26 juillet 2015

Destexhe : encore sous contrôle ?

On ne va pas revenir sur les propos d'Alain Destexhe, vous connaissez l'histoire (sinon jetez un œil à mes statuts facebook  précédents ou aux articles parus dans différents quotidiens). La sortie de l'élu MR avait irrité en haut lieu. Charles Michel et Olivier Chastel avaient fait part de leur mécontentement. Le président du MR fait  donc savoir  le 22 juillet au matin qu'il va avoir une conversation téléphonique avec l'intéressé. Il sera prié de la mettre en sourdine. Le mouvement réformateur fête le 21 juillet avec tous les Belges, quelles que soient leur origine ou leur religion rappelait-il dans un tweet.

Ce rappel à l'ordre a bien faillit tourner au vinaigre. Fin d'après-mid. Destexhe accorde en effet une nouvelle interview à la Libre. Antoine Clevers, journaliste de La Libre précise que les propos ont été tenus avant que Chastel et Destexhe ne s'expliquent. Précision bienvenue pour le député bruxellois, car dans le cas contraire cela aurait ressemblé à un bras d'honneur aux consignes de retenue, et le bon de sortie devenait inévitable.

Dans cet entretien Destexhe accuse la RTBF de faire intentionnellement le jeu du communautarisme. Qu'un élu attaque une rédaction dans son son ensemble voilà qui est rarissime et très peu libéral au sens philosophique du terme. Croire que cette rédaction a l'ambition de promouvoir le communautarisme est aussi crédible que d'affirmer que le 11 septembre n'a pas eu lieu : on est très proche d'une nouvelle théorie du complot. Daniel Soudant, administrateur MR au CA de la RTBF et Dominique Dufourny et Gautier Calomne (respectivement future bourgmestre et chef de groupe MR à Ixelles, et donc colistiers d'Alain Destexhe aux dernières communales)  ont pris bien soin de s'en distancier publiquement. Le communiqué des élus MR ixellois va bien plus loin que la communication présidentielle et annonce une réunion sur la question (il est dans les commentaires). A demi-voix  beaucoup de libéraux bruxellois se demandent s'il ne serait pas plus simple de dire au revoir au médecin du monde (blanc) et si on ne retrouverait pas autant de voix qu'on en perdrait dans l'opération.

Revenons à l'origine de la polémique. Destexhe ne supporte pas qu'une femme voilée puisse représenter la Belgique. C'est de l'islamophobie au sens strict du terme (qu'on ne vienne pas parler du droit à la critique d'une religion alors que c'est simplement le fait d'être musulman (e) qui provoque chez l'élu une réaction de rejet ) interview après inteview, post après post.
Pour rappel en 2012 déjà Alain Destexhe raillait les norvégiens et défendait une idée très blanche de la Belgique de papa (voir mon article de l'époque ci dessous). A force de répéter le même discours il faut se rendre à l'évidence. Ce n'est plus un dérapage, c'est un système de pensée.

Alain Destexhe, à force de lire Zemmour, est plus proche du Mischael Modrikamen que de Louis Michel. Si on lui demandait de choisir entre Marine Le Pen ou Alain Juppé on est pas sûr de la réponse. L'interview de ce mercredi soir est un acte de défiance. Parle toujours Olivier, ce sont les électeurs à la droite du MR qui m'intéressent.

Le texte ci dessus est adapté d'un statut Facebook du 22 juillet 2015. La vidéo ci dessous date de décembre 2014

06 juillet 2015

Grèce : si on mettait un peu de géopolitique dans le débat ?


Un réunion des gouverneurs à la Banque Centrale Européenne, un sommet Hollande-Merkel, un Eurogroupe, un sommet Européen. Les réunions s'enchaînent. Les déclarations se tendent. L'heure n'est pas à la conciliation. On somme les grecs de remettre des propositions concrètes et crédibles, on laisse entendre que le scénario de la sortie de la monnaie unique est l'unique voie envisageable, on annonce que s'il devait, par miracle, s'ouvrir une négociation, celle-ci serait longue et difficile. 
Ce sont les raidissements habituels des grands rendez-vous européens. La dramatisation nécessaire pour justifier qu'on s'enferme et qu'au bout de la nuit on finisse par cèder, sur tout ou sur un peu, au nom de l'intérêt général. Le Grexit reste une possibilité, crédible. Mais la réconciliation et l'accord a l'amiable avec programme de réformes et report de la dette en est une autre . 
A l'heure où j'écris ces lignes les petites phrases appellent à la rupture, la raison pousse au dialogue, et on ne sait pas de quel côté la balance penchera demain. On ne peut même pas exclure que la décision définitive ne soit repoussée à plus tard, pour donner le temps au nouveau ministre des finances de comprendre dans quelle moussaka il a mis les pieds. 

Côté journalisme on n' aura sans doute jamais autant parlé de finances, d'endettement et de relance. Les économistes ont pris possession des plateaux des journaux télévisés. Les reportages se multiplient, les directs aussi. Que l'on soit en faveur du oui ou du non on c'est bien de doctrine économique dont on débat dans les familles : rigueur budgétaire et réalisme d'un côté, relance par la dépense de l'autre. La " financiarisation " du dossier grec m'interpelle. Comme si la décision était uniquement budgétaire et ne pouvait avoir d'autre conséquences que celle de calmer ou agiter les marchés, de restaurer le crédit des États membres, de permette ou pas le redémarrage de l'économie grecque. 
Que les banquiers ne pensent qu'à l'argent c'est une chose. Que les politiques et les commentateurs raisonnent uniquement en Euros ou en dollars en est une autre. 

Sortir de la monnaie unique n'est pas qu'une question de créances à rembourser. C'est aussi une question de projet européen. L'appartenance à la zone Euro permet à un état membre d'être au cœur du système. En sortir c'est jouer en seconde division. Cela consacrerait l'idée d'une Europe à deux vitesses.
Pire, le retour de la Drachme signifierait un changement de frontière de l'union européenne. Cela vous semble farfelu ? Prenez une carte. Aujourd'hui l'union s'étend jusqu'au Bosphore. Des îles grecques (de la Crête, de Kos ou de Rhodes, nottament) nous ne sommes qu'à quelques miles nautiques de la Turquie, du Liban, de l'Egypte ou de la Lybie. La Grèce, comme Chypre, Malte et l'Italie était un point de passage des réfugiés Syriens ou Erytreens qui tentent d'entrer dans l'Union. Avec le durcissement de la politique européenne les réfugiés empruntent désormais une route terrestre qui passe plus au nord, via la macédoine et la Serbie. Si la Grèce n'a plus de raison (ni les moyens) de participer aux contrôles préparez vous à une autoroute de réfugiés qui viendra se jeter dans la mer ionienne. Les Italiens n'ont rien à y gagner. Et ça, c'est du concret. 
Exclure la Grèce c'est créer une poche de pauvreté alors que notre projet européen repose sur la promesse de prospérité. L'Europe aura failli, le rêve Européen ne mobilisera plus personne.  
Exclure la Grèce c'est redonner du poids à la Russie qui s'empressera de nouer des liens commerciaux privilégiés avec le potentiel futur-ex-état membre. 
Exclure la Grèce c'est ne plus avoir de moyen de tempérer ses relations parfois orageuse avec le voisin turc et prendre le risque d'une escalade aux portes de l'Europe. 
Ajoutez la présence de bases militaires (d'où croyez-vous que partaient les F16 qui frappaient la Lybie ?) et vous comprendrez que nos chefs d'Etat et de gouvernement feraient bien d'intégrer une bonne dose de géopolitique à leurs discussions financières. A moins que l'Europe, aveuglée par ses obsessions budgétaires,  ne se fasse, une fois encore  doubler par la Russie, la Chine ou les États-Unis... Cette fois-ci sur son propre continent. 



05 juillet 2015

Référendum : le combat des deux Aristote, ou le choix de civilisation


Quelque soit le résultat
du référendum ce soir, la consultation organisée aujourd'hui en Grèce marque un moment politique. C'est donc à cette république grecque, berceau de notre démocratie à l'occidentale, qu'il appartient de dire si oui  non, les peuples européens acceptent des programmes d'austérité économique au nom de l'orthodoxie budgétaire. Comme dans toute démocratie, c'est au peuple grec, et à lui seul, qu'il appartient de dire quelles sont les contraintes qu'il accepte d'endurer. Mais le débat déborde largement le cadre national, il suscite l'intérêt, l'enthousiasme, l'inquiétude ou la crainte. Nous avons bien compris que la question grecque donnera le "la" des prochaines années au sein du concerto européen.

Si le oui l' emporte, la politique économique européenne ne sera pas remise en cause. Il faudra faire avec l'effondrement probable d'un des états membres, le mettre sous perfusion, l'isoler de ses voisins et éviter la contagion. La métaphore est médicale : la Grèce est l'enfant malade de l'Euro, celui qui à force de se gaver d'une confiture à laquelle il n'avait pas droit est soudainement pris d'indigestion et soumis à la diète par le reste de la famille qui veut lui faire passer l'envie de recommencer. Le régime est d'autant plus drastique que la bêtise fut grande, quand on pique la confiture du voisin on ne peut s'attendre à ce qu'il vous en resserve. 

Si le non triomphe, Alexis Tsipras reviendra plus fort devant le conseil européen. C'est la logique de l'endettement des pouvoirs publics qui sera alors remise en cause. La découverte que les états membres peuvent s'affranchir de leurs obligations budgétaires et bancaires si leurs citoyens en décident ainsi. Depuis très longtemps les finances des États occidentaux vivent à crédit ce qui a pu laisser croire que le vrai pouvoir est dans les mains des détenteurs de créances. N'en déplaise aux donneurs de leçon : dans une démocratie le peuple a toujours raison. En cas de victoire du non il faudra bien que les créanciers consentent  a étaler les remboursements et à abandonner une partie des créances. Ce sera une leçon sévère ( le terme de correction n'est pas trop faible) pour les élites politiques économiques et bancaires (elles se mélangent souvent), qui oublient qu'elles agissent par délégation : le pouvoir qu'on leur confie dans le cadre d'une démocratie représentative (pour les politiques) ou dans le cadre d'un dépôt (lorsque je confie mes économies à la banque) n'est pas un pouvoir absolu et illimité dans le temps. Si le peuple ne comprend plus les politiques mises en œuvre en son nom c'est au minimum qu'on a manqué de pédagogie. Dans le pire des cas c'est qu'on a oublié de servir l'intérêt de ceux qui vous ont confié leurs suffrages ou leurs économies. 

Bien sûr le scénario du non  n'est pas sans danger. Il créera un précédent, d'autres états membres (dans la réalité presque tous) sont endettés et pourront bénéficier de la jurisprudence Tsipras. La zone Euro va s'affaiblir, perdre de sa crédibilité, le scénario d'un nouveau séisme bancaire n'est pas à  écarter. L'économie européenne sera moins puissante, peut être, mais c'est surtout le système bancaire et  monétaire mondial qui va tanguer.   A dire vrai il y a de quoi avoir quelques sueurs froides. Dans un monde où le voisin russe est ombrageux et où de vastes territoires du continent africain et du moyen orient  basculent dans les mains de  fous de Dieu (on écrirait bien fous tout court) nous aurions bien besoin d'une Europe forte, solide, unie. Le politique ne doit pas faire avec le monde tel qu'on le rêve mais avec le monde tel qu'il est. 

Depuis les années 1980 ce politique ne cesse de se soumettre aux demandes de l'économie. L'effondrement des grandes idéologies laisse la place à une interconnexion toujours plus grande. Faut-il continuer dans cette voie, parce que le marché assure la création de richesses, concourt à la liberté et que c'est bien le moteur de développement  le plus puissant ? Faut-il marquer un coup d'arrêt, que les peuples et leurs gouvernements reprennent le dessus et imposent régulation et contrôle ? Symbolisons le débat :  c'est Aristote l'armateur richissime (décédé en 1975, dont la fortune fut estimée à un milliard de dollars) contre Aristote le philosophe (qui dans l'Ethique à Nicomaque évoque la justice redistributive). On est pas loin du choix de civilisation. Il est assez savoureux que ce soit au peuple grec qu'il appartienne de trancher.