20 janvier 2014

Sommes-nous sortis de la polarisation ?

Cette fois les grandes manoeuvres sont lancées. Avec leur interview en commun au Soir et au Standaard  Charles Michel et Wouter Beke ont frappé fort. Annoncer un axe socio-économique qui transcende la frontière communautaire, renvoyer dos à dos NVA et Parti Socialiste, l'annonce a mobilisé à juste titre tous les commentateurs du weekend et donne indéniablement un nouveau tour à la campagne électorale.
Parce qu'elle est innovante et orginale cette prise de position. Deux partis qui se tendent la main par dessus la frontière linguistique c'est rare, d'autant plus rare qu'ils ne s'agit pas de partis frères. Ensuite parce que même s'ils parlent d'axe, et non de programme commun ou de préaccord, MR et CD&V font passer le message qu'ils se verraient bien ensemble dans une coalition fédérale. A eux deux ces deux partis ont la surface électorale nécessaire pour  contre-balancer le poids dominant du PS et de la NVA. Mieux encore, en y ajoutant le VLD on voit bien qu'un noyau substantiel est en passe de se former. Problème pour la NVA ce noyau pose comme préalable de ne plus parler de réformes institutionnelles. Problème pour le PS ce noyau est de centre-droit pour ne pas dire de droite centriste. Corollaire évident : la reconduction d'Elio Di Rupo au poste de premier ministre n'est pas gagnée  avec un tel programme. "L'avenir ce n'est pas la réforme de l'Etat c'est la réforme fiscale" résumait le président du Mouvement Réformateur sur Bel RTL ce  lundi matin.



 Wouter Beke et Charles Michel mettent donc les deux grands dans l'embarras. A l'heure où j'écris ces lignes le PS n'a d'ailleurs pas vraiment réagit. 
Cette sortie commune nous sort donc de cette double polarisation qui donnait à cette campagne électorale un air de déjà vu, avec un scénario écrit à l'avance. Une première polarisation nord-sud, avec la NVA d'un côté le PS de l'autre, chacun se posant en champion de sa communauté. Une polarisation droite -gauche ensuite, MR contre PS. Comme si CDH et Ecolo étaient hors-jeu. Car l'avantage de la polarisation c'est qu'elle focalise l'attention sur les protagonistes principaux. Plus les adversaires s'affrontent durement, plus ils se renforcent. PS et NVA s'échangeaient donc des programmes communautaires (autonomie de la Flandre d'un côté, sauvegarde de l'Etat de l'autre) PS et MR des mots doux ou des promesses socio-économiques (réforme fiscale d'un coté, sauvegarde de la sécurité sociale de l'autre). Hors de ces deux affrontements point de salut.
La double déclaration de samedi ouvre donc un autre espace. Mais restons prudents. D'abord parce qu'elle n'est pas vécue de la même manière au nord et au sud. Côté flamand Walter Vandenbossche affirmait ce midi sur Télé Bruxelles que la première victime du rapprochement MR-CD&V était la NVA, indiquant donc qu'une coalition avec le PS restait sa préférence implicite. Côté francophone dominait au contraire le sentiment que cette interview avait pour effet de mettre le PS hors jeu (et de soupçonner que le MR était ainsi prêt à monter dans un éxécutif en compagnie de Bart De Wever, comme le faisait ouvertement un communiqué du CDH). 

(l'intégralité de l'interview de Walter Vandebossche est ici)


Ensuite parce que les autres protagonistes n'ont pas dit leur dernier mot. Charles et Wouter ont enfoncé un coin dans le débat pour se placer au centre. Mais Benoit, Gwendoline ou d'autres peuvent à leur tour  s'immiscer entre les deux partenaires du moment. 

La vérité sera au bout de la campagne. Pour l'instant l'axe MR-CD&V est un axe de paroles. Il faudra attendre les débats des prochaines semaines pour voir si en matières socio-économiques ou communautaires l'attelage tient la route au delà d'une interview. Si libéraux francophones et sociaux-chrétiens flamands  sont effectivement capables de parler d'une seule voix en matière de pensions, de fiscalité, de nombre de magistrats à Bruxelles ou de nominations de bourgmestre dans la périphérie par exemple. Si oui, l'axe aura démontré qu'il s'est vraiment passé quelque chose ce weekend. Sinon ce ne sera qu'un coup de communication. Avec le risque pour les deux partis de paraitre un peu fébriles et déjà très préoccupés par leur présence dans les coalitions futures.


19 janvier 2014

Demotte ironise sur l'agenda de Marcourt

   Avec l'humour on peut tout dire. Mieux même, on n'a pas  besoin d'être un psychanalyste de haut niveau pour savoir qu'il existe  des rires particulièrement signifiants. L'évènement humoristique dont je vais vous parler n'a pas été beaucoup relaté dans la presse, mais de très nombreux journalistes y ont pourtant assisté. 
   C'était le 14 janvier, mardi dernier, au château de la Hulpe. Comme chaque année les gouvernements wallon et de la fédération Wallonie-Bruxelles (ex-communauté Française) y reçoivent les journalistes. Drink debout dans les salons, puis repas dans une ambiance conviviale. C'est l'occasion d'échanger des amabilités, de converser quelques minutes en dehors d'un contexte profesionnel. Ministres, journalistes, porte-paroles, membres des cabinets ministériels se mélangent, un verre à la main et un sourire aux lèvres. Assez vite je repère deux absents : Jean-Claude Marcourt et Fadila Laanan ne sont pas là. Ils assistent à l'inauguration de la cité miroir à Liège. L'évènement liégeois était programmé à 18h, celui de la Hulpe à 20H, c'était donc en théorie compatible. Fadila Laanan arrive un peu plus tard, mais Jean-Claude Marcourt reste à Liège. 
  Puis vient le moment des discours. C'est Rudy Hermans qui prend la parole au nom de la presse wallonne et présente donc ses voeux aux gouvernements réunis. Un peu d'humour et de rosserie, c'est le principe de l'exercice "je salue la présence de Marie-Martine Schyns qui est avec nous pour la première fois et peut être la dernière " ou encore "le Wallon se demande si la dette wallonne est immense ou simplement colossale". On se détend, on rit, on applaudit les bons mots.
   Ensuite vient la réponse du ministre-président wallon. Et c'est là que ça dérape. Rudy Demotte  y explique les raisons pour lesquels Jean-Claude Marcourt est absent. Et tout sourire, précise aux journalistes qu'il ne faut pas y voir malice ou signe de mésentente entre les deux hommes. La cité miroir de Liège c'est important insiste Rudy Demotte, déjà rigolard. Et le ministre-président de citer un texte, qu'il présente comme celui de son vice-premier chargé de l'économie, ce qui donne à peu-près ceci (je n'ai pas pris de note, c'est donc approximatif) :  "la cité-miroir est un lieu ou le passé et le présent se donnent rendez-vous pour construire l'avenir". La salle explose de rire. Un tel style ampoulé, alambiqué, typique du plus mauvais guide touristique cela amuse des journalistes,  pas mécontents de moquer les discours  de communiquants qui se prennent pour des poètes. Rudy Demotte en rajoute alors deux tonnes.  "A la cité miroir l'art, la culture, la mémoire dialoguent pour nourrir votre curiosité et votre ouverture d'esprit". Cela va bien durer 2 minutes.  Le ministre-président est hilare, secoué de rires qu'il n'arrive plus à contrôler, et peine à finir ses phrases. La salle ressemble à une classe de lycée en plein chahut, les confrères rient à gorge déployée, et Jean-Claude Marcourt fait passer à tout le monde un très bon moment. 
   Dans l'assistance pourtant quelques porte-paroles et membres du cabinet Marcourt rient moins que les autres. Car tout le monde a bien compris. Demotte est en train de se moquer de l'emphase liégeoise de Marcourt. On rit de la pompe et de la prétention liégeoise. On rit du caractère parfois hautain de Jean-Claude Marcourt. On brocarde le choix d'agenda dicté par la proximité d'une élection qui a retenu l'absent loin de la presse.
   Derrière l'humour Demotte règle gentiment ses comptes avec Marcourt. Nous sommes en fin de législature. C'est peut être la dernière fois que Demotte prononce ce type de discours, il se lâche. Beaucoup de journalistes le savent : Marcourt et Demotte ne s'apprécient guère, et  espèrent ne plus se côtoyer au sein du même éxécutif. En gouvernement l'un pousse de gros soupirs et fait des réussites sur son iPad pour montrer son mépris. L'autre  utilise sa tablette pour commander un vélo quand son camarade prend la parole. Face à la presse on fait bloc. On affirme travailler en parfaite intelligence. Sauf quand l'humour, et une salle riant aux éclats, vous autorisent à dire autre chose que le discours officiel. 


02 janvier 2014

La "to do list" de Benoit Lutgen

Il y a les bonnes résolutions. Il y a aussi les dossiers urgents à résoudre. Les décisions laissées en souffrance, les questions renvoyées à plus tard faute de temps pour les étudier. Cela vous donne un petit air de "devoirs de vacances". Les présidents de parti en année électorale sont comme les étudiants en blocus : ils ne profitent pas pleinement de la trêve des confiseurs. Ils ont déjà la tête dans la confection de leurs listes.
 
Prenons la "to do list" de Benoit Lutgen, président du CDH.
 
Pendant la quinzaine de Noël le bastognard devait d'abord prendre des nouvelles de Marie-Dominique Simonet. Depuis qu'elle a mis sa carrière ministérielle entre parenthèse pour raison de santé Marie-Dominique Simonet et Benoît Lutgen ont eu une série d'entretiens téléphoniques. De courtoisie d'abord, pour savoir comment évoluait la santé de l'ancienne ministre. Mais des conversations politiques aussi pour déterminer un éventuel retour de "Marie-Do" comme on l'appelle dans son cabinet. L'interview qu'elle accorde cette semaine à Paris-Match confirme ce que Benoit Lutgen savait déjà : si les nouvelles médicales continuent d'être rassurantes Maie-Dominique Simonet reviendra bien en politique. Elle en a l'envie. Pour le président du CDH c'est un dilemme de moins à trancher dans la confection des listes pour les élections du mois de mai. A Liège vous devriez donc voir Melchior Wathelet en tête de la liste pour les élections législatives, Marie-Dominique Simonet emmènera donc la liste à la région en principauté et Marie-Martine Schyns tirera celle de l'arrondissement de Verviers. Voici don un casting de réglé, et une ligne à barrer dans la liste des cadeaux de Noël.
 
A l'autre bout de la Wallonie, le dilemme est comparable et tout aussi douloureux mais le scénario n'est pas tranché. Là aussi c'est une maladie qui complique la donne . Damien Yzerbyt échevin à Mouscron et député wallon s'apprêtait à être tête de liste aux prochaines régionales. Lui y croit toujours. Il l'annonçait d'ailleurs à des journalistes de la presse  locale  début décembre, sur le mode "bien sûr que je suis tête de liste". L'état-major du CDH  en doute pourtant. "Son état de santé ne lui permettra pas de mener campagne, ce n'est vraiment pas raisonnable" entend-on dans les couloirs de la rue de Deux-Eglises. Entre l'intérêt du parti et le message personnel douloureux à faire passer, la décision, humainement délicate, n'est pas encore tout à fait prise, et Benoit Lutgen y aura surement pensé au cours de derniers jours, soupesant le pour et le contre. A Noël, pour les présidents, il n'y a pas que des cadeaux.
 
Entre Liège et Mouscron, géographiquement, il y a Bruxelles. Ce n'est pas le nœud le plus simple à trancher. Joëlle Milquet a vocation à être tête de liste  aux élections législatives. Un combat des rois qui lui permettrait de se mesurer à Didier Reynders, Laurette Onkelinx, Olivier Maingain. Mais dans son parti beaucoup la prient de mettre son potentiel électoral au service de la bataille régionale : " à la chambre avec Joëlle Milquet  ou pas les équilibres ne changeront pas beaucoup, alors qu' à la région, elle est capable de nous faire prendre un ou deux sièges". Jusqu'à présent Joëlle Milquet ne voulait pas entendre parler de ce scénario. Son président de parti aura peut-être tenté une dernière fois de la persuader pendant la trêve. S'il n'y parvient pas il devra choisir entre Benoit Cerexhe et Céline Fremault pour conduire la liste régionale. Aux dernières nouvelles la côte de Benoit Cerexhe ne cesse de grimper : c'est lui qui a représenté le CDH lors des dernières négociations avec les partis flamands, et plusieurs observateurs  internes au parti estiment qu'il serait préférable pour Céline Fremault d'accepter la seconde position plutôt que de s'imposer en tête de liste sans avoir la garantie de faire le plus gros score. Benoit Cerexhe bénéficierait donc de la préférence de son président de parti, même si Benoit Lutgen, comme à son habitude,  ne laisse rien transparaitre.
 
Enfin, avoir une "to do list" bien remplie  ne doit pas vous empêcher de faire face à l'imprévu et sentir les bons coups. Alors qu'il doit faire face à l'arrivée de Willy Borsus sur ses terres luxembourgeoises le président du CDH n'a pas manqué d'apporter un soutien très visible au FDF cette semaine. Son parti accordera une signature de député  à celui d'Olivier Maingain pour lui épargner la fastidieuse campagne de signature permettant de déposer une liste à la chambre. Avec la défection de Damien Thiéry le FDF n'avait  en effet plus le nombre de députés nécessaires. "Le cdH souhaite que le débat démocratique ait lieu" précise le communiqué qui annonce ce soutien trans-partisan. En réalité le risque que le FDF n'obtienne pas les signatures requises était relativement faible. L'opération était donc autant un coup de pouce à la démocratie qu'un coup de coude au mouvement réformateur, dont on souligne par la même occasion qu'il a bien débauché un député sortant dans une forme de loyauté discutable . Pour Benoit Lutgen, comme pour les autres dirigeants d'une formation politique, une pique à destination d'un parti concurrent reste  toujours une occasion à ne pas rater, que l'on soit en période de vacances ou pas.