29 janvier 2019

Next Ape : quand Antoine Pierre emprunte le chemin de Portishead



Le projet commence par une carte blanche. Lorsque le théâtre Marni, dans le cadre d’un festival, propose au batteur Antoine Pierre de monter un projet original. Le jeune liégeois saisit l’occasion : troquer son costume de jazzmen pour monter un groupe aux frontières du trip hop et du rock.  Cela aurait pu être une soirée unique. Elle fut tellement enthousiasmante que c’est désormais un groupe et un premier album (il sera présenté le 13 février à Bozar, moment à ne pas rater).

Il faut dire qu’Antoine Pierre a l’art de savoir s’entourer. Et de tirer le meilleur de ses partenaires. Next Ape (le prochain singe) est donc une combinaison inattendue de deux  jazzmen belges (Antoine Pierre et le guitariste  Lorenzo Di Maio), d’une chanteuse hongroise (Veronika Harsca)  et d’un clavier luxembourgeois (Jerome Klein, explorateur inclassable qu’on a pu voir au Nancy Jazz Pulsations). Ne cherchez pas le swing ou l’influence du be-bop. La musique est délibérément carrée, le rythme définitivement binaire. L’esprit du jazz c’est aussi de marier les influences, de réinventer sa musique en y incorporant de nouveaux matériaux, en s’éloignant de l’héritage orthodoxe.  

En cinq titres Next Ape propose une synthèse de ce qui se produit de mieux sur la scène musicale des quinze dernières années. L’influence du trip hop et de Portishead en particulier  saute aux oreilles des le premier titre (Undone ) : une basse lancinante, hypnotique, la voix cristalline de Veronika Harsca qui ose les vocalises, les roulements de caisse claire. L’influence de Portishead est aussi très sensible sur le deuxième  (le  sautillant The New Three Monkeys) et le troisième titre (le très beau et planant A Robot Must) : entrée progressive des instruments, voix parlée puis chantée, basse profonde minimaliste, mise en valeur des cymbales, mais on y croise aussi des réminiscences de Susan Vega et une atmosphère que ne renierait pas Mélanie De Biasio. L’ambiance  est sombre, le climat anxieux comme un journal télévisé de 2019. Le 4ieme  morceau (Alarm Clock) est délibérément rock, et nous emmène sur les terres des Gorillaz ou Oasis, guitare saturée à souhait et tempo élevé, hit potentiel. 

À la deuxième écoute, vous trouverez  bien des traces de jazz (des vocalises, des changements de rythmes, des harmoniques), mais c’est bien un album pop-rock que les 4 musiciens proposent ici. Au petit jeu des filiations on  pense encore  à Hooverphonic, à Massive Attack, et on se dit que les 5 titres (A Robot Must est proposé en deux versions ) pourraient bien rencontrer un succès comparable. L’enjeu est donc d’importance. 


Si on ose une comparaison Next Ape pourrait être à Antoine Pierre ce que Stuff est à Lander Gyselinck. Les deux batteurs belges, l’un francophone et l’autre flamand, excellents rythmiciens et compositeurs tous les deux, se sont affirmés comme les espoirs de la jeune scène jazz belge. Antoine Pierre a acquis sa notoriété par des collaborations avec Philippe Catherine ou Tom Barman. Lander Gyselinck a conquis les puristes avec le LAB trio. Mais le jeune flamand a une longueur d’avance sur les dance floor, avec Stuff, une musique dansante mais intelligente qui séduit bien au delà des habitués des clubs de jazz. Next Ape pourrait connaître le même destin. Antoine Pierre pourrait avoir en 2019 un pied dans la programmation de Musique 3 et l’autre dans celle de Pure FM. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Et nous, on écoutera les deux. 

Aucun commentaire: