilisé énormément de monde. 

Trois jours plus tôt la cour constitutionnelle avait rendu un arrêt qui rend facultatif les cours de religion ou de morale dans le réseau officiel. La décision de la cour ébranle les fondamentaux (voir mon billet précédent) et incite le monde politique à agir vite. Il y a une fenêtre d'opportunité qui semblait impensable il y a quelques années : l'enseignement de la religion au sein des écoles publiques pourrait rapidement appartenir au passé. Une anomalie du pacte scolaire est donc en passe d'être  corrigée dans une relative indifférence, 56 ans plus tard après le vote de la loi au parlement fédéral. 

Si je  mets la déclaration de  Youssef Hendichi, la marche pour la paix et l'arrêt de la cour en parallèle c'est parce que ces trois information nous renvoient au débat sur la laïcité. Il y a entre belges et français une incompréhension majeure pour ce concept. La laïcité à la belge est un acte militant qui ressemble à la libre-pensée en France. Elle implique une forme d'hostilité pour ceux qui croient. La laïcité à la française a une tout autre définition : c'est le fait de réserver ses croyances et ses convictions à la sphère privée. On peut être un chrétien convaincu et militer pour plus de laïcité.  Si nous appliquions la laïcité à la française, personne ne devrait dire s'il est croyant ou pas, aucun élève n'aurait plus à se positionner entre cours de morale et cours de religion, la famille royale et les ministres éviteraient les déplacements à haute valeur symbolique à la côte du Vatican, et Youssef Handichi n'aurait plus à se positionner sur les cours de religion. 

Au risque de paraître donneur de leçons : la Belgique de 2015 a besoin de laïcité à la française. Pour que chacun prenne l'habitude de discuter des affaires religieuses ou philosophiques chez soi, au café,  avec des amis. Mais plus dans l'espace public en considérant que tout le monde doit le savoir. Et encore moins avec l'idée que je dois convaincre d'autres brebis égarées de suivre le bon chemin. La laïcité est un rempart contre l'obscurantisme. Une forme de discrétion qui facilite la politesse. C'est cette laïcité qui nous permettra d'éviter la surenchère, de lutter contre le déterminisme,  de monter des projets communs, de transcender les clivages. C'est cette laïcité qui nous permet de vivre nos convictions sans blesser les autres. Il y a dans la "laïcité à la française" une forme de pudeur et de retenue qui facilite le vivre ensemble. Je suis un citoyen avant d'être un croyant ou un militant. Je ne suis pas le porte-drapeau de la communauté à laquelle "on m'a confié".  Entendons-nous bien : ce concept de laïcité c'est bien le renvoi hors du débat public des convictions religieuses ou athées. Ce n'est pas la traque aux différences comme essaye de le faire croire l'extrême-droite française qui livre de la laïcité une interprétation militante et teintée d'islamophobie. 

Longtemps la société belge fut organisé sous forme de piliers : on entrait dans des associations de jeunesses libérales, catholiques ou socialistes, on adhérait au syndicat puis à la mutuelle du même pilier, etc. Cette organisation de nos vies sociales et citoyennes ne correspond plus au monde d'aujourd'hui. De plus en plus d'électeurs assument un comportement consumériste et passent d'un parti à l'autre en fonction du scrutin, les convictions  sont devenues moins fortes. Surtout nos trois pilliers ne laissaient guère de place aux citoyens belges musulmans qui ne se reconnaissaient dans aucun d'entre eux. L'affaiblissement des piliers facilitera le passage à une laïcité moderne et respectueuse des convictions de chacun. Mon medecin n'a pas à connaître mon orientation politique parce que je sors ma carte de mutuelle. 

Ramener les convictions de chacun à une place spécifique, hors du débat public,  c'est les ramener à leur juste place.  Nous n'avons pas à nous déterminer dans chaque débat  en tant que chrétien, musulman, juif ou athée. Être de droite, de gauche, conservateur ou révolutionnaire, humaniste ou dirigiste , cela devrait suffire largement à alimenter le débat. Laissons nos convictions philosophiques à la porte d'entrée. Lorsqu'on enlève ses œillères, le débat avec l'autre devient une évidence. 

13 mars 2015

Les cours de religion (ou de morale) facultatifs : révolution en vue dans l'enseignement officiel

Facultatif : qu'on a la liberté de faire ou pas. Ce qui est facultatif c'est ce qui n'est pas obligatoire. Le facultatif est possible, mais on a la faculté d'activer ou pas cette possibilité. 

Hier la cour constitutionnelle a reconnu le caractère facultatif du cours de religion. L'arrêt se base sur la convention européenne des droits de l'homme.  Pour celles-ci les jeunes européens ont droit à un enseignement neutre. Devoir choisir entre religion et morale ce n'est pas neutre. La cour s'inspire ici du concept de laïcité à la française. Mes convictions philosophiques relèvent de la vie privée, les rendre publiques doit rester facultatif. Les juges donnent donc raison aux plaignants Er à tous ceux qui les soutiennent. 

L'arrêt d'hier ne s'applique qu'aux écoles officielles, le libre n'est pas concerné. Le droit est désormais très  précis. Notre législation oblige communautés et écoles à organiser des cours de religion ou de morale ( conséquence du pacte de scolaire de 1959). L'arrêt interdit qu'on impose aux élèves de l'officiel de les fréquenter. C'est donc bien facultatif. 

L'histoire du mot facultatif est intéressante. Facultatif est l'adjectif tiré de faculté. Quand le mot apparaît, à la fin du 17ieme siècle, cela signifie quelque chose qui vous donne un pouvoir . Un diplôme  facultatif : un diplôme qui vous donne le droit d'exercer une profession. Facultatif est  alors lié à l'idée d'autorité. 100 ans plus tard le sens a changé. On est passé de la notion de droit à la notion de non-obligatoire. J'avais donc le droit de suivre un cours. J'ai désormais aussi le droit de ne pas le suivre. 

Ce matin les autorités de la fédération Wallonie-Bruxelles sont  face un à un sérieux problème d'organisation . Elles doivent se  préparer à accueillir des élèves qui ne voudrait plus  suivre un cours devenu facultatif. On voit bien le raz de marée. Des centaines d'étudiants  en salle d'étude et les enseignants de l'officiel contraints de faire du gardiennage. Depuis des mois hommes et femmes politiques discutent d'un cours de citoyenneté, d'histoire des religions ou de philosophie qui remplacerait, au moins pour moitié, le cours de religion.  Il est maintenant urgent d'organiser ce cours, de former les professeurs et de couler le tout dans un décret. La ministre de l'éducation pensait avoir du temps, elle n'en a plus. Réussir cette réforme n'est pas facultatif. C'est obligatoire. 

04 mars 2015

Pourquoi le gouvernement Michel tente de se recentrer

Corriger une image droitière, parer les coups venant de la gauche, désamorcer la grogne syndicale : voici ce à quoi le gouvernement de Charles Michel doit desormais faire face. Ces dernières semaines on assite à une vaste opération de recentrage. Cela ne va pas sans tiraillements. Le contrôle budgetaire dont on approche à grand pas devrait encore en être l'illustration. 

Résumons les derniers jours : trois tentatives de recentrage sont en cours.  Fin des allocations de chômages pour ceux qui aident une personne malade : recentrage acquis, la mesure sera revue. Obligation de chercher du travail pour les prépensionnés : patrons et syndicats sont d'accord pour adoucir la mesure, le gouvernement tranchera vendredi,  recentrage demandé. Indexation des loyers sans indexation des salaires,   mesure  jugée injuste par plusieurs partis, recentrage souhaité. Si le gouvernement recadre ainsi sa politique c'est parce qu'il se rend compte qu'elle passe mal, mais aussi parce que l'un de ses membres, le CD&V, réclame ces corrections sociales.  Le problème pour l'équipe de Charles  Michel c'est que toutes ces mesures apparaissent comme des "marqueurs"  de droite. La NVA de Bart de Wever y tient beaucoup.  Pour elle, se  recentrer c'est prendre le risque de devenir un parti comme les autres. Recentrer c'est reconnaître implicitement qu'on a été trop loin, et ,accessoirement, qu'on a mal négocié. La manœuvre s'annonce délicate.  On a trop souvent expliqué  qu'enfin débarrassée du parti socialiste la Belgique allait être enfin réformée et modernisée. Se recentrer est donc un aveu d'échec. Les politiques de droite pure et dure ne porteraient pas leur fruit ou seraient tout simplement inapplicables en Belgique.

Le recentrage, les sociaux chrétiens du  CD&V militent pour, la NVA est farouchement contre tandis que  les libéraux flamands de l'open VLD freinent. Le mouvement réformateur du premier ministre est en position d'arbitre. Dans les années 90 le MR se réclamait du libéralisme social. L'appellation permettait de corriger une image trop droitière et de tendre la main à l'électorat socialiste. Le recentrage en cours, qui rime avec virage,  est un peu un retour à la case départ.