30 juillet 2017

Un changement systémique

Nous sommes fin juillet
et le petit monde parlementaire prépare ses valises. Les plus rapides ont même  déjà sauté dans l'avion des vacances. Les plus besogneux prennent des cours de langues au Ceran. D'autres s'exhibent pour quelques heures encore à Libramont ou à Tommorow Land. Et pourtant tous n'ont peut être pas réalisé à quel point ces congés d'été marquent une césure. L'installation d'une nouvelle majorité  à la Région Wallonne  sans passer par la case électorale est une fracture  qui irradie bien au delà de l'Elysette. Le renvoi du Parti Socialiste, qu'on pensait jusque-là incontournable, n'implique pas qu'un changement de  gouvernement régional. Il est le point de départ d'une période d'instabilite (qui en politique comme ailleurs prépare l'arrivée d'un nouvel équilibre). Les prémices d'une réaction en chaîne dont nous ne mesurons pas encore tous les effets. 

D'abord à Bruxelles, même si Défi ne semble pas vouloir d'un virage à droite et préfère la continuité avec Rudi Vervoort à l'aventure avec les libéraux. La messe n'est pas complètement dite. La suite des auditions de la commission Samu Social (mais pouvons-nous encore y apprendre quelque chose ? ), la capacité du CDH bruxellois à se maintenir dans le gouvernement Vervoort, tout en conservant la confiance de ses partenaires, et le climat politique global décideront de la suite.

Le scénario reste incertain aussi pour la Fédération Wallonie-Bruxelles (ex- Communauté Frančaise ) qui reste étrangement en suspens. On imagine mal les démocrates-humanistes voter avec le MR en Wallonie et avec le PS en Federation tant ces niveaux de pouvoirs sont complémentaires et désormais institutionellement imbriqués par la double casquette d'Alda Greoli. Peut on sereinement croire qu'une  ministre évoque l'assistanat (un vocabulaire anti-PS d'inspiration très droitière ) le lundi pour discuter budget avec Rudy Demotte et André Flahaut le mardi et enseignement supérieur avec Jean-Claude Marcourt le mercredi ? Non. La rentrée de la fédération sera explosive. CDH et MR y mettront une pression maximale pour tenter de faire basculer la majorité. Socialistes et Défi résisteront. Les écologistes continueront de se faire prier sans vouloir prendre des responsabilités pour lesquelles ils ne s'estiment pas mandatés. La paralysie est prévisible mais risque d'être rapidement intenable. Le monde de l'enseignement, les parents, les artistes : les attentes sont nombreuses et l'inaction n'est pas une option. 

À cette instabilité francophone s'ajoute une perspective federale. En changeant de partenaire le CDH a sorti le Mouvement Réformateur de son isolement. Le front commun "anti Nva" qui avait fait de la coalition Suèdo-kamikaze l'ennemie absolue de la cause francophone a volé en éclat. Si en 2014 Benoit Lutgen avait catégoriquement refusé de suivre le MR à coup de viriles déclarations sur les plateaux TV, il en devient de facto l'allié aujourd'hui... et donc un partenaire plus que plausible pour une négociation avec les partis flamands. À l'inverse, avec une Flandre qui penche à droite, le PS semble aujourd'hui condamné à rester sur les bancs de l'opposition au moins à ce niveau de pouvoir. Il est déjà loin le temps où Elio Di Rupo incarnait la défense de l'unité nationale. 

Deux partis francophones dans une éventuelle majorité federale, c'est définitivement plus confortable... les chances de trouver une nouvelle majorité qui ne serait pas en rupture totale avec l'heritage du gouvernement Michel Ier sont moins minces aujourd'hui qu'elles ne l'étaient il y a un mois. L'auteur de ce blog fait partie de ceux qui pensaient que l'asymétrie de ces dernières années allait conduire à une autonomisation accrue de l'échelon régional. Reconnaissons que ce raisonnement doit être revu à la lecture des derniers événements : le fédéral et la wallonie ne jouent certes pas la même partition mais leurs petites musiques respectives seront moins dissonantes dans les prochains mois. 


Ajoutons, et ce point n'a peut-être pas été assez souligné, que les nouveaux partenaires wallons se sont lancés dans une ambitieuse réforme du système électoral. Une circonscription wallone, la fin des suppléances, le démantèlement des collèges provinciaux : autant de moyens de changer la pratique politique wallonne et de contrarier l'influence du PS. Enfin, la fin de la dévolution de la case de tête renforcera les candidatures individuelles au détriment des stratégies des partis (ce n'est pas forcément synonyme d'un accroissement de la qualité des parlementaires , mais on y reviendra). 

Bref, en juillet 2017 nous avons bien changé de paysage politique. Le leadership socialiste en Wallonie (large) et à Bruxelles (moins confortable) n'apparaît plus comme une tendance historique destiné à perdurer vaille que vaille. 

Bien sûr, nous n'en sommes pas encore là. Il ne vous aura pas échappé que CDH et MR ont assuré la promotion de candidats qui ont des ambitions maiorales (Willy Borsus) ou au moins communales (Alda Greoli). Que Paul Magnette ou Elio Di Rupo pour le PS ou Maxime Prévôt pour le CDH se repositionner sur des objectifs de proximité. C'est la séquence électorale qui l'impose. En 2018 les citoyens votent pour les communales. En 2019 (au plus tard) pour les régions et le fédéral. Le premier scrutin donnera le ton du second. Le PS se concentre d'ores et déjà sur les grandes villes. CDH et MR, ironie de leur positionnement, se livrent à un match dans le match pour les villes moyennes et les bourgades rurales. Les négociations qui se noueront au soir des communales seront capitales. Au PS, fort de sa position dans les grandes agglomérations on espere faire comprendre au libéraux que la violette reste une option possible. Au CDH on aura à cœur d'enrayer un effritement électoral constant, en pariant sur le sursaut que le contre-pied de Benoit Lutgen avait justement pour but de provoquer. Les démocrates-chrétiens ont beaucoup à perdre dans l'aventure. C'est,  finalement, à poids électoral constant, le Mouvement Réformateur, qui pourrait se retrouver en position d'arbitre. Être le principal bénéficiaire du changement d'attelage permet de partir en vacances le cœur léger. 

15 juillet 2017

Crise : le CDH et le coup des dominos

Un coup dans l'eau,
un coup de com, un coup de sang, un coup d'un impulsif à gros cou, mais surtout un coup mal pensé, mal préparé, mal ficelé, presqu'un coup d'amateur. Sur le changement d'alliance inopiné annoncé par Benoit Lutgen nous avons vu, lu, entendu, quantité d'analyses peu amènes. Paralysie, chaos, enlisement sont revenus comme des leitmotifs. 
Un mois après l'annonce cela vaut pourtant le coup de se poser un instant pour faire le point. Parce que les choses sont moins figées qu'il n'y paraît et que l'enlisement n'est que relatif. 
Mettons nous d'accord sur le point de départ. C'est bien un coup : coup d'état rampant ou coup de com, coup de Jarnac, mauvais coup ou bon coup, selon l'endroit d'où l'on se place, mais personne ne l'avait vu venir. Le CDH juge subitement le PS infréquentable et après ? Nous sommes à la mi-juillet et  les lignes bougent. 

Le parti Ecolo après avoir monopolisé l'attention sur la gouvernance vient de déclarer forfait. Il ne montera pas dans les exécutifs. Ni à Namur, ni à Bruxelles. C'est un premier éclaircissement. 
MR et CDH entament donc une négociation à deux pour la région wallonne. Il est probable qu'ils pourront aller au bout. Renversement d'alliance probable  à Namur mais pas à Bruxelles écrivaient les analystes... C'est là qu'intervient le deuxième coup du CDH. Celine Fremault affirme s'être fait doublée dans la gestion du Samu Social dont elle avait la tutelle et  décrète que cela suffit à rompre la confiance. Qu'importe que le coup soit tordu, moyennement crédible ou alambiqué. Le fait est là : le CDH ne veut pas rester en coalition avec le PS à Bruxelles non plus. Pour ceux qui douteraient, réécoutez Julie De Groote  sur BX1 qui évoquait dès vendredi soir  un "système socialiste"... si ce n'est pas une sortie concertée et une communication coordonnée je ne sais pas ce que c'est ... 

Ce second coup de canon n'est pas innocent. Il intervient après le forfait des écolos et alors que l'idée d'un maintien de la coalition bruxelloise faisait son petit bonhomme de chemin. Une semaine plus tôt les propos de Celine Fremault auraient été noyés dans la cacophonie. À ce moment précis, au lendemain du forfait des verts, ils ont pour effet  de faire tomber le gouvernement Vervoort. C'est une stratégie de dominos, où voyant les choses bien embarquées à Namur les centristes jouent quitte ou double sur Bruxelles. PS ou CDH, l'un des deux devra quitter la coalition régionale. 
La clef de la région bruxelloise est désormais dans les mains de Defi. Soit il privilégie l'accord de gouvernement passé avec le PS ... mais il devra convaincre les écologistes de remplacer le CDH, ce qui n'est pas gagné (la majorité garderait alors 42 sièges sur les 72 députés francophones). Soit il consent à s'embarquer dans une nouvelle coalition avec les centristes et le MR (soit 37 sièges pour les 3 partis). Dans le premier cas Défi joue sur la continuité de son action politique et la stabilité des institutions bruxelloises, avec un programme qui lui convient, et joue à l'aile droite. Mais il sera accusé de sauver le PS.  Dans le second il se retrouve à devoir négocier avec ses anciens alliés du MR, et on sait que ce divorce a laissé des traces, dans un rôle où il devra basculer sur l'aile gauche pour affirmer une position plus sociale que celle de ses potentiels  partenaires. Le parti d'Olivier Maingain n'a cependant pas tout à y perdre : il serait en position de réclamer la ministre-présidence bruxelloise en échange de son ralliement et s'offrirait une vitrine à la communauté française (pour un parti qui peine à s'implanter en Wallonie ce n'est pas si négligeable). Car MR-CDH-DEFI c'est aussi une majorité à la fédération Wallonie-Bruxelles (49 sièges sur 94), une manière de sortir de la crise par le haut et de répondre aux préoccupations communautaire d'Olivier Maingain (la presse est passé à côté de cette interprétation des propos du président de Défi : la stabilité de la fédération pourrait passer une responsabilité dans l'enseignement ou la formation pour son parti). Pour y arriver il faudra sans doute des discussions approfondies entre les amarantes et les libéraux qui pourraient ainsi se retrouver dans une situation délicate, alliés de la Nva au fédéral, en discussion avec les ex-FDF à la region... Quand Olivier Maingain met en avant le dossier du survol de Bruxelles il tape là où cela pourrait faire le plus mal. Ce coup aura donc un coût et il ne faut pas sous-estimer l'aversion personnelle qui subsiste entre les états-majors des deux formations. 

Impossible de dire aujourd'hui donc ce que privilégiera le parti d'Olivier Maingain. Mais laissez de côté les difficultés avec les partenaires bruxellois flamands : il est de tradition en région bruxelloise que les deux communautés négocient d'abord séparément avant de se retrouver. Si Guy Vanhengel a pu travailler avec Laurette Onckelinx et Rudi Vervoort il pourra aussi le faire avec Olivier Chastel, Didier Reynders et Vincent De Wolf. Et ne croyez pas que Pascal Smet abandonnera la majorité régionale si le PS francophone n'est plus là. Le plus compliqué est finalement de dépendre des néerlandophones pour les sujets régionaux les plus sensibles (il y a 89 députés au total). Bref le renversement d'alliance à Bruxelles n'est peut être pas fait mais il est crédible.  

La gestion et le commentaire de crise imposent de trouver le bon rythme. Le temps d'une négociation s'étire toujours plus que ne le croient les journalistes. Il faut que chacun puisse se positionner et s'exprimer. Qu'Ecolo fasse son tour de piste arrangeait tout le monde. C'est désormais Défi qui sera au centre de l'attention et pourra faire connaître ses conditions. Sauf qu'entre temps les contacts bilatéraux auront permis de tâter le terrain. Ces quatre semaines auront aussi permis de taper fort sur le CDH pour qu'il ne sorte pas renforcé de son coup d'éclat. Condition politique pour monter dans un attelage : ne pas paraître trop faible au moment où les négociations débutent vraiment. Le tempo médiatique qui veut livrer une nouvelle analyse, si possible définitive, jour après jour, n'est pas le tempo des négociateurs qui savent bien qu'il faut des semaines pour décanter une crise, faire oublier les petites phrases, se dégager des postures et de la pression. L'été est une période propice. Parce que l'attention du citoyen est moins forte. Parce qu'il y a aussi juste ce qu'il faut de moments symboliques pour emballer un rush final : la fête nationale du 21 juillet, ou la rentrée scolaire ... dans un pays qui a connu tant de crises gouvernementales, les plus impatients sont finalement les journalistes. 

Pour l'instant Benoit Lutgen n'a pas encore gagné son pari. Mais il est loin de l'avoir perdu. Au théâtre il faut frapper trois coups. Nous en sommes au deuxième. Le troisième viendra donc peut être d'Olivier Maingain.