15 octobre 2018

 Communales : 5 enseignements pour la presse et les partis politiques 

C’est l’usage après chaque élection : tenter de tirer les enseignements de scrutin. Politologues, journalistes, éditorialistes ou commentateurs de tout poil s’y exercent avec plus ou moins de talent. Les mauvaises habitudes ne se perdent pas facilement : puisque j’ai longtemps officié dans ce registre pour mes employeurs précédents, je ne résiste pas à la tentation d’ajouter ma petite contribution, en me concentrant sur le traitement médiatique de l’actualité politique. 

Les sondages ne visent pas juste 

 C’est une constante. Avant chaque scrutin les instituts de sondage sous-estiment le score du Parti Socialiste. Depuis 20 ans que j’observe la vie politique de près côté francophone cela se vérifie à chaque fois. Cela ne veut pas dire que le PS réalise un bon score, loin de là, il n’a même jamais été aussi bas en Wallonie, mais la bérézina annoncée n’a pas eu lieu. Les sondeurs n’ont pas vu non plus que le Mouvement Réformateur serait sanctionné. En revanche, ils avaient bien anticipé la percée du PTB, même si celle-ci avait été un petit peu surestimée ces derniers mois, ainsi que les difficultés du CDH. 

Les bourgmestres cachent la forêt, ou son absence 

Dans une soirée électorale il faut savoir communiquer. Surtout quand les résultats ne sont que partiellement connus ou en grande partie défavorables. Le CDH aura réussi à sauver les meubles à grand coup de symboles. Alors que le parti centriste/humaniste est en net recul, le maintien de Bastogne et Namur dans son giron suffit à faire passer la soirée de la case dépression à la case soulagement. Cette perception n’est pas forcément correcte : il y a bien le feu dans la famille CDH. 

Le MR n’a pas cette chance : la perte de 3 mayorats en région Bruxelloise et quelques déconvenues en Brabant-Wallon, fief bleu par excellence, disent assez bien que le parti du premier ministre est en difficulté. 

Côté vert la multiplication des bourgmestres (une dizaine, c’est la progression qui est significative pas la valeur absolue) est plus qu’un symbole de soirée électorale. C’est une perspective d’enracinement plus durable dans la vie politique locale, qui a souvent été le talon d’Achille de ce parti et l’une des causes de son instabilité électorale (accessoirement cela va recréer de l’emploi pour un parti qui en avait beaucoup perdu, je sais, vous n’y pensiez pas, mais c’est ça aussi la politique). 

Enfin si on souligne beaucoup la percée, réelle, des verts, celle du PTB n’est pas moins spectaculaire. Mais l’absence de bourgmestre du parti de la gauche de la gauche et sa difficulté à monter dans des exécutifs rendent cette progression moins tangible. 

L’immigration n’est pas un sujet local

Les sorties à répétion de Théo Francken sur le sujet.   Les sondages qui reviennent régulièrement sur la thématique. La stratégie délibérée de la NVA de faire de « l’identité » un thème de campagne. La forte présence du Parti Populaire sur les reseaux sociaux. La radicalisation du discours, y compris au MR, sur le sujet, par exemple chez Alain Courtois. Le débat sur le port du voile ou les écoles musulmanes qui reviennent aussi souvent qu’une tarte à la crème sur le visage de BHL au début des années 2000. L’hysterie médiatique autour de ces thématiques censées faire vendre du papier ou gagner des points d’audimat, avec un affolement généralisé autour des listes Islam par exemple. Tout cela n’aura pas profité aux promoteurs de ces questions. La NVA se tasse et le MR recule, Alain Courtois est clairement sanctionné, le parti Islam perd ses quelques élus. La paranoïa identitaire est hors sujet pour les élections communales. À Bruxelles 3 bourgmestres sont désormais issus de familles dont l’histoire est liée aux grandes vagues d’immigration, tout un symbole. Le parti qui semble le plus proche des citoyens qui accueillent des réfugiés (je veux parler d’Ecolo) sort  grand gagnant. En Flandre les électeurs les plus radicaux ont préféré retourner vers le Belang. Les partis comme les médias qui font leur choux gras des questions d’immigration devraient prendre le temps de faire un arrêt sur image et un brin d’introspection (je sais que c’est un vœu pieux et qu’on sera reparti dans ces travers dans trois mois mais c’est mon côté utopiste). 

N’est pas tenor qui veut 

La suppression de l’effet  dévolutif de la case de tête et la désignation du Bourgmestre au plus fort score dont désormais sentir leurs pleins effets en Wallonie (la région bruxelloise n’a pas adopté les mêmes règles). Et cela fait des victimes. Au PS Elio Di Rupo est déboulonné (volontairement ou pas, on demandera le renfort d’un psychanalyste) par Nicolas Martin et surtout Rudy Demotte écarté par son camarade  challenger Paul-Olivier Delannois.Au CDH René Collin ne sera pas bourgmestre. Au MR François Bellot et Pierre-Yves Jeholet sont battus, tout comme Marie-Christine Marghem. Au delà d’une sanction, claire, des ministres et donc des politiques mises en place au fédéral et à la région wallonne, c’est la confirmation que la Belgique est une terre de municipalistes. Il vaut mieux avoir un ancrage local puis se lancer à l’assaut d’une carrière ministérielle que prétendre faire le parcours dans l’autre sens ... souvent l’inverse de ce qui se passe en politique française. Le parachutage n’est pas dans les coutumes belges et l’absence du terrain local pour cause de ministère rédhibitoire. 

La Belgique a deux boussoles 

Un tassement du PS largement compensé par la percée écologiste et le grand bond en avant du PTB. Une sanction du MR et du CDH : l’électeur francophone pose clairement un choix de gauche. Les partis dit « progressistes » sortent renforcés au sud du pays.

Un tassement de la NVA largement compensé par le rebond du Vlaams Belang, un bon comportement du CD&V, un recul du SPA, le PVBA qui ne décolle pas : l’électeur flamand fait le choix de la droite, parfois même de la droite radicale, avec une gauche qui n’a plus voix au chapitre. 

Ces deux choix de société, à l’opposé l’un de l’autre, augurent de négociations difficiles si les choix locaux se confirment lors des scrutins régionaux et nationaux de l’an prochain.  Vouloir informer, débattre, analyser en adoptant un point de vue national devient mission impossible. 

14 octobre 2018

On peut être à la fois au groove et au Moulin

C’est le temps des hommages. Dix ans après la disparition de Marc Moulin on célèbre à la fois l’homme de radio, le producteur et le musicien. Ce samedi soir à Flagey c’était mieux qu’un double hommage, un pont entre les musiques et les générations.
En première partie Philip Catherine recrée l’album Stream. Il faut savourer la portée historique de ce moment. Certes Stream a été enregistré à l’époque avec Marc Moulin aux claviers, il signe d’ailleurs plusieurs compositions, et c’est la (bonne ) raison pour laquelle Flagey et Musique 3 ont demandé au guitariste de le recréer fidèlement sur scène. Mais c’est aussi et surtout le premier album de Philip Catherine sous son nom et l’hommage devient double (on ne souligne pas assez qu’après la disparition de Toots Thielemans il est le dernier monstre sacré du jazz belge, à la fois sensible instrumentiste mais aussi formidable compositeur). La collaboration entre Catherine et Moulin se poursuivra. Trois ans après Stream, Marc Moulin produit « September man », l’album qui lance Philip sur la scène internationale, et qu’on a pu découvrir en live cet été au Middelheim à Anvers avec les musiciens d’époque dont un Palle Mikkelborg bluffant de grâce. Au total Marc Moulin produit 4 albums de Philip Catherine (Stream ayant été produit par un certain ... Sacha Distel).
Ce samedi soir seul Philip Catherine était donc encore sur scène pour interpréter une musique qui reste imprégnée du son et des rythmes de l’époque (on est en 1971 et l’influence du jazz rock est explosive ) mais il a su, comme souvent, s’entourer de musiciens qui rendent grâce à l’album d’origine. Un bluffant Federico Pecorari à la basse électrique, un toujours aussi véloce Stéphane Galland (on a écrit un jour sur ce blog que le batteur d’Aka Moon battait double , l’impression se confirme à chaque fois ) Dree Peremans assurant le trombone et Nicola Andrioli, toujours sensible, relevant le lourd défi de remplacer Marc Moulin.
Comme toujours la musique de Catherine est aérienne et lyrique... la reprise de « Marc Moulin on the beach » , morceau qui ne figure pas sur l’album mais écrit plus tard étant sans doute le moment le plus touchant.
Le jazz, mais pas seulement, et peu importe l’étiquette. Marc Moulin ne se résume évidement pas à ce jazz qui, bien que novateur a l’époque, sonne si classique aujourd’hui. La claque viendra donc en seconde partie de soirée. Avec Stuff, le groupe emmené par Lander Gyselinck qui est aussi le fabuleux bateur du LAB trio, on est à la frontière du jazz et de l’électro. Un saxo électronique ( Andrew Claes ) une basse funky et efficace (Druez Laheye) des samples qui n’hésitent pas à utiliser la voix de Marc Moulin (Mixmonster Menno) et  des claviers qui sont là pièce maîtresse de cette musique à la fois si jazz et si moderne (Joris Caluwaerts).
Avec Stuff c’est la période Télex de Moulin qui saute à nos oreilles.  Mais c’est mieux qu’un hommage, c’est une modernisation. Les jeunes jazzmen flamands ajoutent au groove des années 80 la transe hypnotique de la techno. Weather Reaport croise l’acid house, la caisse claire de Gyselinckx assure un beat fascinant autour duquel s’élève une  cathédrale musicale. Le quintet excelle dans l’art du ralenti quand le tempo semble se déconstruire et que les uns et les autres se jouent du chaos qu’ils viennent de mettre en place. La reprise de Moscow Discow est d’anthologie.
Musique 3 à eu la bonne idee de capter cette soirée. Que vous soyez fan de jazz ou avide de découvrir une musique plus moderne qui ne tombe pas dans la facilité de la boucle répétée à l’infinie, tous les amateurs de groove trouveront de quoi s’épater les tympans et réchauffer le cœur.
https://www.rtbf.be/auvio/detail_concert-du-soir?id=2409048
Si vous êtes pressés : le concert de Stuff est à 2h10, la reprise de Moscow Discow à 2h57.
Entre les deux concerts une table ronde animée par Philippe Baron pour mieux comprendre la  de Marc Moulin.