27 novembre 2014

Delpérée veut des élections

Le tohu-bohu ambiant ne doit pas nous empêcher de réfléchir. Et de préférence un peu plus loin que le mois prochain, même si les temps troubles ne sont pas propices aux projections à long terme. Francis Delpérée nous offre donc ses réflexions sur le système électoral. Le bouquin est difficile à classer, ce n'est pas un livre de droit parce qu'il fourmille d'anecdotes liées au dernier scrutin, ce n'est pas un récit de campagne non plus puisque le député CDH et ex-professeur nous offre quelques détours par les concepts. On dira que c'est une balade entre actualité et convictions personnelles, un syllabus de droit constitutionnel appliqué.
Le point de départ est la défense du système électoral. Quand on y réfléchit c'est la pierre angulaire de  nos démocraties représentatives. Quand Francis Delpérée a lu "contre les élections" de David Van Reybroeck et sa proposition de tirer au sort les citoyens pour les faire travailler en parallèle avec les parlementaires,  il a donc faillit s'étrangler. Francis Delpérée aurait pu appeler son ouvrage "pour les élections" tant son livre semble une réponse au précédent. 
 Cela n'empêche pas de concéder quelques failles. Comme nous Francis Delpérée constate la défiance qui sépare citoyens et élus. Il propose quelques pistes susceptibles selon lui de dynamiser la démocratie, l'abandon de la case de tête (ou de son effet dévolutif) la suppression des suppléants et le découplage des scrutins. C'est du classique. J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, et je me répète donc : il y a au moins un point sur lequel je ne suis pas d'accord, c'est l'abandon de la case de tête.  Ce système permet de valoriser des candidats soutenus par leurs partis alors qu'ils n'ont pas nécessairement d'assise populaire. Cela permet de faire élire des candidats pour leur valeur et non pour leur notoriété, ce qui est très différent. Si nous supprimons cette possibilité et ne tenons compte que des scores de préférence sans aucune pondération nous accentuerons encore l'effet des candidats "attrape-voix" : vedettes de la TV, joueurs de foot et autre personnages communautaires. Ce sera le règne des campagnes personnelles et la fin de la cohérence politique propre à chaque liste. Je rappelle qu'en France les listes sont bloquées et sans score personnel : c'est l'ordre déterminé par le parti qui s'applique. Cela permet des campagnes collectives, on choisit les programmes autant que les hommes, et cela n'empêche pas la France d'être une démocratie avec un debat politique noble me semble-t-il. 
Au fil des pages Francis Delpérée livre quelques souvenirs personnels qui sont autant de clefs pour comprendre l'attitude du CDH pendant la campagne et les négociations qui ont suivi. Le CDh-bashing auquel se livrent les militants de "Pas Question" (et le député de souligner que si ses comptes de campagnes étaient plafonnés ceux de cette association ne l'étaient pas) ou encore son interview à la Première où il qualifie la NVA de raciste, recevant le soutien de son President de parti ( à lui seul cet épisode explique combien il était improbable de voir le CDH entrer dans des négociations avec la coalition Michel).  Bref pour les pasionnés de politique c'est une promenade intéressante. La confession d'un homme qui pensait ne faire qu'un mandat mais qui se reconnaît aujourd'hui accro à la politique et incapable d'en décrocher. Et qui éprouve sans doute le besoin de se confier par écrit pour aller plus loin qu'une interview ponctuelle. 

Le malaise Jambon

Malaise : défaillance,   trouble de la santé,  passager la plupart du temps. Le mot malaise désigne aussi une sensation de gêne, un sentiment d'inconfort, la contraction de "mal à l'aise". Mal à l'aise nous le sommes quand Jan Jambon explique son malaise. Le ministre de l'intérieur, vice premier ministre du gouvernement Michel a donc fait retirer les drapeaux et les photos du roi de son cabinet ministériel. Voici donc un ministre de l'intérieur qui bannit les symboles d'un État où il est pourtant le premier garant de l'ordre et de la sécurité.  Et Jan Jambon de nous faire part de son malaise : "Je suis un vice premier ministre fédéral, alors que je ne veux pas l'être. Est ce que cela a de la valeur, je me pose la question tous les jours. "

Alors bien sur ces propos ont été tenus devant un cercle d'étudiants nationalistes, le ministre y a caressé son auditoire dans le sens du cheveu coupé très court. Sans le site d'information Apache, qui est une sorte de Mediapart flamand, nous n'en saurions rien. Mais Jan Jambon assume,  son porte parole, confirme que ces propos ont bien été tenus. Il ne nie pas non plus une autre partie de l'exposé qui concerne la révision de la constitution. Dans la version officielle, pas de communautaire, on n'en a pas parlé. Dans la version Jambon un accord secret consigné dans des cahiers,  et l'article 195, celui qui empêche de réviser la constitution trop vite, serait lui même révisé. Démenti immédiat du premier ministre, et on le comprend. Le cahier Atoma c'est de la bombe atomique.

En six semaines de gouvernement c'est déjà la deuxième fois que Jan Jambon sème le trouble. Il y avait la collaboration, il y a désormais la constitution. Ces petits malaises chatouillent ou gratouillent, la question est de savoir s'ils précèdent la fièvre nationaliste qui  est un virus mortel. Jan Jambon veut la fin de la Belgique,  retirer les drapeaux n'est qu'un préambule.

Ce matin dans la presse il y a pourtant une autre nouvelle, c'est celle de la future paternité de Charles Michel. Un jeune papa au 16 voici une information people , qui fait moderne, jeune, sympathique. En temps normal on aurait pu y consacrer une chronique. Face à notre malaise cela paraît anecdotique. Pire : s'y attarder passerait pour  une distraction.

Aujourd'hui, c'est pas de chance,  le gouvernement Michel tient sa première  conférence de presse (la première  en 6 semaine de gouvernement).  On espère que Charles Michel et Jan Jambon y assisteront tous les deux et surtout que la presse pourra y poser les questions de son choix. Ce serait le seul  moyen de dissiper le malaise. Dans le cas contraire il faut se rappeler qu'un malaise est synonyme de perte de connaissance. A 14 heures le gouvernement fera de nouveau face à l'opposition lors des questions d'actualité. Après les confidences de Jan Jambon l'ambiance sera électrique.  Le gouvernement Michel est au bord de l'évanouissement.

16 novembre 2014

Télé Bruxelles s'engage pour le dialogue

 Télé Bruxelles entame cette semaine une série spéciale consacrée au dialogue interculturel. Nous sortons de notre traditionnelle neutralité journalistique pour oser poser un pas de plus : nous avons l'habitude d'écouter les Bruxellois,  nous allons essayer de faire en sorte qu'ils s'écoutent entre eux.  L'opération  « Télé  Bruxelles s'engage pour le dialogue » a débuté par un débat entre quatre jeunes et quatre grands témoins. Elle se poursuivra à 18h55 ce lundi soir avec des capsules où l'on entendra des Bruxellois, connus ou pas,  expliquer ce que sont pour eux l'identité, le respect, les discriminations, la violence (ces emissions sont visibles en cliquant ici  : http://www.telebruxelles.be/emission/tele-bruxelles-sengage-dialogue/ ). Si le "vivre ensemble" nous occupe en permanence nous avons voulu donner pendant deux semaines une visibilité particulière à ces interrogations, faire de la "télé utile" c'est mettre la force de notre média au service d'un débat vital dans une grande ville comme Bruxelles. 
Cela peut paraître basique, évident. Cela ne l'est peut être pas tant que cela. Nous avons  peu l'habitude d'être  confrontés à la parole de l'autre alors qu'il exprime ses peurs ou ses difficultés...   Dans ces témoignages on verra que musulmans, chrétiens, juifs et athées ont tous des appréhensions, mais  le désir de tendre la main est réel. L'idée de l'opération nous est venue dans la foulée de l'attentat au musée juif. En moins de deux mois une synagogue a été incendiée, une église pillée, et on a tenté d'arracher le niqab d'une touriste près de la grand-place. Il faut y ajouter les discriminations au quotidien ( à l'embauche, pour le logement) , la violence verbale, la libération d'une parole raciste qui se cache de moins en moins et le déversoir de haine sur les forums internet. On peut se contenter de hausser les épaules en attendant que reviennent des jours meilleurs. On peut se poser en  victime et décréter  qu'il appartient à l'autre, et seulement à lui, de modifier langage et comportement. Nous avons choisi une autre voie. Celle du dialogue, parce que la confrontation verbale et le choc des idées est préférable à la confrontation physique et au choc des civilisations. Nous avons préféré les témoignages de terrain de bruxellois appartenant à des cultures, des milieux, des générations différentes aux grandes envolées lyriques d'un spécialiste. Dans ces capsules nous nous interrogerons sur la place des religions, le concept de laïcité, le rôle des médias. Nous n'apportons pas de solution et ne prenons pas partie. Mais en proposant plusieurs points de vue nous montrons que la ville est plurielle et le problème complexe. Si nous pouvons simplement en prendre conscience, loin des stéréotypes véhiculés par les différentes communautés, ce sera une première victoire. Si ces emissions peuvent déclencher des debats et des initiatives qui échappent a notre contrôle, tant mieux.  Quand les tensions résonnent en ville, c'est le moment de raisonner.   

07 novembre 2014

Le casseur et le manifestant


Casseur : celui qui se livre à des actions de violences en marge d’une manifestation. Ce mot n’a pas toujours eu cette signification. Un casseur à l’origine c’est celui qui casse, volontairement ou involontairement : un casseur d’assiette. C’est ensuite une profession : casseur de pierres, cela peut aussi désigner celui qui travaille à la casse et  vit du commerce des voitures accidentées  en pièces détachées,  et en argot le casseur désigne celui qui fait un casse, donc un cambriolage.

 

Le casseur urbain, celui qu’on voit dans les manifestations, renvoie à l’idée d’une violence volontaire,  qui peut prendre différentes formes. La violence contre les magasins, on casse des enseignes et des vitrines, on pille des boutiques.  L’autre cible traditionnelle du casseur est la police. Jet de pavé,  érection de barricade,  cocktail molotov :  le casseur cherche l’affrontement avec les policiers,  il use de technique de guérilla, harcèlement, mobilité, déplacement. Le casseur adore casser du matériel urbain,  il  s’en sert alors de projectile,  il n’apprécie pas les journalistes, et encore moi leurs appareils photo qui pourrait servir à l’identifier,  il agit en groupe, un casseur seul serait facilement repéré et appréhendé.

 

Le casseur est principalement masculin, il a le visage masqué, et il profite de grands rassemblements pour passer à l’action. Est-ce de la délinquance gratuite, pas tout à fait, souvent les casseurs, expliquent qu’ils sont en guerre avec l’Etat et le capitalisme, et que s’en prendre directement à leurs représentants est un acte politique,  le passage d’un combat théorique à un combat réel. Evidement tous les casseurs ne se ressemblent pas. Il y a des adolescents casse-cou, des groupes de voyous bien organisés,  des militants  anarchistes, bref une multitude de casseurs plus ou moins délinquants ou plus ou moins politiques.

 

Hier à Bruxelles on clairement pu voir que nos casseurs portaient l’uniforme des dockers. Dockers de Zeebruge et surtout dockers d’Anvers. On a pu voir le drapeau rouge et noir qui est le drapeau des anarchistes. Le site Résistances.be identifie ce matin, photo à l’appui, des membres de l’extrême droite néerlandaise infiltrés parmi les casseurs.

 

Les casseurs habituellement ne sont pas appréciés des manifestants. En provoquant des troubles le casseur attire l’attention de la presse et ternit le message revendicatif, il « casse » l’image de la manifestation. On a même vu, en France des casseurs s’en prendre aux manifestants eux-mêmes pour dérober des appareils photos, des téléphones ou des portefeuilles.  Plus il y a de casseurs, moins les médias relayent les revendications et plus la répression de la police sera justifiée.  Un peu comme qui le casseur de grève,  le casseur, est avant tout  un casseur de manif.

06 novembre 2014

Le comptage de la manif


Compter : déterminer un nombre. On le peut faire par un recensement, je compte les élèves un par un ou les pointant du doigt, ou par un calcul. 
Le comptage des manifestants est traditionnellement la grande question d’une journée d’action. Les syndiquent espèrent aujourd’hui 100 000 personnes dans les rues de Bruxelles. La police en attend 80 000.
 
 
Comment compte-t-on les manifestants ? La première méthode consiste a installer un point de comptage.  A un endroit donné du parcours une personne munie d’un compteur, un petit boitier  on appuie dessus avec le pouce, et on essaye de dénombrer le nombre de personnes qui passent devant. Ce n’est pas la méthode la plus fiable. La plupart du temps le comptage se fait plutôt par un calcul de la surface qu’occupent les manifestants. Ou commence le cortège ou s’arrête-t-il, quelle est la largeur des rues, ca vous donne une idée de la place occupée par la manifestation.  Là encore la contestation du comptage est possible : faut-il prendre en compte les gens sur les trottoirs ou seulement ceux  sur la chaussée et puis surtout quelle est la densité de la foule, en rang serré ou pas ?  Dans le comptage de la police, un manifestant par mètre carré, dans le comptage des syndicats on dénombre plutôt une personne et demi par mètre carré. Aujourd’hui le comptage s’effectue aussi par hélicoptère, quand on prend de la hauteur on a une meilleure vue d’ensemble.
Aujourd’hui dans la manifestation il y aura un double comptage : le nombre global de manifestants, mais aussi la proportion de francophones et de néerlandophones, montrer que la mobilisation n’est pas qu’une histoire de sudistes … Comment l’hélicoptère de la police fait-il le tri entre les flamands et les wallons, on n’a pas la réponse.
 
En attendant le comptage réel, nous sommes, avant le départ de la manifestation dans une phase d’extrapolation. Police et syndicats  se basent sur les informations  comme nombre de cars mobilisés, les calicots fabriqués, les billets de  trains vendus,  pour aujourd’hui il y a eu 60 000,  pour arrêter une première estimation, qui n’a donc rien à voir avec le comptage.
 
Pourquoi ce comptage est-il important ? Parce que les manifestants sont là pour se compter. Faire masse, prouver que les mécontents sont nombreux  pour que ça compte car compter, c’est être pris en considération, la manif  ne compte pas pour du beure. Les manifestants ont des revendications, ils comptent les faire entendre, compter c’est aussi avoir une intention et de la volonté. : je compte bien que vous m’écoutiez.  
 
Evidement le chiffre de 100 000 représente une barre symbolique. La manifestation contre l’austérité sous le gouvernement Di Rupo  en février l’an dernier avait réuni 80 000 personnes ; il faut donc faire mieux, pour des questions politiques évidentes. Les belges ne sont pourtant pas des grands manifestants. La plus grande manifestation de l’après-guerre est la marche blanche en octobre 1996, en pleine affaire Dutroux, 300 000 personnes (chiffre de la police, certains membres des comités blancs avancent le chiffre de 500 000). Ce soir les syndicats auront probablement compté plus de 100 000  personnes. Stratégie de communication : quand on annonce un objectif c’est pour l’atteindre ou le dépasser, sinon mieux vaut s’abstenir. Le chiffre de la police tombera vers la mi-journée. La question c’est de savoir si le policier chargé de comptage, après avoir compté les manifestants,  compte aussi ses heures.