
Par définition un vote en assemblée générale du parti écologiste est difficile à prévoir tant les débats qui le précède sont tumultueux, ouverts passionnés.
En tant que journaliste j'ai connu trois époques. La première, celle des assemblées générales ouvertes faisait le délice des reporters politiques. On y voyait les courants s'affronter devant les caméra, les ambitions personnelles s'exprimer sous les huées des militants, les alliances contre-nature (on a beau être chez les écologistes, ça existe aussi) s'afficher. On s'insultaient, on se comptait, et puis on quittait le parti ou se réconciliait pour le combat suivant.
La seconde période est liée à l'essor du parti dans la vie politique et sa transformation en partie de gouvernement (comprenez que les verts acceptaient de monter dans une majorité et de mettre les mains dans le moteur pour tenter d'influer sur le cours des choses au lieu de les critiquer de l'extérieur). On a maintenu les assemblées générales, mais on a alors interdit l'accès de la presse au débat. Cela a commencé par les caméras, puis la mesure s'est étendue à toute la profession. Les joutes oratoires continuaient, mais l'effet dévastateur que cela aurait pu avoir sur l'opinion publique est devenu plus limité.
Nous sommes maintenant dans une troisième phase, celle de la professionnalisation d'Ecolo. Les assemblées générales y ont été remplacées par des comités de listes. On fournit une liste clef en main préparée par la direction du parti, le rôle des militants dans cette phase cruciale est donc moindre. Mais il restait une exception. La liste européenne. Vu ce qui s'est passé hier à Mons les écologistes ne pourront pas faire l'économie d'une réflexion sur ce que représente cette exception pour un niveau de pouvoir où se concentre les enjeux environnementaux qu'ils portent.
Ce week-end les écologistes ont donc préféré Philippe Lamberts à Isabelle Durant (325 voix contre 270) pour conduire la bataille européenne de mai prochain. Une bonne cinquentine de voix d'écart, ce qui est significatif quand on est 600 votants.
On pourra voir dans ce résultat la revanche de la désignation précédente (Durant l'avait emporté d'une seule voix face à son challenger). J'ai la faiblesse d'y voir bien plus : le maintien ou la résurgence de cette culture contestataire. Le désir de la base de montrer à ses élites qu'elles sont à sa merci, quitte à se tirer une balle dans le pied. Montrer qu'on a le pouvoir en prenant une décision contraire à ses propres intérêt pour manifester son autorité est assez peu rationnel, mais vous si vous me lisez régulièrement vous savez déjà que tout n'est pas rationnel en politique.
Les arguments de campagne des deux candidats l'indiquaient assez clairement. Isabelle Durant a essaye de convaincre les électeurs/militants en mettant en avant son expérience, son positionnement large (elle peut parler aussi bien de transport que d'énergie ou d'éthique) et surtout sa surface électorale (avec moins deux sièges sont possibles, sans moi, un seul est probable). Philippe Lamberts a mis en avant son bilan (être devenu l'un des parlementaires européens les plus compétents en matière de finances) et un renouveau politique dont il est indéniablement porteur (une nouvelle génération, une rupture de style, le retour aux fondamentaux : pas plus de deux mandats et le turn over assumé des élus). Lentement mais sûrement le débat européen s'est donc joué de la manière suivante à Ecolo : ceux qui pensent qu'ils faux aller au devant de l'électeur en étant le plus rassembleur possible, et ceux qui souhaitent que l'on s'en tiennent strictement au programme, peu importe qui le porte. Gagner les elections parce que c'est la vocationd'unpart, ou garder son âme pure pour ne pas ressembler à ceux qu'on denonce. Depuis,longtemps l'un des deux candidats portait en lui un atttitude de defiance vis à vis de l'appareil, qui, disait-il, ne le soutenait pas assez. Avec lui les militants on voulu remettre ceux qui incarnent le parti dans l'opinion à leur juste place : des militants parmi d'autres. Une résurgence des combats fondi/realo des années 80. Avec Lamberts ce sont donc les fondi rigoureux qui gagnent.
Qu'on se comprenne bien. J'ai beaucoup d'estime pour Philippe Lamberts, que j'ai interviewé à plusieurs reprises et qui m'impressionne par sa connaissance réelle du dossier bancaire. Des articles du Monde et du Financial Times qui vous décrivent comme l'adversaire numéro 1 des grandes banques européennes ce n'est pas rien. L'homme est organisé, dynamique et bon communiquant. C'est un excellent député.
Mais ce n'est pas le problème. Un bon parlementaire n'est pas forcément une bonne tête de liste. Thierry Giet fut un bon parlementaire, chef de groupe PS respecté à la chambre, mais toujours élu grâce à la suppléance. Pour prendre un autre exemple, au sein d'Ecolo cette fois, Marcel Cheron est un négociateur incontournable des matières communautaires, il n'est pas une machine à voix. Compétence et force de travail ou puissance médiatique et pouvoir de séduction, faut pas confondre.
Ce matin je suis sur que beaucoup d'écologistes belges ont un sentiement de gueule de bois. Après l'ivresse du coup d'eclat, les éditoriaux moralisateurs (dont ce papier fait sûrement parti) vont leur expliquer que c'est pas terrible ce choix. Et que oui, c'est vrai, Isabelle Durant ratissait plus large et était une meilleure tête d'affiche, et que le score de mai prochain risque de s'en ressentir.
Plus important encore, le sentiment que la vice-présidente du parlement européen se retrouve désavouée par ses propres troupes alors qu'elle aurait pu viser la place de chef de groupe avec le départ de Dany Cohn-Bendit. Que toutes les années Durant se soldent par un vote sanction. Il suffit de regarder le parcours : Isabelle Durant fut secrétaire fédérale du parti, avant de devenir la seule et unique vice première Ecolo d'un gouvernement fédéral. On peut l'aimer ou pas, mais on se souviendra qu'elle a incarné Ecolo au pouvoir, luttant becs et ongles avec Laurette Onkelinx et Didier Reynders, s'opposant aux camionneurs qui bloquaient la rue de la loi ou sortant du gouvernement sur la question des vols de nuit. C'est ce symbole là aussi, que les militants déchirent d'un geste sec, comme l'annonce d'un souhait assumé d'un retour à l'opposition en mai prochain.
Cette assemblée générale de Mons c'est donc comme une boussole qui annonce un nouveau cap. Celui d'une reconstruction qui passe par un changement de génération, la reapporpriation du parti par ses militants, mais aussi un éloignement du pouvoir.
L'annonce que Jean-Marc Nollet et Marcel Cheron seront candidats à la chambre et non plus à la région confirme ce qui n'est aujourd'hui qu'un presssentiment de journaliste. Mieux vaut briller au federal qu'à la region si,on s'eloigne du pouvoir. On ajoutera que les ténors du parti, pressentant cette nouvelle tendance se sont montrés bien timides pour défendre Isabelle Durant.
Pour conclure je voudrais renvoyer au livre 'Ecolo au pouvoir' que Chritian De Bast écrivait en 2002 (11 ans déjà !). À l'epoque l'auteur était journaliste à l'Avenir, il allait devenir quelques mois plus tard porte-parole du CDH. Dans ce livre on décrit comment Isabelle Durant était perçue comme une mère ou une grande sœur par les écolos. On explique aussi comment les dirigeants du parti furent sans pitié avec Paul Lannoye ou Jacky Morael. À Ecolo on a n'a pas peur du parricide politique. On vient d'inventer le matricide.