27 mai 2014

Le "projet progressiste" et les coalitions possibles

Il faudra encore quelques jours pour entrer dans le vif du sujet. Le temps de faire baisser la pression nerveuse et médiatique. Le temps d'oublier les grandes déclarations de la campagne électorale. Le temps de quelques contacts discrets loin des regards et des oreilles de la presse. En attendant donc, on organise des rencontres et des tours de tables, on se documente. Une bouffée d'air pour réguler ardeurs et calendrier, que cela s'appelle information au niveau fédéral, ou premières consultations dans les régions, le principe est le même : temporiser. Le schéma est connu : recevoir tous les leaders politiques, puis enchaîner avec les partenaires sociaux, le monde académique, la banque nationale, le commissaire au plan, prendre quelques jours pour rédiger un rapport ou l'on tente de fixer une orientation ... Ce n'est qu'après que les choses sérieuses débuteront.

Il n'empêche. Laurette Onkelinx a donné des ce lundi soir une première indication : "dans les jours qui viennent, je vais prendre des initiatives autour d'un projet  progressite" disait-elle à l'issue du bureau de parti qui lui confiait les rênes de la négociation bruxelloise. "Projet progressite" la notion peut paraître vague (un conseiller libéral me confiait en ne souriant qu'à moitié qu'il était bien progressiste, et que les conservateurs n'étaient pas dans son camp) mais elle renvoie plutôt dans l'imaginaire socialiste à une idée de la gauche. En d'autres termes le PS va d'abord tenter de nouer des coalitions de centre-gauche. 

C'est une question de cohérence d'abord, puisque lors de la campagne plusieurs ténors socialistes ont fait part de leur désir d'éviter de préférence les libéraux "si cela est arithmétiquement possible". C'est une question de rapports humains ensuite : bleus et rouges ne se sont pas épargnés, et même si de nombreux cadres des deux formations rêvent de violette, les échanges virulents sur les plateaux TV ont laissé des traces entre dirigeants  (traiter un concurrent de menteur c'est l'argument ultime en politique et cela n'est jamais sans conséquence). Enfin c'est une question de stratégie électorale. Maintenant que le PTB pose un pied dans les assemblées, négocier avec les libéraux serait lui offrir l'argument du "gouvernement des droites" sur un plateau. Tant qu'à se faire critiquer autant que cela vienne des deux côtés, plutôt que d'être la cible exclusive de votre propre camp. Ajoutez la proximité des programmes et que vous comprenez que le PS va, dans un premier temps au moins, privilégier une alliance sans libéraux. 

Ecolo étant  sanctionné par les électeurs (on voit mal la directiondu parti vendre une participation quelconque en assemblee générale ) une coalition rouge romaine, traduisez PS/CDH, semble envisageable en Wallonie, et une alliance des  mêmes avec le FDF en prime pourrait bien voir le jour à Bruxelles. Ça ressemble à un projet progressiste et cela représente une majorité.  Simple ? Oui peut être trop simple.  D'abord il faudra que FDF et CDH disent d'accord. Ensuite il ne faut pas oublier que le MR dispose encore d'une carte dans son jeu. Il a perdu l'argument du premier parti à Bruxelles qui était sans doute son meilleur biais (avoir la main à Bruxelles) pour entrer dans les majorités régionales (je te prends à Bruxelles si tu me prends en Wallonie). C'est donc de ce point de vue un échec  pour Didier Reynders et Vincent De Wolf même s'ils réalisent l'un et l'autre de très bons scores personnels. Mais  pour les libéraux il reste l'echelon fédéral. Forts de 20 députés (3 de moins que le PS) les libéraux sont un groupe qui compte lorsqu'il faudra former un gouvernement fédéral. 

Voici donc les stratégies : avancer vers des coalitions "progressistes" au niveau régional  pour le PS. Crier au loup et appeler à des gouvernements symétriques pour le MR. Vous noterez que comme ils n'ont pas la main, les libéraux communiquent beaucoup depuis deux jours sur leurs bons scores  (réels mais improductifs car le gagnant c'est toujours le plus gros, même s'il est en recul), histoire de prendre l'opinion à témoin et de faire pression sur les socialistes. 
Cette formation de gouvernement sera donc sans doute aussi une question de tempo. Si le fédéral s'enlise les régions vivront leur vie. Si les discussions y sont sérieuses, le sort des régions y sera lié. 
On connait l'argument de Charles Michel : partout ou nulle part. Sauf que Charles Michel n'a pas la main. Et que si dans quelques mois les voix du MR sont nécessaires pour sortir le pays de la crise le MR n'aura probablement pas beaucoup d'autre choix que de dire oui : on n'est pas celui qui porte la responsabilité d'une  crise de gouvernement impunément, l'Open VLD s'en souvient encore. À ce stade le rouge romain  a donc le vent en poupe. Si les choses s'enveniment la violette ou  la tripartite classique s'imposeront  comme une évidence : plus larges, plus solides, même on n'est pas aujourd'hui dans ce climat là. Et si on y arrive un jour, faire sentir que c'est une option, mais pas la seule, permet d'en faire payer le prix à vos partenaires. Paradoxalement c'est donc le MR qui aurait maintenant le plus intérêt à un durcissement du débat communautaire, parce qu'il justifierait un front francophone. 

Sprint d'un côté, marathon de l'autre. Ajoutons que le PS, s'il a la main, n'est pas numériquement incontournable, et que dans l'absolu tout est encore possible, il devra donc éviter d'humilier ses partenaires. La seule certitude ce mardi étant la quasi impossibilité de reconduire des coalitions Olivier. 
La course ne fait que commencer.


24 mai 2014

Fin de campagne



Demain, vous voterez. C'est votre devoir. Pas seulement parce que c'est la loi, mais aussi parce que notre liberté et notre bien-être reposent sur le choix que posent, à intervalles réguliers, les électeurs. Les discours populistes et anti-politiques ne peuvent nous faire oublier que d'autres luttent, jusqu'à la mort parfois, pour accéder à cette forme de démocratie représentative que l'Europe a mis plusieurs siècles à mettre en place.
Pour commenter cette dernière semaine de campagne, je m'efface. Place à mes confrères bruxellois, qui semaine après semaine m'accompagnent dans l'émission "Les Experts" sur Télé Bruxelles. Ecoutez-les. Ils s'indigent des buzz à bon marché, s'interrogent sur les clivages, osent des pronostics. Bonne écoute. Et bon vote demain.

21 mai 2014

Le grand débat de Bruxelles survol(t)é par les avions



J'ai co-animé ce soir un débat des têtes de listes à la Région Bruxelloise. En collaboration avec le Soir, nous avons fait le choix de mettre Rudi Vervoort, Didier Gosuin, Joëlle Milquet, Vincent De Wolf et Christos Doulkeridis, les uns face aux autres en présence du public. Nous avons fait également le choix d'un débat long (1H30) pour aborder des thèmes en profondeur.
Sans surprise c'est sur la question de la NVA et sur l'épineux problème du survol de Bruxelles que les échanges furent les plus vifs. Le résultat en vidéo ci-dessus. Demain la seconde partie avec les questions du public (les militants de Pas Question étaient nombreux dans la salle) sera visible sur le site du Soir.
Et nous vous donnons rendez-vous demain, toujours à Bozar, pour le débat des têtes de listes à la chambre....

18 mai 2014

La dernière semaine

Dans 7 jours, à l'heure où j'écris ces lignes, le choix des citoyens belges sera connu. On saura qui est en mesure "d'avoir la main" pour essayer de former des coalitions et quelles sont les majorités arithmétiquement possibles au Fédéral, en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie.  
7 jours pour convaincre ceux qui n'ont pas encore fait leur choix, 7 jours pour essayer de faire changer d'avis ceux qui veulent voter ailleurs, 7 jours pour affaiblir vos adversaires : voilà ce à quoi vont s'employer, avec une ferveur renouvelée, les militants de tous les partis politiques et les ténors qui vont désormais s'affronter par petit écran interposé (l'essentiel des dispositifs audiovisuels se concentre toujours sur cette dernière semaine). 

Dans 7 jours donc, commentateurs, politologue et orateurs divers essaieront de déterminer qui a "gagné les élections". Dans un système proportionnel, ce n'est pas si simple à déterminer. Celui qui gagne les élections peut être celui qui arrive en tête du scrutin ( en sièges ou en voix, ce qui n'est pas toujours la même chose), celui qui progresse le plus par rapport au scrutin précédent (or on peut etre premier et perdre beaucoup, sans compter qu'on comparera à la fois avec les élections  de 2009 pour les régions  et le score de 2010 pour le , ce qui ne va faciliter la vie des commentateurs) ou encore celui qui est à même de former une majorité grâce aux alliés qui le soutiendront plutôt que son concurrent (et là tout est possible). 
À titre personnel j'ai plutôt un faible pour la première définition, mais il ne faut pas sous-estimer l'importance des deux suivantes (et comme cette année je ne commente pas en direct, vous avez raison, on s'en moque de mon avis). 

À quoi faut-il être attentif cette semaine, et quelles sont les grandes questions auxquelles les urnes (et donc les citoyens) doivent répondre ? Pour ceux qui débarquent dans la campagne en ayant pris le risque de rater tous les epidsodes précédents j'essaye de synthétiser l'enjeu en 5 interrogations. 

1. Quel score pour la NVA ? 
C'est la question centrale. Si l'on ne veut pas revivre le scénario de 2010 et ses 541 jours de crise, la puissance du parti de Bart De Wever est la clef du scrutin. Savoir si son score lui donnera ou pas la possibilité de poser des exigences difficilement acceptables par les formations francophones. Au dessus de 30% difficile de se passer de la NVA. En dessous c'est jouable. On notera aussi que la question est à deux étages : Flandre et Fédéral. On peut imaginer des nationalistes flamands présents au gouvernement régional, mais absents rue de la Loi. Seule certitude : la NVA veut des gouvernements les plus a droite possible, on l'imagine difficilement tendre la main à Groen ou au SPA. 

2.Quel leadership côté francophone ? 
La course en tête se joue entre MR et PS. À ce stade, dans le sondages, le PS est donné gagnant en Wallonie, les deux partis sont au coude à coude à Bruxelles. Cela a son importance, car la formation classée numéro 1 reçoit les clefs de la négociation. Elle est amenée à mener le premier tour de discussion, et si ses négociateurs ne sont pas des manches, elle a toutes les chances d'être dans la majorité. L'usage veut que le numéro 1 empoche la ministre-présidence du niveau de pouvoir concerné, mais il y a parfois des arrangements. 

3. Qui pour la troisième place ? 
C'est un match entre CDH et Ecolo. Le FDF joue dans la pièce pour Bruxelles (mais pas du tout en Wallonie ou ce sera plutôt la 6ieme ou 7ieme). Décrocher la troisième place c'est vous placer en position de force dés lors qu'on se dirige vers des coalitions à 3 ou plus. Voilà pourquoi CDH et Ecolo ont sorti les couteaux. 

4. Quel score pour les partis émergents ? 
À première vue la question est anecdotique. On imagine assez peu de nouveaux partis entrant dans un des parlements faire un tel score qu'ils seraient nécessaires à la formation d'une coalition. À seconde vue un score important impliquerait un morcellement du paysage politique et contraindrait les formations traditionnelles à des coalition plus larges qu'à l'accoutumée (plus de gros dedans, car ils sont moins gros qu'avant, et que les petits , qui restent dehors, ne sont pas si petits,  avec  le paradoxe que ce scénario renforce les petits pas si petits a l'élection suivante, je ne sais pas si vous me suivez). 

5. Coalitions symétriques ou pouvoirs autonomes ? 
En théorie rien n'oblige à avoir des niveaux de pouvoir homogènes politiquement. On peut donc imaginer autant de coalitions différentes qu'il y a de niveaux de pouvoir (Fédéral, Flandre, Wallonie, Bruxelles -qui compte double puisqu'il faut une majorité francophone et une majorité néerlandophone- mais aussi Communauté Française, alias la fédération Wallonie-Bruxelles, et communauté germanophone). Dans la pratique un minimum de symétrie ça aide, ça permet de coordonner les politiques et de ne pas être en guerre permanente. En début de campagne les libéraux insistaient beaucoup sur la symétrie ("partout ou nulle part") mais ils sont moins catégoriques au fur et à mesure que le scrutin approche. Au PS on aimerait bien repproduire la situation actuelle (avec les libéraux au fédéral, avec l'Olivier dans les régions) parce que ça mouille tout le monde et que ça neutralise les oppositions. Dans les autres formations on ne se pose pas trop la question et on prendra ce qui se présente, c'est la realpolitik. 

Voilà. Rendez- vous dimanche soir pour ramasser les copies. N'oubliez pas un point central : l'avenir du pays n'appartient pas qu' aux francophones. Toute coalition fédérale doit reposer aussi sur des partenaires flamands. Sinon ce serait trop facile. 

15 mai 2014

Dehaene, la parole du bougon

I














Avec Jean-Luc Dehaene c'est une partie de notre vie politique (et pour moi une partie de ma vie professionnelle) qui s'en va. 

Souvenirs, louanges, hommages, c'est la règle dans ces moments d'émotion. Pour Dehaene le choc est d'autant plus grand qu'on le savait malade...  et c'est finalement une mauvaise chute qui l'emporte. 

Je laisse aux élus qui ont travaillé avec lui, de beaucoup plus près que moi, le soin de dresser le portrait du "plombier", "démineur" ou autre "taureau de Vilvorde" (les différents surnoms que les journalistes lui donnèrent). Je me contenterais, avec beaucoup de modestie, de rapporter 3 souvenirs. 

Le premier c'est ma première conférence de presse dans le bunker du 16 rue de la loi. Il est tout neuf ce bunker. Dehaene a voulu que les journalistes aient une salle de presse pour entendre le gouvernement présenter les décisions prises quelques minutes plus tôt  lors de la réunion du conseil. Cette salle, encore en activité aujourd'hui, a été construite dans les sous-sol de la chancellerie du premier ministre. On y trouve tout le confort moderne : des fauteuil en amphithéâtre,  une cabine de traduction, un rétroprojecteur, des branchements câbles pour les caméras, une pièce à coté avec des téléphones pour "dicter" son papier et même un bar au demi-étage (à l'époque les journalistes politiques ont la réputation d'être régulièrement déshydratés mais le bar ne fera pas recette et sera rapidement fermé). Dehaene offre un outil de travail aux journalistes, et il s'assure aussi qu'ils ne traineront plus au rez-de-chaussée, au même étage que ses ministres. Je suis un petit jeune et c'est Jean-Jacques Deleeuw qui m'a envoyé pour Bel RTL. La conférence de presse est une catastrophe. "Onze Jean-Luc " commence une phrase en français, glisse au néerlandais au milieu et change encore de langue avant la fin. Sur mon enregistreur je n'ai pas une seule phrase complète à utiliser. A la fin de la conférence je me lève et demande poliment à Monique Delvou, sa porte-parole, si je peux avoir une interview séparée,  et me glisse dans la file derrière les TV. C'est la première fois que je l'approche, j'en tremble. Je lui pose ma question, il lève les sourcils "mais j'ai déjà expliqué ça", je lui bredouille que c'était en néerlandais que j'ai besoin d'un bout en français. Il  grommelle deux phrases, et tourne les talons, je n'aurai pas droit à une seconde question. 

Avec la presse Jean-Luc Dehaene adopte toujours le style bougon. La tactique habituelle, qui consiste à se mettre en ligne avec les  confrères  pour ralentir le passage des hommes politiques et les contraindre (certains se laissent contraindre plus facilement que d'autres)  à répondre, ça ne marche pas avec lui. Face à la meute Dehaene fonce et s'impose en pilier de rugby sans desserrer les dents. C'est l'époque où les équipes TV peuvent encore travailler librement dans les couloirs du parlement. On ne compte plus les courses poursuites dans l'escalier de la chambre ou du sénat, le plus souvent en vain. 

Quelques années plus tard, je me retrouve à l'interviewer chez lui à Vilvorde (j'y suis allé 2 ou 3 fois si je me souviens bien).  Il est dans le jardin, rentre comme un bulldozer dans sa maison, nous guide jusqu'à son bureau pour l'interview, demande à Célia s'il faut mettre une cravatte, répond aux questions et nous raccompagne à la porte en ne cachant pas qu'il a autre chose de plus important à faire, "allez salut", Dehaene, avec moi, n'était pas du genre à papoter. 

Un autre jour je suis Dehaene dans les travées du parlement européen, c'est la convention où, aux côtés de Valery Giscard d'Estaing il tente de rédiger une constitution européenne. Il est déjà un peu plus conciliant. Peut-être parce qu'il me reconnaît. Peut-être parce qu'il a moins de pression qu'à l'époque du 16. 

Dernier souvenir, retour à la radio. Le plus souvent Jean-Luc Dehaene répond négativement aux demandes d'interview. Cette fois-là il décroche son portable."-Je remplace Kathryn Brahy pour l'invité  de 07h50, vous pourriez venir lundi ? -Lundi ? Ça va" et Jean-Luc Dehaene raccroche sans dire au revoir. Mais le lundi il était là. Car c'était l'une de ses qualités. Quand Dehaene disait oui, c'était un oui définitif, vous pouviez compter dessus. Dehaene, avec les journalistes aussi, était un homme de parole. Même si en interview il ne répondait pas souvent aux questions. L'homme préférait exhiber faussement une partie de sa vie privée et de ses états d'âme pour satisfaire la curiosité des médias  (mais une vie privée de façade, pas l'essentiel, comme le décès d'un de ses petits enfants dans les années Dutroux qui fut longtemps gardé secret), que de parler d'un thème politique sensible. C'était devenu un jeu. Vous construisiez votre question la plus fermée possible. Il haussait les épaules en vous rabrouant d'un "ça, je ne vais pas vous le dire". Je l'entends encore. Et pour toujours. 





 


13 mai 2014

Un empereur sans empire

RTL TVI et VTM voulaient en faire une émission phare de la campagne. Ce n'est peut être pas tout à fait vrai, mais c'est indéniablement  en terme de show TV ce qu'on appelle "un bon coup". Mettre Bart De Wever face à un francophone, quel qu'il soit, dans un débat c'est rare. Et du coup c'est instructif. 
Ce mardi soir on a donc vu les présidents de la NVA et du PS s'affronter durement. Violemment. Les coups ont été rudes, y compris dans le conclusion lors que Bart De Wever annonce qu'il ne négociera pas "avec ce PS là". 

Bien sur la confrontation avait des airs de catch, ces combats spectaculaires qui sonnent un peu faux parce que trop mis en scène. C'est dû en partie à la scénographie adoptée et à la présence très envahissante d'un public qui chauffe ses champions à coup d'applaudissement sonores (ce qui rendaient presque inaudibles certaines répliques). Bart et Paul n'avaient pourtant pas besoin de ces supporters, ils étaient bien assez chauds. C'est aussi dû à notre géographie électorale qui implique que NVA et PS jouent dans deux championnats séparés et que plus on tape fort sur l'autre plus on semble être le champion de sa communauté. De ce point de vue les autres formations politiques (MR en tête)  ont raison de dire que le PS ne pouvait sortir  que renforcé de ce duel. 

Une fois ces réserves posées, essayons d'aller plus loin. De nombreux francophone auront découvert ce soir un Paul Magnette qu'ils ne connaissaient pas. Ultra préparé et ultra combatif. À coup sûr  le président remplaçant du PS accède avec cette émission à une nouvelle dimension : il sera désormais l'homme qui est capable d'affronter Bart De Wever sur son terrain de prédilection (le show télévisé en public, ce qui implique de faire simple, d'être rapide et  de frapper fort et juste si on veut gagner) sans perdre la face. Car c'est une évidence : Bart De Wever n'était pas aussi à l'aise qu'à l'accoutumée. Le simple fait qu'il ne gagne pas haut la main un duel télévisé est en soi une information nouvelle. Après un face à face tendu avec Kris Peeters voici deux difficultés en deux jours pour le président de la NVA. 
La pugnacité de Magnette a son revers : elle aura sans doute été perçue comme de la combativité par ses supporters, mais aussi comme une forme d'arrogance pas ceux du camp  d'en face qui auront pu regretter que leur champion ait rarement eu l'occasion de finir ses phrases. 

L'autre enseignement réside dans la permanence du positionnement de la NVA. Rien n'a changé depuis 2010. Dans la dernière ligne droite de l'émission le président du PS (les deux journalistes en remettront une couche après) a clairement contraint Bart De Wever à reconnaître que la scission du pays était son objectif premier et que les réformes économiques avaient moins d'intérêt  qu'une avancée vers le confederalisme. Que le gouvernement flamand pourrait être réalisé rapidement sans qu'on se préoccupe du fédéral. Et que Bart De Wever souhaitait bien la scission de la sécurité sociale. Cette démonstration est une efficace piqûre de rappel et à elle seule justifiait la tenue du débat  (et que les libéraux se rassurent, cette démonstration n'implique pas qu'il faille voter PS pour contrer la NVA, ça n'a tout simplement rien à voir). Donc, oui, cette émission à permis de comprendre les points de blocage, parfois de manière très concrète (les allocations de chômage ou la couverture santé, l'index, la compétitivité) et avait donc des vertus pédagogiques. 

Enfin, si ce duel nous occupe c'est aussi parce que les interventions de Bart De Wever côté francophone se font de plus en plus  rares. Que la NVA ne communique plus avec le sud. Simple constat personnel : il m'a été impossible d'inviter un représentant de la NVA tant à Bel RTL qu'à Télé Bruxelles ces dernières semaines. Je crois comprendre que Bertrand Henne se heurte aux mêmes refus. À la NVA seul Bart parle aux médias. Surtout quand ils sont francophones. Comme si l'empereur de Flandre (surnom qu'il a réfuté en fin d'émission) interdisait à ses généraux de mener bataille en son nom. 

Ce soir il faut rappeler pourtant que la NVA n'est pas toute la Flandre. Représenter un électeur sur trois (on vérifiera le 25 mai) c'est ne pas représenter les deux autres. Ce que ne montre pas ce débat c'est le relatif isolement de Bart De Wever depuis que Kris Peeters l'attaque de front. Et ça c'est la mauvaise nouvelle de la semaine pour Bart, plus encore qu'un débat à moitié raté.  La NVA considère le SPA et Groen comme ses ennemis et rêve d'une coalition de centre-droit avec le CD&V et l'openVLD. Si le CD&V ne joue pas dans la pièce Bart De Wever se découvre impuissant. En Belgique, et même en Flandre, il faut toujours 2 ou 3 partenaires pour former une coalition. Sans alliés pour le réaliser, votre programme n'est qu'un morceau de papier. Vous n'êtes au final qu'un empereur sans empire. 

12 mai 2014

Ces avions qui nous empoisonnent la campagne

Une campagne électorale se découpe en séquences. Jusqu'ici on peut en compter deux. La première autour des projets fiscaux des uns et des autres, fut dominée par un affrontement PS/MR et la polémique autour du chiffrage du programme du Mouvement Réformateur. Elle commence à la fin mars et se clôture avec les discours du premier mai. La seconde démarre fin avril et court jusqu'à maintenant et se focalise autour du survol de Bruxelles. Ces deux thèmes ne sont pas exclusifs, mais ils sont suffisamment présents pour structurer le débat politique, occupent les premières pages des journaux, mobilisent les commentateurs et alimentent les interviews radio et TV. Pour qu'une séquence s'installe il faut d'abord des oppositions (sans débat point de tension, sans tension point d'attention médiatique) mais aussi des rebondissements (une information chasse l'autre, le terme de séquence renvoie donc à une succession d'informations ou de prises de positions qui font évoluer le débat et lui évite de tourner court) et enfin une certaine proximité succeptible d'intéresser les citoyens/lecteurs/auditeurs/téléspectateurs. 
Sur ce dernier point la séquence survol, qui monopolise toute l'attention depuis 3 semaines, est surprenante. 

La tension est là : elle oppose le CDH (surtout Melchior Wathelet) à la terre entière, et les coups portés ne sont pas feints. Tant le MR, que le FDF ou Ecolo ont toutes les raisons de taper fort. Les deux premiers parce qu'ils peuvent espérer détourner quelques électeurs humanistes (les électorats sont proches), les  verts parce qu'ils sont en concurrence  avec les centristes pour la place de 3ieme parti, et accessoirement parce qu'après la démission d'Isabelle Durant en 2003 ou l'épisode Francorchamps, ce dossier fait un peu figure de revanche. 

Côté rebondissement, le scénario est haletant. Un premier plan, une montée en puissance de la contestation, une seconde mouture, des desaccords au sein meme de la majorité federale, une opposition Federal/Flandre/Bruxelles, une action en justice, une manœuvre dilatoire en conflit d'interet, un premier qui voudrait jouer les arbitres et maintenant la communautarisation du problème : un  condensé du meilleur de la politique belge. L'irruption de la NVA dans le dernier chapitre résonne comme un point d'orgue. Toutes nos félicitations à l'auteur. 

Côté proximité par contre, on repassera. Ça passionne qui le dossier du survol ? Ceux qui sont concernés, bien sur. Combien sont-ils réellement à se mobiliser ? Quelques milliers. Et tous bruxellois. Pour les wallons le dossier est etrange et étranger. C'est étonnant que la séquence prenne donc tant de place dans nos médias et dans le débat politique. Qu'elle éclipse le débat sur l'emploi, la compétitivité, le redressement économique, les transports, l'enseignement, les soins de santé ou même le pouvoir d'achat, qui nous concerne tous. Je le dis d'autant plus facilement que je pense avoir été l'un des premiers journalistes à aborder la questions lors de mes interviews. 

Si la saga des avions occupe tant de place c'est d'abord parce que la nature a horreur du vide. Depuis 3 semaines aucun autre thème n'a réellement émergé. C'est aussi et surtout parce les riverains ont su se faire entendre. La mobilisation dans les quartiers survolés est forte, car le malaise réel. Et les riverains, surtout ceux du collectif Pas Question, qui semble sorti de nulle part, ont bien compris le parti qu'ils pouvaient tirer de la période électorale. Les élus (sauf ceux du CDH qui sont disqualifiés) écoutent,  acquiescent, encouragent, alimentent la contestation. Sans jouer les grincheux je redoute un danger populiste à vouloir trop personnaliser le débat. Ce ne sont pas les gentils riverains d'un côté  contre le méchant Melchior de l'autre qui permettront de comprendre un dossier qui traîne depuis les années 1970. Ayons un peu de mémoire (route Chabert, route Onkelinx, plan Ansciaux, etc.) et admettons que quelques soient les décisions prises en la matière le dossier fera toujours des mécontents. 

En écrivant ces lignes je devine déjà les commentaires, les tweets : Grosfilley ne comprends rien a la souffrance des riverains, il nous méprise, il ne sait pas ce que c'est que de se faire réveiller par un avion, etc. Je m'attends aux reproches personnels car ce débat est bien plus passionnel qu'idéologique. Ce que chacun défend c'est sa qualité de vie. Cela autorise la mauvaise foi, toutes les déraisons et tous les excès. C'est en partie ce qui fascine la presse et les politiques dans une époque où la passion déserte le débat politique. C'est une raison supplémentaire de se méfier de ce pugilat et de le remettre à sa juste place. Ce dossier sera un point important à régler lors des prochaines formations de gouvernement (ou avant si on peut) parce qu'il concerne le sommeil et le portefeuille de nombreuses familles (les opposants les plus farouches sont plus souvent ceux qui craignent que leur bien immobilier perde de la valeur que ceux dont les enfants se seraient réveillés, soyons honnêtes). Mais cela ne peut sûrement pas constituer l'alpha et l'oméga d'une élection  qui désigne pour 5 ans les mandataires qui dirigent l'Etat fédéral et les régions. 

Alors oui, même si je dois me faire huer,  j'espère que nous ouvrirons bientôt une troisième séquence. Que le survol de Bruxelles fasse du bruit, bien sur. Pas au point de tuer la campagne. 


07 mai 2014

Reynders, bis repetita


En écoutant les excuses de Didier Reynders hier soir, j'ai eu envie de relire cette chronique qui date de 2012. A l'époque le vice-premier ministre avait assimilé Molenbeek à un territoire étranger. Les propos avaient provoqué quelques remous, limités, dans l'hémicycle, mais c'est ensuite sur les réseaux sociaux que la polémique avait tellement enflée que Didier Reynders avait fini par faire machine arrière et présenter des excuses. Le parallèle avec la journée d'hier et ses propos sur les enlèvements d'enfants "sans les libéraux au pouvoir" est saisissant.

A l'époque je n'avais pas été tendre avec le dérapage douteux, mais  j'avais aussi  écrit les phrases suivantes : Il n’est jamais simple pour un homme public de faire machine arrière. Etre capable de reconnaître qu’on a dérapé est une qualité. Il serait sain que ces excuses soient franches et réellement assumées. Personne ne disconvient que le ministre des Affaires étrangères est, en plus d’être d’une vive intelligence, un autenthique démocrate.

J'aurai envie d'écrire la même chose. Sauf que deux fois en deux ans ça fait beaucoup, et qu'un homme avertit en vaut théoriquement deux. Je voudrais donc aller un peu plus loin dans l'analyse.
Bien sûr Didier Reynders est dans un débat électoral. Il répond à une question d'un journaliste et aux arguments d'Elio Di Rupo qui vient d'associer les années Martens-Gol à l'austérité. Comme l'a souligné Bertrand Henne, attaquer Gol c'est attaquer le père spirituel de Didier Reynders et la réaction est épidermique. Le vice-premier ministre MR a donc probablement voulu signifier que la période suivante (le gouvernement Dehaene-Di Rupo) fut, à ses yeux, pire encore. Soit. Cela n'autorise pas la sortie de route.

Depuis 15 ans que je suis Didier Reynders je sais aussi que l'homme rode ses bons mots. Quand il trouve une bonne formule Didier Reynders la teste en petit comité.  Puis il l'utilise à de multiples reprises : avec des journalistes, dans une réception, dans un diner, à la tribune d'un congrès. L'assimilation de la Wallonie socialiste à une république soviétique, les critiques récurrentes contre la RTBF ou le journal Le Soir ont ainsi été déclinés sous toutes ces formules. Il est probable que ce qui a été dit au micro de la première hier l'avait été auparavant ailleurs. La différence c'est que l'ironie qui aurait pu permettre de faire passer le propos n'était pas possible dans l'exercice radiophonique.

Enfin, il faut ajouter une dimension qui n'échappe pas aux insiders du  monde politique ni aux vieux journalistes donc je fais partie (comme quoi il ne faut pas trop vite ranger les journalistes  poussiéreux, ils peuvent parfois servir). C'est face à Elio Di Rupo que Didier Reynders a cette phrase malheureuse. Il ne peut pas ignorer que l'homme a été marqué à vie par les accusations d'Olivier Trusgnach dans la foulée de l'affaire Dutroux. Or à l'époque (on est en 1996)  certains libéraux francophones et flamands ont pensé pouvoir tirer bénéfice de l'affaire pour écarter l'étoile montante du PS. C'est une déchirure définitive entre Di Rupo et certains libéraux. Ils le paieront cash en 2004 lorsque le PS préfère l'olivier. Didier Reynders ne peut pas l'ignorer. En s'aventurant sur ce terrain face à cet homme précisément il ajoute une faute à la faute.

Enfin je voudrais m'arrêter sur  le fond de la communication de Didier Reynders. Il faut bien écouter : "si j'ai blessé certaines personnes je m' en excuse" indique-t-il devant les caméras à 17h30. C'est une version minimale qui ne s'adresse qu'à ceux qui auraient été blessés. Puis à 19h au journal de RTL TVI le vice-premier ministre indique qu'il présente des excuses "aux citoyens", une formule  qui exclue le personnel politique.. En étant ainsi restrictif Didier Reynders fait sans doute savoir qu'il n'a pas aimé être la cible de ses adversaires sur Twitter. Ses excuses restent ainsi un acte politique, un ton en dessous de ce que le grand public perçoit réellement.

04 mai 2014

Le double clivage du débat des présidents

Permettez-moi un peu de nombrilisme. Vendredi soir Télé Bruxelles organisait un débat des présidents pour lancer son dispositif de campagne (29 émissions au total, avec dès ce lundi 5 entretiens avec les têtes de listes régionales bruxelloises, à voir à 18H25).

Ce premier débat  fut vif et tendu. Au lendemain du 1er mai il s'agissait de mesurer l'écart qui sépare les uns des autres. Durant ces 55 minutes d'échanges,  propositions et défense de programmes alternent  avec des moments d'affrontements réels. Le ton monte à plusieurs reprises, et, vu du studio, ou des loges où les poignées de main furent glaciales, ce n'était pas feint. 
Deux clivages sont ainsi manifestes. Le premier, classique, oppose Paul Magnette à Charles Michel. Sur la fiscalité (on pouvait s'y attendre) et sur la NVA les deux ténors donnent de la voix. Le président du PS, qui n'est pas venu les mains vides, exhibe  un article où Didier Reynders qualifiait Bart De Wever de premier ministre "acceptable" (c'était en janvier pour ceux qui l'ont oublié).   Son homologue du MR, sentant l'attaque sur son programme arriver préfère dégainer le premier et évoquer les projets sur la fiscalité immobilière de son vis à vis (ce n'est pas dans le programme réplique Paul Magnette).



Second clivage très net vendredi soir entre le CDH et Ecolo. Sur les vols au dessus de Bruxelles Olivier Deleuze se distancie des partis de la majorité fédérale sur le mode "il vous a fallu 3 mois pour comprendre que la décision était mauvaise, il fallait ne pas la prendre". Le CDH est directement visé. Un peu plus tard dans le débat le co-président d'Ecolo évoque l'abaissement à 14 ans des sanctions administratives communales. Benoit Lutgen réagit vivement sur le mode "Olivier Deleuze a fumé un joint il mélange des choses qui n'ont rien à voir". Ces deux moments de tensions rappellent que CDH et Ecolo sont dans une lutte sans merci pour la 3ieme place aussi bien à Bruxelles qu'en Wallonie.

Enfin Olivier Maingain  tentait de se placer vendredi soir en position d'arbitre. On notera cependant qu'il n'a pas été très tendre avec le MR lorsqu'on évoquait la situation institutionnelle et la NVA.


De ce premier débat je retiens qu'une inimitié réelle semble opposer Charles Michel et Paul Magnette (mais ça n'empêche pas de pouvoir gouverner ensemble). Que le CDH Benoit Lutgen a clairement appuyé le PS lors du passage sur la fiscalité. Que l'Olivier semble être un concept qui n'est pas si archaîque. Que le FDF ménage en partie ses concurrents, on ne sait jamais. Ce n'est que le début de la campagne. Mais ce sont des positionnements révélateurs.