30 septembre 2017

Shaï Maestro sublime Petros Klampanis

On avait découvert Shaï Maestro aux côtés d'Avishai Cohen. On avait été bluffé par le modernisme de son trio programmé il y a quelques années au festival Jazz à Liège. On était impatient de l'entendre  dans une autre formule. 
On avait apprécié Petros Klampanis aux côtés de Sofia Ribeiro, chanteuse qui croise fado et Jazz, pour qui il assure une solide rythmique. On n'avait pas été déçu, loin de là, par la présentation de son album personnel "Chroma" à la Jazz-Station de Saint-Josse la saison dernière. On se disait que le revoir dans une formule avec cordes allait nous éloigner des pulsations jazz mais qu'il fallait tenter l'expérience. 
Shaï et Petros, Maestro et Klampanis, le pianiste virtuose israélien de Tel Aviv et le contrebassiste grec de l'île de Zkahintos,  tous les deux immigrés aux Etats-Unis s'entendent donc bien. Mieux. Ils sont visiblement en parfaite harmonie. Et nos oreilles se régalent de cette belle entente. Les compositions du grec (il s'agissait de rejouer son album) sont un terrain de jeu parfait pour l'israélien. On n'entend pas si souvent des pianistes tour à tour  aussi véloces que nuancés. Shaï Maestro conjugue la rapidité et la science du toucher. Il propose un son qui n'appartient qu'à lui avec des variations mélodiques qui nous rappellent les mélopées du Moyen-Orient. Une influence discrète, pas envahissante. Sur ses solos il  est parfois touché par une grâce et une sensibilité qu'on oserait presque comparer à celles de Keith Jarrett... Petros Klampanis, malgré quelques longueurs quand il est seul en scène, est un formidable contrebassiste. À l'évidence l'influence d'Avishai Cohen pèse sur les deux hommes. Mais si Klampanis n'a pas le charisme de la star Cohen, il n'a rien à lui envier dans la maîtrise de l'instrument et l'inspiration. Ses compositions sont solides, aux confluents du Jazz et de la World Music. Ensemble ces deux là vous offrent une musique simple, mélodique, accessible , riche ... On les imaginerait bien en duo. À la Jazz Station ils se prèsentaient avec un quatuor à cordes, ajoutant encore au lyrisme des compositions,  et faisaient parfois chanter le public,  Au dehors, la chaussée de Louvain, trottoirs ouverts et bitume enlevé  est eventrée sur des dizaines de mètres apres un profond écroulement, elle offre des allures de champ de bataille. À l'intérieur, contraste saisissant, les tympans présents goûtaient sereinement la joyeuse paix  que les belles musiques possèdent.


17 septembre 2017

Antoine Pierre acidifie son jazz à coup de boucles technos


On attendait la soirée avec une certaine curiosité. Parce qu'Antoine Pierre est le fer de lance de la jeune génération jazz belge et qu'il avait annoncé que ce projet là ne serait pas jazz, ce qui est un fameux teasing. Parce qu'on sait aussi que le jeune batteur sait fort bien s'entourer (Urbex regroupe le meilleur des musiciens trentenaires du plat pays, sa collaboration avec Tom Barman dans Taxi Wars, sans oublier une collaboration avec Philippe Catherine sont d'autres bons exemples) et qu'il a démontré, outre son aisance aux baguettes, de réels talents de compositeur. 
On attendait la soirée avec un certaine curiosité, et on était pas les seuls, le théâtre Marni affichant quasi-complet ce vendredi pour sa carte blanche. Autant le dire tout de suite : les amateurs de swing orthodoxe auront sans doute été décontenancés. 
Le concert s'ouvre sur une bande son, où, derrière les trompettes rétro, domine un speaker de radio américaine, années 50 ou 60. Les musiciens entrent et attendent têtes baissées, comme si s'éloigner du jazz autorisait tout d'un coup un semblant de mise en scène pop. 
Puis vient la musique. Ce n'est jamais facile de rendre la musique avec des mots sans faire de tort aux uns et aux autres. Imaginez une collaboration inédite où les mélopées chaloupantes  de Cassandra Wilson croiseraient des boucles technos dignes des Chemical Brothers, avec un soupçon d'esprit planant style Pink Floyd version Ummaguma... ou, si cela vous parle plus, Björk et Portishead prenant d'assaut Hellen Merril. 
Du jazz, le nouveau projet conserve la liberté et un espace pour l'improvisation. Du rock et surtout de la techno, il a récupéré l'énergie  et la puissance. Et cela donne une belle force à cette musique basée sur des boucles redoutablement  efficaces. Le projet doit beaucoup à Jérôme Klein, clavieriste géant, qui, en l'absence de bassiste, assure l'essentiel de l'ossature rythmique et mélodique. Sur cette base solide et efficace les solos très "Mike Stern" de Lorenzo Di Maio et les vocalises de la chanteuse d'origine hongroise Véronika Harcsa s'ajustent à tour de rôle, innovants. Seul le saxophone de Ben Van Gelder, au son si maîtrisé, et les ballets  ou baguettes d'Antoine Pierre nous ramènent au jazz dans son acception classique. Il y a de la tension, de la fougue, et le récitatif du comédien Martin Swabey sonnera comme un point d'orgue. 
Sur l'ensemble du concert on avoue une réserve sur les tempo les plus lents ... un peu classiques à notre goût, et sur la montée extatique improvisée qui faisait officie de deuxième rappel et qui semblait un peu facile ... mais on compense par un fort enthousiasme pour les morceaux les plus rapides, dont la vigueur et le dynamisme nous ont plus que séduit. 
Le principe d'une carte blanche est de proposer un concert unique. Les  deux caméras présentes et les objectifs disposés sur scène nous font espérer une trace vidéo. Et si Antoine Pierre avait l'idée d'emmener ce nouvel ensemble vers un studio d'enregistement, on ne pourrait que l'encourager. 




Pour vous faire une idée : Antoine Pierre a posté ce teasing  https://youtu.be/kWG2viEX2lM
Et mon confrère du Soir Jean-Claude Van Troyen dit ici son enthousiasme : http://plus.lesoir.be/114494/article/2017-09-16/nextape-une-fameuse-decouverte