11 décembre 2016

Théâtre : l'acteur qui fait pétroler Pasolini

C'est une performance théâtrale. Une vraie. Tenir seul un monologue d'une heure n'est pas donné au premier acteur venu. Le faire en tournant autour des spectateurs et en vidant, seul, à coup de grandes rasades,  une bouteille de Pessac-Leognan, tout  en gardant une voix qui porte et une diction impeccable mérite d'être salué. Proximité, présence, rythme : Adrien Drumel est celui qui réalise la performance. Une quinzaine de spectateurs seulement assistent à sa déclamation. Physique de Jésus-Christ au torse avantageux, il capte le regard et laisse chemise et pantalon dans la mise en scène. Sa nudité finale (on le signale quand même pour les dames que cela intéresse ou les prudes que cela rebute) est presque anecdotique. Tout ici est au service du texte. Pas de décor ni d'artifices superflus pour nous distraire (la mise en scène est signée Frédéric Dussenne). 

Pétrole est un texte inachevé de Pier Paolo Pasolini. L'errance d'un journaliste britannique qui s'offre une jeune esclave à Karthoum. Une enfant qui doit satisfaire les caprices sexuels du maître. Lequel, déçu de n'y point éprouver les émotions forres espérées   finira par la ceder à une mission chrétienne avant de rentrer en Europe. De la pédophilie sordide et du trafic d'être humain dirait-on aujourd'hui, de l'orientalisme disait-on pudiquement au 19ieme siècle. Lorsque notre héros revend son esclave sexuelle celle-ci ne se retourne même pas. L'indifférence est une giffle. Le dominant ne possède jamais que le corps de l'autre, ni son cœur ni ses pensées. La dialectique du maître et de l'esclave est au centre du texte de Pasolini. La prédation sexuelle y est le symbole de l'abus de pouvoir et de la déshumanisation de l'autre, thème déjà présent dans "Salo ou les 120 jours de Sodome".  On croise dans Pétrole, Levis-Strauss et Frans Fanon, le personnage central éreine férocement les idéalistes qui entrent en journalisme comme on se paye un safari, les clins d'œil aux débats qui agitent les chapelles  de la gauche amuseront les spécialistes. Face au progressisme de salon, l'ironie du maître fait mouche. On ressort de là en s'interrogeant sur le relativisme culturel et le sens de droits de l'homme qui seraient réservés aux seuls hommes blancs.

Heureusement pour la consommation de Pessac-Leognan et le foie d'Adrien Drumel, le spectacle ne se joue qu'une fois par semaine, le dimanche. Raison pour laquelle il vous est fortement conseillé de réserver.


Pétroler : (Figuré) (Néologisme) Se manifester avec flambant, avec énergie.


 



06 décembre 2016

Jacky Morael, l'homme qui fit d'Ecolo un parti de gouvernement

Une distance qui n'était pas de l'indifférence. Une extrême lucidité qui refusait le cynisme. Un pragmatisme qui ne se voulait pas résignation. Jacky Morael aura non seulement marqué à jamais la vie du parti Ecolo, il aura aussi été l'un des acteurs majeurs de la politique belge des années 90. Président de parti (à l'époque c'était un trio de secrétaires fédéraux ) dès 1986, il siège à la chambre, puis au parlement wallon avant de revenir prendre les rênes du parti en 1994. Cinq plus tard, Ecolo, porté par la marche blanche et la crise de la dioxine, est devenu incontournable. Morael négocie l'entrée des verts dans la coalition arc en ciel. Au fédéral, en région, à la communauté. C'est la consécration. C'est pourtant aussi la fin de parcours. Dans un étrange réflexe qu'ils répètent à intervalle régulier, les militants écologistes écartent celui qui leur apporte la réussite. "Morael a négocié d'égal à égal avec Louis Michel et Guy Verhofstadt c'est qu'il doit faire partie de leur monde, sacrifions-le. " Jacky Morael ne sera donc pas ministre. Olivier Deleuze et Isabelle Durant rejoignent le gouvernement fédéral. Lui, qui a transformé une association de joyeux drilles en parti de gouvernement  est mis sur le banc de touche et, déçu, se retire de lui-même. À moitié, au début. Il continue de s'exprimer, agit en coulisse, donne des conseils, intervient quand il l'estime nécessaire. Isabelle Durant est la grande sœur des écolos, Morael reste l'oncle Jacky. Celui qui guide et qu'on respecte. 
Il n'est plus en première ligne mais siège encore à Liège, au conseil communal, puis au Sénat. Il a le goût du sacrifice. Favorise l'élection  de Carine Russo en 2007. Cède la présidence du groupe du sénat à Zakia Khattabi en 2012. Mais ses interventions se font moins précises. Le verbe moins aiguisé. L'appétit disparaît. 

En interview Morael reste un témoin privilégié. Il n'aime pas la petite phrase mais donne le tempo, la tendance. Ses décryptages sont précieux, éclairants, l'homme a régulièrement un coup d'avance. Ses confidences "off the record" donnent à voir les mouvements de fond, dans sa propre formation mais aussi dans les partis des autres qu'il ausculte comme personne. Pourtant Morael ne "copine" pas avec les journalistes. La distance reste professionnelle. On ne dit pas de mal non plus, le respect de l'adversaire est réel. Pourtant  dans les médias comme dans les assemblées le moteur Morael rétrograde progressivement. Il a quitté l'autoroute du succès des années 90 et s'arrêtera bientôt en rase campagne.

Jacky Morael porte une fêlure en lui, la disparition d'un enfant. Cela lui donne de la force par moment, mais aussi beaucoup de désenchantement et une morosité qui prend régulièrement le dessus. Cette blessure, que connaît aussi  son brillant successsur Jean-Michel Javaux, lui permet sans doute mieux que d'autre, de comprendre la souffrance des parents de Julie et Melissa. Mais il a aussi la sagesse de ne pas récupérer l'affaire, alors que la tentation est grande, y compris dans son propre parti. Cette fêlure ne se résorbera pas. Elle l'entraîne plus profond dans la dépression. Jacky Morael souffre d'une dépendance à l'alcool qui ruine ses dernières années. Une fois, deux fois, dix fois, ses amis se précipitent à son chevet. Il promet de ne pas recommencer mais rechute à chaque fois. Les séjours à l'hôpital se multiplient. Même les plus proches finissent par se détourner.

En 2014, Etopia, centre d'études du parti publie encore "génération verte". Sous l'impulsion d'Eric Bierin, son ancien directeur de la communication et fidèle de toujours et de quelques autres proches, Morael y dialogue avec des militants qui ont plusieurs dizaines d'années de moins que lui. L'ouvrage est pensé comme un hommage et une  bouée de sauvetage pour le maintenir à flot. C'est déjà un passage de témoin et une forme d'adieu. Jacky Morael conserve l'estime de nombreux politiques, dans de nombreux partis, Didier Reynders en tête. La bête politique a disparu. C'est l'homme, avec ses blessures, son intelligence tactique, et sa correction humaine, qui restera. 

Photo empruntée au site d' Ecolo. 

02 décembre 2016

François Hollande et l'impossible normalité présidentielle



5 minutes de lucidité peuvent-elles racheter 5 ans d'errance ? C'est la question que nous pose François Hollande. Lorsqu'il annonce ce jeudi 1er décembre en direct à la télévision qu'il ne briguera pas de second mandat le président français entre dans l'histoire. Il est le premier président de la Ve république à quitter de plein gré  le palais de l'Elysée alors, que sur papier au moins, il pourrait prétendre prolonger son bail. Une cessation d'activité pour cause de retraite anticipé, un sacrifice utile pour les uns, une fuite piteuse pour les autres, un constat d'impuissance en tout cas, et un premier cas de burn out présidentiel peut-être... 

De ce quinquennat fade et désespérant nous retiendrons ceci : il ne peut y avoir de présidence normale. La promesse électorale était fallacieuse. Bien sûr Hollande voulait ainsi se démarquer du bling bling de l'ère Sarkozy, mais ce fut mal entendu des français, qui crûrent  à une proximité présidentielle qui ne peut être qu'un malentendu. Le président, parce qu'il est élu au suffrage universel et incarne la nation est tout sauf un être normal. Parce que le chef de l'Etat et des armées est le porteur de la promesse républicaine, il transcende clivages et courants et appartient à 60 millions de français qui doivent, individuellement, se sentir représentés par cet homme (ou un jour peut être cette femme). La palette des opinions, croyances, postures, espoirs, craintes ou psychoses françaises doivent toutes trouver une oreille attentive au sommet de la République. Cette qualité d'écoute François Hollande l'avait peut être. Sa capacité à restituer à chacun le sentiment qu'il avait été entendu, ce mélange d' attitude paternaliste (De Gaule) monarchique (Mitterrand) ou du bon copain compréhensif (Chirac) ne fut pas exprimée. Coupé des français, Hollande entendait tout, voyait tout, mais ne renvoyait rien. Rien de significatif en tout cas. 

Son seul rebond dans les sondages fut la période qui suivit les attentats du 13 novembre. C'est malheureux, et le désir de montrer le visage d'une France debout et unie y est pour beaucoup. Sur les errements du monde, la montée des individualismes, la peur du lendemain, le sentiment de précarité économique, la désespérance de ceux qui n'ont plus de quoi vivre dignement et  l'essoufflement des autres qui s'éreintent au travail, François Hollande ne proposait ni réponse, ni message. Dans une France où le sentiment d'appartenir à un groupe s'étiole, où la société se fragmente en groupes sans cesses plus réduits, où le sentiment de concurrence et d'isolement n'a jamais été aussi grand, cette parole présidentielle, capable d'unifier et d'inspirer aurait été la bienvenue. Quand compétitivité, précarité, anxiété deviennent la devise nationale, il faut un projet fort pour s'en sortir par le haut. 

D'un président de la République nous attendons qu'il ne soit surtout pas un homme normal. Un guide, un mentor, un porteur de projet... on peut le suivre ou le combattre, mais cet homme là doit nous dire quelque chose. S'enfermer dans le silence et une fausse normalité c'était ne rien avoir compris à  la fonction présidentielle.