04 mars 2019

Didier Reynders, l’intelligence et l’ironie

Peut-on rire de tout ? Oui mais surement pas avec tout le monde. Peut-on rire de soi ? C’est encore mieux, mais les réactions du public sont parfois décevantes.
Au départ il y a donc cette petite phrase de Didier Reynders au journal le Soir qui l’interroge sur ses ambitions post-électorales. Le ministre des Affaires Etrangères y fait cet étrange aveu : il a le souhait de pouvoir rester en politique belge si sa candidature n’est pas retenue au Conseil de l’Europe. Et comme le journaliste le relance sur une hypothétique fonction européenne (genre commissaire européen), Didier Reynders de répondre : « Même pape, je l’ai toujours dit, je peux le faire : je suis baptisé ! Après les élections, on verra bien qui fait quoi. Mais le problème au parlement européen, c’est qu’il y a une incompatibilité entre le maintien au gouvernement en affaires courantes et le mandat de député européen. Je ne me voyais pas quitter le gouvernement en juin ou en juillet, alors qu’on serait peut-être encore en pleine négociation. »
De cette interview on ne retiendra que la petite phrase « même pape, je peux le faire ». Elle est reprise sur les réseaux sociaux, partagée, commentée, raillée et sert même de point de départ à une chronique au vitriol du Vif. C’est la règle à l’heure des réseaux sociaux : la portée d’une déclaration est difficile à maitriser et sa propagation et son commentaire dépendent désormais des internautes et des algorithmes  bien plus que du locuteur ou du journaliste qui retransmet ses propos. Corrolaire :  si tu pêches par l’excès de  punchline le bad buzz te rattrapera un jour.
D’accord. Sauf que la petite phrase en question n’était évidement pas à prendre au premier degré.  « Même pape je peux le faire » : arrêtez de fantasmer sur des scénarios qui sont hypothétiques, ne me posez pas des questions sur du sable. Une petite ironie, mi-amusante, mi-cinglante comme le libéral en a l’habitude, sauf que cette fois il mettait en boite son interlocuteur et s’amusait de lui-même par la même occasion. Le problème de l’ironie c’est qu’à moins de fournir le mode d’emploi dans la phrase suivante on est pas certain qu’elle soit comprise. Au final cette interview, si on veut l’analyser vraiment,  est plutôt un terrible aveu de faiblesse de Didier Reynders : il a postulé pour une fonction qu’il n’est pas sûr d’obtenir, il a la trouille de quitter le monde politique parce qu’il ne sait faire que cela, il ne sait pas ce qui l’attend après les élections et son destin ne dépend plus de lui.
De la déferlante des moqueries qui ont suivi on se dira qu’elles étaient de mauvaise foi ou que leurs auteurs ne sont pas aptes à comprendre du second degré. Ce serait sans importance si elle ne participait pas à un appauvrissement sans fin du débat politique ou de son analyse.  Bien sûr Didier Reynders paye ici pour une image personnelle qui  ne date pas d’hier : celle d’une certaine suffisance et d’une  grande intelligence plus souvent mise au service de l’ambition personnelle que de l’intérêt collectif. Peut-être. Sauf que pas là. Vraiment pas là. Pour interpréter cette phrase comme elle le fût il ne fallait vraiment pas lire l’article avec le minimum d’honnêteté intellectuelle requis. L'ironie il faut de l'intelligence pour en faire et de l'intelligence pour la comprendre.
Nous approchons des élections. Un peu de finesse (intellectuelle) dans un monde de brutes ne ferait pas de tort. Prendre le temps de lire les interviews pour ce qu’ils disent vraiment avant de flinguer gratuitement les orateurs  non plus. 


1 commentaire:

Luc Gochel a dit…

Très juste analyse, signe d'un appauvrissement généralisé de tout débat suite à l'omniprésence, l'omnipuissancedes réseaux sociaux. Triste!