29 décembre 2014

Djihad : la comédie qui explique une tragédie

Puisque nous sommes en période de fêtes, permettez-moi de sortir un instant de mon rôle. Non pas que je souhaite délaisser mes thèmes habituels (la politique, le vivre ensemble, la communication) mais parce que je vous propose un détour théâtral pour y revenir.
Je viens de voir la pièce Djihad d’Ismaël Saïdi. 6 ou 7 tableaux (je n’ai pas compté) pour suivre le périple de 3 bruxellois partis en Syrie faire le Djihad. Sur scène Ismaël Saïdi est accompagné de Reda Chebchoubi et Ben Hamidou. Le thème est grave, mais le registre tragi-comique permet de le traiter avec légèreté. Les trois comparses incarnent des personnages décalés, des paumés en quête de sens, dont on mesure l’absurdité de la quête guerrière. Ben Hamidou rêvait d’être Elvis Presley (la scène est hilarante), Ismaël Saïdi se voulait dessinateur, le troisième voulait épouser une bonne catholique. Perdus en Belgique, les voici perdus en Syrie. Ce ne sont pas des djihadistes de choc, leurs bagages idéologiques et religieux restent minces, et on rit beaucoup de leurs déboires. En bon bruxellois, on s’échange quelques feintes et on met le doigt sur l’absurdité de la situation. Reda Chebchoubi campe magnifiquement un idiot attachant qui se révèlera être un ingénieur en perdition. C’est enlevé, rythmé, la salle rit de bon cœur.
Bien sûr on pourra trouver que l’œuvre est imparfaite.  Quelques démonstrations auraient pu être remplacées par des allusions plus suggestives . Mais l’essentiel est ailleurs. Oui on peut rire des djihadistes. Mais on peut en rire avec une certaine ironie, une compréhension de leurs parcours, et même une forme de tendresse pour leur désarroi. Et quand l’auteur est musulman c’est encore mieux.  Dans son texte Ismaël Saïdi pointe clairement le rôle des mosquées,  la pression "du quartier" combinés au sentiment de rejet des jeunes bruxellois comme éléments déclencheurs des candidats au grand départ. Il démontre aussi l’inefficacité de la démarche : le djihad ne change ni le monde, ni ceux qui choisissent de l’embrasser. Le plaisir est décuplé quand on regarde l’assistance : il y a là des jeunes, des mères de famille qui portent le voile, ce n’est pas le public guindé d’autres théâtres, on sait de quoi parle l’auteur. Il faudrait payer le billet d'entrée à Eric Zemmour et ses fans pourqu'ils constatent de visu que l'Islam Bruxellois se rit de ces combattants, et que définitivement, la vision totalitaire qui préside au Djihad est une déviance ultra-minoritaire.

Quelques centaines de jeunes belges ont choisi le Djihad. On estime à 200 ceux qui seraient partis de Bruxelles pour la Syrie. Certains sont déjà revenus, d’autres ne reviendront jamais. Ils auraient dû voir la pièce avant, mais c’est trop tard.
Même si nous sommes en période de fêtes, le journaliste politique va refaire surface. Il ne reste plus que deux représentations de Djihad. Si vous pouvez encore trouver une place courez-y. Si vous êtes ministre de l’éducation, échevin(e) de l’enseignement, responsable d’un pouvoir organisateur (il arrive que ces gens là lisent ce blog) faites en sorte de programmer ce spectacle dans les écoles. Vous aurez fait quelque chose d’utile et d’authentiquement pédagogique : cette comédie  est un excellent point de départ pour aborder un sujet si sérieux qu’il en devient tragique.

17 décembre 2014

Myopie

Myopie : trouble de la vision qui altère la vue de loin. De près le myope voit bien, de loin tout est  flou. La myopie est d'abord une affaire de génétique, une maladie héréditaire,  mais elle peut aussi avoir des causes environnementales ou comportementales : lire beaucoup,  passer du temps sur un écran, travailler  avec un éclairage insuffisant renforce les risques myopie. La myopie est très développée en Asie, plus de la moitié des asiatiques sont concernés, elle touche un américain sur trois et  un européen sur quatre. Contrairement aux idées reçues ce  n'est pas une maladie de vieux, parmi les moins de 20 ans , 20% sont myopes.  

Pourquoi  vous parler de myopie ? Parce que depuis quelques jours nous sommes atteints de myopie collective. C'est un trait dominant des médias. Pour séduire  le public il faut s'intéresser à ce qui est près plutôt qu'à ce qui est loin et  préférer l'anecdote au discours général. Le myope focalise, ce qui veut dire qu'il concentre son regard sur ce qu'il a devant les yeux. Depuis deux jours nous focalisons sur le jet d'une paire de vêtements par une déléguée syndicale. Le myope a vu  la vidéo qui dure 50  secondes, il n'a pas vu  les dizaines de milliers de belges qui faisaient la grève, ni les dizaines d'autres milliers qui renonçaient à travailler par empêchement plus que par conviction. Le myope retient des chasubles rouges, il ne perçoit pas les nuances de verts et de bleus qui existent sur les piquets de grève. 

Cette tendance à prendre les problèmes par le petit bout de la lorgnette est permanente. La myopie c'est par exemple résumer  le bilan du gouvernement à la dernière interview du premier ministre. Vous noterez au passage que le premier ministre, comme l'auteur de cette chronique, portent des lunettes de myope. La myopie c'est ne voir dans la NVA que les seules provocations de Jan Jambon.  La myopie c'est ne pas prendre le temps de s'arrêter  ce qui s'est passé au Pakistan : 132 enfants tués dans leur école. Aller à l'école pour s'instruire et ne pas en revenir est une  barbarie absolue. Pourtant cette tuerie occupe moins de place dans nos journaux que la prise d'otage de Sydney il y a deux jours. Nous sommes myopes parce que nous regardons le monde au travers des lunettes d'Internet et de la télévision. Il y a beaucoup de caméras et d'ordinateurs en Australie ou à Namur, il y en a moins à Peshawar. Moins d'images, c'est moins d'émotion, moins de place au café du commerce,  moins de prise de conscience : au  final ces 132 enfants nous occupent donc moins que notre amie Raymonde.

Est-ce grave ? Oui parce que cette myopie intellectuelle traduit  un manque de discernement, une incapacité à voir à long terme. Sans vision, pas d'avenir, le myope raisonne à courte vue. Il existe des verres correcteurs, on peut même subir des opérations pour corriger la myopie au sens physique. Contre la myopie médiatique il faut parfois changer de journal, ou,  par moment, relever la tête. 

11 décembre 2014

Emily Hoyos préfère se retirer : Ecolo changera de présidence

Elle aura fait durer le suspense. Ce jeudi soir à la RTBF et demain dans plusieurs quotidiens Emily Hoyos annonce qu'elle ne se présentera pas aux élections internes. Le souhait de prendre du recul expliquera-t-elle sans doute. Le constat d'une impasse aussi. Comme je l'expliquais dans mon article précédent il se confirme que la co-présidente sortante a bien cherché un colistier bruxellois... mais qu'elle a eu du mal à en trouver un capable de convaincre les militants. L'annonce d'Arnaud Pinxteren se déclarant candidat avec Véronica Cremasco a donc brusqué les choses. Emily Hoyos qui avait prévu de faire part de sa décision la semaine prochaine a décidé de parler la première, histoire de donner le sentiment qu'elle fixait l'agenda et maitrisait sa sortie.  Active à la Fédération des Etudiants Francophone, Emily Hoyos était entrée en politique en intégrant le cabinet de Jean-Marc Nollet, alors ministre de l'éducation. Parlementaire, elle avait été la première femme à occuper la présidence du parlement wallon. Agée de 37 ans elle avait été élue coprésidente avec olivier Deleuze en 2012. La contreperformance de son parti aux dernières élections aura eu raison de cette ascension rapide.

09 décembre 2014

A Écolo, les couples se forment (lentement)

Ne dites pas aux écologistes que le temps passe et que rien ne bouge. Ne leur dites pas non plus qu'ils sont en train d'entrer doucement dans une période de campagne électorale. Officiellement,   il ne se passe rien. D'ailleurs l'opinion publique a les yeux occupés ailleurs : la reine Fabiola, les grèves à répétition, ou encore le black-out ou la Syrie. 

Et pourtant. Cette semaine déjà, le journal le Soir  a révélé une partie du rapport de  regénération dont des écologistes débattront ce vendredi en conseil de fédération. Fusionner  Ecolo et Groen, la grande et belle idée a déjà fait le tour des gazettes ce weekend. Derrière ce rapport c'est pourtant une autre question tout aussi fondamentale que les écologistes devraient se poser et qu'ils refusent pourtant obstinément d'aborder : qui incarnera leur projet ?

 "Dans la situation actuelle, nous n'avons pas le droit à l'erreur, l'enjeu c'est d'éviter de disparaître" commente, amer, un écologiste. C'est dire l'importance du scrutin interne annoncé. En coulisse les membres influents ne parlent donc que de ça : quel est le bon tandem pour trouver un nouveau souffle ? Dans la lumière  et face à un journaliste la question frise le tabou. "Nous avons convenu qu'aucune candidature ne serait mise sur la table avant que le rapport ne soit adopté", circulez il n'y a rien à voir.  

Vendredi l'adoption du rapport interne lancera pourtant ces hostilités que les écologistes s'acharnent à vouloir éviter. Ne leur dites que des candidats se profilent déjà, cela les ulcèrent. Officiellement personne n'est candidat. On réfléchit, on analyse, on discute. Officieusement la campagne est pourtant déjà bien lancée. Trois équipes au moins se préparent. Même s'il est possible que certains renoncent à se présenter au final.

Le premier tandem à s'avancer sur la place militante est celui que pourraient (le conditionnel est nécessaire) constituer le bruxellois Arnaud Pinxteren et la liégeoise Veronica Cremasco. Deux parlementaires régionaux qui font partie de la génération montante.  Avantage de l'équipage : ce ne sont pas des novices et ils occupent une position centrale, pas trop proches de la présidence sortante, pas catalogués comme opposants non plus, ils peuvent incarner ce qu'il faut de continuité avec une pointe de rajeunissement. Arnaud Pinxteren a reconnu ce mardi sur le plateau de Tele Bruxelles que le duo réfléchissait, mais que la candidature n'était pas formellement arrêtée. Surtout ne rien dire avant vendredi.  

Second tandem probable une équipe composée de Zakkia Khattabi et Patrick Dupriez. La députée fédérale bruxelloise alliée à l'ancien président du parlement wallon formeraient (toujours ce conditionnel) un duo plus à gauche et plus contestataire que le précédent. Il incarnerait la rupture et un parti plus en phase avec les fondamentaux militants, quitte à paraître plus radical et moins grand public pour l'électeur. 

Enfin, une troisième équipe peine à se former : celle d'Emily Hoyos. La co-presidente sortante devrait se représenter mais on ne sait pas encore avec qui (sauf que ce sera un Bruxellois comme l'exigent les statuts). D'après mes informations Benoit Hellings et Christos Doulkeridis ont été approchés et réservent leurs réponses. Hellings, qui s'était présenté contre Hoyos la dernière fois semble moyennement chaud et Doukeridis sait qu'il convainc plus facilement à l'extérieur qu'à l'intérieur de son parti. On parle désormais d'un troisième homme qui constituerait la surprise du scrutin. La puissance médiatique d'Hoyos étant largement contrebalancée par le syndrome "femme à battre" le colistier, quel qu'il soit,  sait qu'il prendra des risques.  

On en est là. Dans ce round d'observation ou tout se commente mais rien ne se confirme. Les élections sont programmées pour le printemps. Et même si les écologistes préfèrent toujours vous expliquer qu' ils  donnent la priorité aux grands discours, au programme et aux projets collectifs  ils ne peuvent oublier une réalité politique et médiatique qui s'impose à tous : celui qui incarne un parti a besoin de temps pour s'affirmer. Partir de nulle part pour des élections qui tomberont au plus tard en  2018 (on n'exclut pas que ce soit plus tôt) et qui risquent d'être très communautaires, ce n'est pas gagné. Déjà , Écolo semble inaudible dans les grands débats des dernières semaines (alors qu'on a abondamment parlé d'énergie ). Ce n'est pas la fable du lièvre et de la tortue, mais plutôt celle du loup et de l'agneau. A passer trop de temps sur la ligne de départ, on finit par être mangé avant même de se lancer.