29 septembre 2018

Fabrice Murgia, Ann Pierlé et 9 femmes inventent le making off de Sylvia Plath


Virevoltant. Choral et éblouissant. En adaptant la vie et la poésie de Sylvia Plath,  Fabrice Murgia,  les 9 comédiennes,  Ann Pierlé et les musiciens, Juliette  Van Dormael, caméra à  l’épaule et 10eme actrice, son assistant,  figurant et régisseurs  qui opèrent àvue sur le plateau surpassent le genre théâtral. Il y la vidéo bien sûr, comme souvent chez Murgia, mais aussi la musique d’Ann Pierlé, les décors qui bougent sans cesse, se défont et se reconstruisent au fil du récit, les mouvements de caméras, le ballet dynamique de l’ensemble. La prouesse est chorégraphique. Quand les murs de ce décor façon Hollywood  se déploient ou se replient, que les jupes aux imprimés des  années 50 tournent, qu’ Ann Pierlé quitte son perchoir pour chanter comme une meneuse de revue, quand les changements de costume se font à même la scène ou qu’une caméra est déjà en train d’être installée pour la scène suivante. Nous assistons à une pièce, à un ballet, à des lectures, à un concert : c’est un film en fabrication. Fabrice Murgia nous invite à un grand making off qui joue à saute-mouton avec les différents genres, passant avec vélocité et brio d’un genre à l’autre. 















Sur scène le dispositif est riche. Les décors signés Aurelie  Borremans, mobiles, convaincants et appropriés. Deux cubes accueillent une récitante et un dressing au rez-de-chaussée, Ann Pierlé, son piano et ses musiciens prenant place au premier étage. Entre les deux un grand écran accueille les images filmées sur scène. Juliette Van Dormael et son assistant, Takeiki Flon, opèrent avec deux caméras, l’une sur grue, l’autre à l’épaule. Juliette est au plus près des comédiennes, gros plan sur les visages, les mains, les détails du décor comme pour mieux faire ressortir la banalité sordide de la vie quotidienne  de Sylvia Plath. Déjà,  Takeiki ( ou Dimitri Petrovic , autre assistant caméra mentionné dans la distribution, et on savoure ici cette inversion où les hommes laissent le premier rôle artistique aux femmes )  prépare le cadre et positionne l’autre caméra pour la scène suivante. Le passage d’une caméra à l’autre est une prouesse de réalisation TV. Comment faire aussi riche avec seulement deux objectifs ? Notre regard passe des plans serrés de l’écran à la vue large de la scène. L’intimité sur l’écran du haut, le mouvement d’ensemble sur la scène du bas.  Pas anodin. La vie de Sylvia Plath c’est aussi celle de l’âge d’or de la TV. Quand le petit écran impose l’image de ménagère modèle. Celle qui prépare les corn flake le matin, monte les blancs en neige l’après-midi et se morfond en attendant l’hypothétique retour de l’homme en soirée. Sylvia Plath intègre les stéréotypes, les assume. Elle ouvre aussi le courrier des maisons d’édition, tape les poèmes du mari à la machine, enfante et élève. Perd le temps de créer. Vole sur son sommeil quelques heures d’écriture. 
Ann Pierlé, aérienne, et pas seulement parce que son piano est perché, prend du recul et donne du sens. Mélodies et textes s’interpénètrent. Des extraits d’enregistrements radio où les comédiennes évoquent le projet se superposent. Il y a Sylvia, sa vie, le projet des comédiennes et le film qui réunit le tout. Le discours et le meta-discours. C’est pourtant  fluide et convaincant. Saxophoniste et percussionniste apportent ce qu’il faut de swing et de rupture. La vie de Sylvia n’est pas la mine ou l’usine. C’est juste une comédie musicale un peu trop mièvre pour celle qui assume le rôle principal. Une vie enfermée dans un décor de carton qui fini par être  en dissonance avec le scénario annoncé.

Une vie qui se consume trop vite et se débat avec les renoncements. Neuf comédiennes incarnent tour à tour ce rôle principal. Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers,  Valérie Bauchau et sa grâce ne sont pas seules. Blondes, rousses, brunes, jeunes ou dans la force de l’âge. Toutes jouent juste et forment un chœur féminin, à la fois acteur et spectateur d’une histoire de la féminité. Comme pour nous rappeler que Sylvia n’est pas un cas unique. Dans les années 1950 la poétesse qui se sacrifie jusqu’à la folie et la négation de soi pour la gloire d’un poète ingrat est une femme méprisée parmi tant d’autres. En 2018 on aimerait que cela ait changé. Un peu. 

Le spectacle est à voir au théâtre narional cet automne. Il sera visible ensuite à La Louvière, Mons et en France.

SYLVIA / Teaser 2 from Théâtre National / Bruxelles on Vimeo.

09 septembre 2018

Le moment antiraciste sera-t-il plus qu’un moment ? 



C’est une opportunité rare, peut-être unique, dans ce pays bipolaire qu’est devenue la Belgique. Une vidéo virale, postée sur Facebook par une présentatrice météo de la RTBF, et un reportage de la VRT sur un groupe d’extrême droite qui s’invite et s’infiltre dans l’intelligentsia et l’élite flamande ont provoqué quasi-simultanément stupeur, empathie et interrogations. Que la même thématique s’impose, avec des termes et des émotions comparables des deux côtés de la frontière linguistique est devenu inhabituel. On a donc vu ou entendu en cette semaine de rentrée le premier ministre condamner, en néerlandais, un phénomène « révélé » par un reportage qu’il n’avait pas encore vu, des ténors  qui pour l’un, promettait de faire le ménage, et pour l’autre, pointait la responsabilité de la parole politique dans la banalisation des propos racistes. Nous avons entendu encore, incrédules, un secrétaire d’Etat, tombé des nues, faire mine de découvrir que ceux avec qui il pose en photo tenaient des propos haineux et se préparaient physiquement à des affrontements contre un ennemi racial. Pour dire vrai, on a un peu douté de leur sincérité. Car si les contrebandiers font d’excellents gendarmes le pyromane n’est pas toujours crédible quand il se proclame pompier. Mais ne blâmons pas seulement le politique. 

Nous avons lu, entendu, vu un touchant élan de la presse, des députés, des commentateurs contre le racisme. Une déferlante. Ne crachons pas dans la soupe. Félicitons nous-en. Mais comme le politique qui, à coup de « communautés qui n’apportent pas de valeurs ajoutées » a contribué à la banalisation du rejet de l’autre, la société civile et les médias pourraient également mener une petite introspection. Il est plus facile de témoigner de son soutien à Cecile Djunga ou de son effroi vis à vis de Schild & Vrienden que de bannir les petites blagues racistes en conférence de rédaction, de ne pas s’apesentir sur l’origine des auteurs des faits divers ou de cesser de s’interroger à longueur d’années sur les ratés de l’intégration (qu’on confond souvent avec assimilation). Plus facile de surfer sur l’émotion quand elle déboule comme un torrent sur les réseaux sociaux que de s’obliger à produire des reportages ou des éditoriaux sur des initiatives positives qui mettraient concrètement et positivement en valeur les apports de la diversité et de l’immigration. 

Revenons à nos politiques pour insister sur le moment. A quelques semaines des communales, à quelques mois des législatives, nous avons envie de dire banco. Nous sommes quelques uns à attirer l’attention depuis quelques années sur les dangers de la banalisation de propos impensables il y a 20 ou 30 ans. Nous ne pouvons que nous réjouir d’entendre nos avertissements enfin repris avec un tel  enthousiasme.  Alors, oui, on veut bien vous croire. Croire que la belle émotion des derniers jours va convaincre chacun qu’il ne faut plus courtiser les bas instincts, les peurs, les frilosités ou la bêtise pour quelques milliers de voix. Que notre classe politique est désormais habitée d’hommes d’Etat qui ont compris que l’Europe et la Démocratie risquaient gros à suivre la tendance populiste qui calme ses angoisses à coup de boucs émissaires. Que le rejet du racisme proclamé main sur le cœur sur un plateau de TV est désormais supérieur à toutes les conversations de bistrots ou de marché de campagne. Que ceux qui déraperont seront désormais exclus des coalitions envisageables. Que nous ne verrons plus de Une de magazines sur le foulard, et que l’Islam ne sera plus réduit à sa seule pratique radicale (inquiétante certes mais minoritaire). Que nous aurons un plan fédéral contre le racisme, ou qu’à défaut, les organismes et ASBL qui luttent dans ce domaine seront correctement subsidiés. 
On dit chiche. Tope-là. Et on espère ne pas devoir écrire « tartuffes » dans un prochain article.