20 février 2015

L'offensive socialiste et le malaise du CD&V

Offensive : attaque militaire contre l'ennemi. Précisons qu'offensive désigne une attaque de grande ampleur. On ne fait pas dans le tireur isolé mais plutôt dans l'action stratégique.  Le terme est à l'origine militaire mais on peut l'employer dans toute une série de domaine. Une offensive diplomatique (ambassadeurs et ministres multiplient les contacts), une offensive de charme (on cherche à séduire) , (une offensive hivernale la météo nous surprend).

Ce matin le parti socialiste repart à l'offensive.. Cette offensive  est  médiatique, avec prises de parole et interviews. En l'occurrence on parlera d'une double offensive :  Laurette Onkelinx accorde une interview au journal le Soir, alors  qu'Elio Di Rupo s'exprime dans la libre Belgique.  L'offensive est politique. Le PS annonce donc sa fidélité au socialisme et son intention de renouer avec les grands débats ,  le chantier des idées annonce Elio Di Rupo,  qui  sera lancée le mois prochain. En clair le PS veut réfléchir à son programme. Les critiques qui viennent du syndicat socialiste ou ce qui se passe en Grèce avec l'essor de la gauche radicale l'ont touché, face au bouleversement du monde, parole aux militants. 

Comme dans toute offensive on tente de blesser l'ennemi. Pour Laurette Onkelinx : un gouvernement qui a peur de son ombre et refuse tous les débats. Pour Elio Di Rupo : un  gouvernement fédéral qui mène une politique de papa : allusion à la fois à Louis Michel et à un gouvernement qui regarderait vers le passé. A bien y regarder cette double offensive est aussi défensive. Laurette Onkelinx y revient sur le style qu'elle imprime au parlement : une colère ça  s'exprime sincèrement explique-t-elle, quand deux ministres tiennent certains propos sur la collaboration il y a de quoi être en colère, avant d'ajouter que le mot d'hystérie ne la touche pas. 

 De son côté Elio Di Rupo balaye d'un revers de main l'idée qu'il serait trop âgé pour conduire le PS   : je mets mon expérience et ma fougue au service de la gauche en général et du PS en particulier. Les deux leaders socialistes, sur la défensive, déminent donc les critiques internes et laissent penser l'offensive redoutée viendrait de l'intérieur du parti. 

Cette double offensive inquiète-t-elle le premier ministre ? Probablement pas. Que l'opposition s'oppose c'est son boulot.  Charles Michel est donc sans doute davantage préoccupé par les états d'âme du CD&V. Le parti chrétien-démocrate flamand, membre de la majorité, demande qu'on corrige la politique gouvernementale.  Plus de justice fiscale et moins de sécuritaire. Dernier épisode en date, l'indexation des loyers, une véritable injustice pour les locataires qui sont souvent des salariés : le salaire sera bloqué, le loyer risque d'augmenter. 

Vous connaissez l'adage : en politique il faut se méfier de ses amis, pas de ses ennemis.  Charles Michel doit donc d'abord assurer la cohésion de son gouvernement : sans le CD&V il n'y a pas de majorité, et il lui faut une grande souplesse pour tenir le grand écart entre la NVA et le CD&V. Ensuite il devra  réfléchir à une contre offensive. C'est une question de positionnement et un enjeu d'image tout sauf  anecdotique : se présenter comme un gouvernement de centre droite quand les critiques viennent de l'intérieur risque de devenir compliqué. Le débat va devenir sensible d'ici quelques semaines  lorsque nous aborderons le contrôle budgétaire. Le CD&V n'est pas la gauche, ni même le centre gauche. C'est un parti du centre. Il est  aujourd'hui clairement à l'offensive. 

17 février 2015

La tentation de l'exil

Exil : situation de celui qui est obligé de quitter sa patrie. Le mot exil désigne à la fois le fait de partir mais aussi le lieu dans lequel on réside. Être en exil c'est vivre à l'étranger avec la nostalgie du pays d'origine. 

Si je vous parle d'exil ce matin c'est a cause d'une vidéo que vous avez peut être vue ou que vous verrez peut être. Tele Bruxelles y a consacré une séquence dans son journal de lundi soir, et on en parle abondamment en radio ce matin.  On y voit des citoyens belges tenir une pancarte, lettre blanche sur fond noir : je suis belge et je suis juif , dois-je partir. A voix haute, chaque intervenant explique l'histoire de sa famille :  on est arrivés en Belgique dans les années 30, on aime ce pays mais on ne s'y sent plus très bien,  faut-il partir ? Cette petite séquence est  dérangeante parce qu'elle évoque l'idée d'exil. Un exil à la différence d'une émigration est quelque chose de douloureux et de subi. On ne s'exile pas volontairement mais pour des raisons de sécurité. Chez les romains l'exil était une peine, on était banni de la république. La pratique a traversé les âges :  Bruxelles accueillit  de grands exilés en délicatesse avec leur pays d'origine comme Victor Hugo ou Karl Marx. 

Cette vidéo nous secoue parce qu'elle met un visage sur  l'antisémitisme et porte la parole de ses victimes. Bien sur il y a une part de récupération. On a repris la typographie de "je suis Charlie", parmi les anonymes se trouvent une élue du mouvement réformateur, l'intention de faire un coup politique et de frapper l'opinion est évidente. Bien sûr encore ce collectif n'est  pas représentatif, la grande majorité des juifs de Belgique n'a pas l'intention de partir, et même ceux qui figurent dans la vidéo emploient la formule avec un point d'interrogation. Cette vidéo n'annonce pas un nouvel  exode, qui signifie un départ en grand nombre, mais elle met l'accent sur un mal être et dénonce le retour d'un antisémitisme au quotidien. Il faut la voir comme un message d'alerte. Au même moment le premier ministre  israélien invite les juifs d'Europe à rejoindre Israel. Pour lui ne s'agit pas d'un exil mais d'un accomplissement. Les israéliens utilisent le terme "d'Alyah. "

L'exil ou  ou l'exode des juifs, cela  nous renvoie aux heures les plus terribles de notre histoire. Celles ou les juifs  était persécutés, éliminés pour ce qu'ils étaient. Non les juifs de  France , du Danemark ou de Belgique ne doivent pas choisir l'exil.  L'antisémitisme comme le racisme anti-musulman,  ne sont pas tolérables chez nous. Le projet européen c'est celui de la coexistence qu'on soit juif, chrétien, athée ou musulman.  Rejeter l'autre et le contraindre à l'exil  c'est donner raison aux terroristes. 

16 février 2015

Attaques et contre-attaque

Attaque : action d'attaquer, démarche violente et agressive. Le mot est au pluriel : les danois de Copenhague ont subi une double attaque. On attaque quelque chose ou quelqu'un. En l'occurrence un débat sur l'art, le blasphème et la liberté puis une synagogue où se tenait une bar-mitsva, cette cérémonie qui célèbre la "majorité religieuse" des   jeunes garçons juifs lorsqu'ils atteignent l'âge de 13 ans. 

Ces attaques danoises résonnent comme une réplique à celles de Paris. On vise les mêmes cibles :  des dessinateurs parce qu'ils usent de la liberté de dessiner un Dieu qui n'est pas le leur. Des lieux fréquentés par les juifs, parce qu'on prétend venger des palestiniens qui se trouvent à 3000 kilomètres et qui n'ont  rien demandé. On procède de la même manière, à l'arme automatique. On sait qu'on a très peu de chance de s'en sortir, et d'ailleurs on ne s'en sort pas. 

Ces deux attaques ne sont pas la preuve d'un un vaste plan stratégique, pensé, organisé et centralisé. Les attaquants se sacrifient, pas de retrait  possible, pas d'exfiltration , peu de logistique, pas de soutien apparent. Moins qu'un plan, plutôt une reproduction, une copie. Les nouveaux terroristes agissent par mimétisme. On fait comme à Paris. Ou comme à Bruxelles, car il est difficile de ne pas relier l'attaque contre le musée juif aux attaques suivantes. L'absence de coordination entre les auteurs n'interdit pas de les considérer comme une série. Ce ne sont pas de vraies guerres, même pas de vrais attentats à l'explosif comme dans les années 70 ou 80. Il y a moins de victimes, mais il y en a quand même, et c'est une injustice parce que ces hommes et ces femmes n'ont rien fait d'autre que de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. La mise en ligne d'une vidéo citant Bruxelles et Paris confirme la menace et tente d'inciter d'autres brebis égarées à passer à l'action. L'auteur de ce blog aimerait d'ailleurs que les journalistes réfléchissent à deux fois avant de décider ou non de la diffuser. 

L'Europe doit donc vivre avec ces attaques. S'y préparer, les redouter, les prévenir. 

Comme au football, face à l'attaque il faut organiser sa défense. Comme au football  on aurait tort de croire qu'aligner des hommes empêchera l'attaquant de percer nos lignes. Avant de chausser les chaussures à crampon une analyse lucide ne fait pas de tort. Ces attaques ne sont pas celles du monde musulman contre les juifs, les chrétiens ou les athées. Ces attaques sont celles des obscurantistes contre la lumière. L'attaque des violents contre les tolérants. L'attaque de la bêtise, de la frustration, de la vengeance. Pour riposter il faut viser juste. Se préoccuper d'abord de ce califat qui ronge le moyen orient. Attaquer Daesh, couper son financement, protéger ses victimes, qui sont d'abord des victimes musulmanes. Régler la coexistence entre israéliens et palestiniens, car chaque injustice commise au nom de l'Occident est un argument de propagande contre l'Occident. Former des imams au lieu d'importer des individus en décalage avec le monde dans lequel il prêche. Considérer nos compatriotes musulmans au lieu de les rejeter. Mais aussi s'interroger  sur ces armes qu'on trouve si facilement dans nos grandes villes. Et, même sur l'éducation qui reste le meilleur rempart contre la bêtise. Face aux attaques il ne faut pas  foncer tête baissée sur le chiffon rouge qu'on agite devant vous.  Les tacticiens du football le confirmeront : les meilleures  contre-attaques sont celles où l'on relève la tête. 

01 février 2015

Trois leçons à tirer de l'affaire Vervoort

Nous venons de traverser une semaine qui marque probablement un tournant dans l'histoire du gouvernement Michel. Une semaine qui aura vu deux camps se radicaliser : d'un côté la majorité gouvernementale avec la NVA dans le rôle du parti moteur, et un MR qui semble enclin à lui emboîter le pas avec de moins en moins de réserves, de l'autre un PS qui se cherche et n'arrive plus à trouver le ton juste. Entre les deux un CD&V qui met en musique ses difficultés et ses états d'âme comme une manière de se démarquer et d'exister,  et le reste de l'opposition francophone qui peine à se rendre audible. Beaucoup de choses ont été écrites, mais il me semble qu'on peut aller un peu plus loin. Ce n'est pas parce qu'on est ému ou choqué qu'on doit se contenter d'une analyse à courte vue.
 
Reprenons la séquence. Tout part d'une interview de Rudi Vervoort à Martin Buxant pour l'Echo.
"La déchéance de nationalité cela a toujours  arme utilisée par les régimes extrêmes. Quand on voit Auschwitz, quand on voit que dans l'Allemagne hitlérienne, les premières lois qui ont été votées, ce sont les déchéances de nationalité pour les Juifs. Le contexte est différent, mais regardez, on reprend quand même ces vieilles recettes aujourd'hui."
Ou encore : "La déchéance de nationalité, c'est une recette qui a été utilisée par les Allemands pour considérer que les Juifs n'étaient pas des citoyens à part entière. Le régime de Vichy a fait la même chose: les lois d'exception de Vichy, c'était aussi la déchéance de nationalité des Juifs français à qui on retirait tous leurs biens. La déchéance de nationalité, ça a une histoire". 

Quand on développe deux fois la même idée cela ne relève pas de la distraction. Les propos sont plus que maladroits : ils sont choquants, parce qu'ils mettent sur un même pied des hommes et des femmes déchus de leur nationalité pour ce qu'ils étaient (les juifs des années 30) avec des hommes qui risquent de l'être pour ce qu'ils auront fait (les jihadistes reconnus coupables de crime). Derrière la charge excessive se cache une faute morale évidente. C'est aussi une erreur politique majeure, on y reviendra. Elle est surprenante car personne ne soupçonne Vervoort de racisme (ce qui le différencie d'un Franken par exemple).  C'est enfin une boulette de communication digne d'un débutant. Le moindre député sait qu'on ne compare pas la politique d'aujourd'hui avec le nazisme sous peine de s'exposer à une volée de bois vert (le fameux point Godwin), un ministre-président doit donc l'avoir intégré depuis longtemps. Surtout, se retrouvant face à Martin Buxant, journaliste expérimenté et dont le sens de l'accroche n'est plus à démontrer, le ministre-bruxellois aurait dû préparer son interview. Calibrer ses phrases, tester des formules, définir son discours. A lire l'article c'est tout l'inverse.

Si la référence au nazisme n'avait pas attiré le regards et les commentaires, nous aurions aussi pu débattre du reste de l'interview. Quand Rudi Vervoort énonce que la fédération Wallonie-Bruxelles est une "phase transitoire" vers l'autonomie des régions, cela n'a sûrement pas le caractère scandaleux d'une comparaison avec le nazisme, cela n'en reste pas moins une déclaration forte et novatrice, en rupture totale avec l'affirmation de la communauté comme lien intangible des francophones (discours  qui constituait le dogme absolu du tandem Di Rupo-Milquet sous la précédente législature). Petit à petit Vervoort tient des propos de plus en plus ouvertement régionalistes. Petit à petit il s'émancipe de la doctrine du boulevard de l'Empereur. C'est la première leçon, même si la boulette de communication va temporairement l'affaiblir : le ministre-président a la velléité de s'affirmer et d'incarner un discours pro-bruxellois. La dynamique qu'il réussira ou pas à créer avec des régionalistes wallons comme Jean-Claude Marcourt sera intéressante à observer. 

La deuxième leçon à retenir c'est le Mouvement Réformateur qui l'offre, avec une réaction virulente qui relance l'antagonisme bleu/rouge. C'est Didier Reynders qui, une fois encore, donne le ton, en évoquant des propos "indignes" dés le matin chez Bertrand Henne à la RTBF. La polémique est lancée. Le mot sera repris par tous les élus et militants MR. La déferlante est énorme, de la page Facebook des militants jusqu'à une déclaration du premier ministre Charles Michel. Là aussi tout le monde ne calibre pas sa communication avec le même professionnalisme. Lorsque Richard Miller rétorque dans le Soir que "dans national-socialisme il y a socialisme" il est exactement dans le même registre que Rudi Vervoort. C'est donc tout aussi indigne, tout aussi lourd, tout aussi scandaleux. Mais cela fera moins de bruit. Peu de journalistes le relèveront et personne au MR ne rectifiera. On doit bien parler d'indignation sélective et politiquement orientée. 

Cette semaine on assiste donc à la mise en place de ce clivage caricatural  : les pro-musulmans avec le PS, les pro-juifs avec le MR. Les accusations  d'antisémitisme et de communautarisme d'un côté contre un abandon (pour ne pas dire une stigmatisation)  des quartiers populaires et immigrés de l'autre. Puis-je écrire que c'est aussi puéril que dangereux ? Et que les hommes d'Etat des deux camps devraient  s'abstenir d'instrumentaliser des sentiments aussi bas ? Condamner tous les racismes est un examen de conscience qu'on devrait s'imposer en permanence. 

 On retiendra aussi et surtout de l'épisode que le MR assume une politique sécuritaire qui commence pourtant à gêner  le CD&V. C'est vrai pour la déchéance de la nationalité mais aussi pour la présence des militaires en rue. La NVA propose, le MR approuve, le CD&V renâcle. Laissons nous un peu de temps pour la confirmer mais posons cette hypothèse : en montant au pouvoir avec la NVA et en constatant les succès médiatiques et politiques de Bart De Wever le Mouvement Réformateur est en train de glisser vers la droite. Comme si les libéraux voulaient se "décomplexer" et qu'après avoir longtemps voulu gagner les élections au centre (le fameux libéralisme social) ils entendaient désormais faire pencher le balancier plus clairement et se distancier de toutes les autres formations francophones. L'état de choc de l'opinion après les attentats et le populisme ambiant dans la presse et sur les réseaux sociaux encouragent sans doute  une politique sécuritaire forte. Il est singulier de voir que c'est désormais le CD&V qui incarne la résistance aux risques de dérives en la matière. 

Si le CD&V fait entendre sa différence c'est parce que l'opposition s'est tue et c'est la troisième leçon de la semaine. Le debat sur la pertinence et l'efficacité du retrait de la nationalité mérite d'être défendu. Si le CD&V s'en saisit c'est bien parce que les interrogations posées dans le fameux interview polémique étaient légitimes mais exprimées de manière excessive. La forme a tué le fond.  La faute de Rudi Vervoort disqualifie son parti et est un revers politique majeur pour le PS, aux conséquences électorales imprévisibles. Parce que les libéraux ont tapé fort et instrumentalisé l'incident, on l'a vu. Mais aussi parce que cela tombe dans un moment où les pouvoirs en place sont légitimement confortés (les périodes d'incertitudes, parce qu'elles poussent au réflexe d'union nationale sont bonnes pour tous les gouvernements, ce qui est vrai pour Francois Hollande l'est aussi pour Charles Michel). Ici cet effet est décuplé par la boulette et son tohu bohu médiatique. Ce n'est pas tout. Cela ruine aussi le discours de respectabilité que tente d'incarner Elio Di Rupo." Nous  sommes le parti de gouvernement et de stabilité alors que les libéraux sont des aventuriers" : cette stratégie de communication n'est plus possible. 

Pire encore,  les libéraux obtiennent une belle revanche sur la séquence Jambon-Franken de la rentrée d'octobre. Dans le registre des comparaisons douteuses avec la seconde guerre mondiale c'est désormais 1-1. Et même si on notera que les  libéraux les plus culottés dans leur critique du ministre-président bruxellois étaient ceux qui étaient les plus cléments avec leurs alliés de la NVA, voici le PS privé d'un de ses meilleurs arguments. La NVA était infréquentable, mais après  l'affaire Vervoort, le soupçon s'est déplacé. Le silence d'Elio Di Rupo, éloquent, témoigne d'un président de parti tétanisé.