10 août 2014

L'économie, l'autorité, l'Etat de droit


La semaine écoulée vient d'être marquée par deux " sorties " que je voudrais rapprocher. D'abord celle du secteur Horeca  (hôtels, restaurants, cafés) qui s'inquiète de l'impact des caisses enregistreuses "transparentes" qu'on entend lui imposer. Cafetiers et restaurateurs s'insurgent, et étude universitaire à l'appui, annoncent que la mesure est destructrice d'emploi. Ensuite le patron d'une compagnie de charters prisés des vacanciers (Jetairfly)  annonce tout de go qu'il ne paiera pas les amendes qui lui sont infligées et que l'Etat belge serait en outre bien inspiré de laisser ses avions décoller dès 6 heures du matin.

Dans les deux cas ces prises de positions ont bénéficié d'une belle exposition médiatique. Elles sont basées sur le même argument de fond : laissez-nous faire des affaires, sinon c'est l'emploi qui trinquera. Elles interviennent, et ce n'est pas dû au hasard ( mais  j'en probablement à des conseillers en communication)  à un moment où les négociateurs du probable futur gouvernement discutent de politique économique. À lire ces propos on en viendrait à penser que l'intervention de l'Etat nuit généralement au bon déroulement du commerce et, les médias étant fort peu critiques en cette matière, l'idée fait peu à peu son chemin dans l'opinion que nos entrepreneurs contrevenants n'ont pas tout à fait tort. Il se pourrait même que certains partis de la future coalition, qu'on dit plus proche des entreprises que jamais, soient prêts à relayer leur doléance.

Je voudrais appeler un chat un chat, et un contrebandier récidiviste est un hors-la-loi. De quoi s'agit-il au fond ? Dans le cas du secteur Horeca de patrons qui emploient ouvertement de la main d'œuvre au noir. En clair des entreprises qui fraudent la sécurité sociale et éludent l'impôt. Le personnel de ce secteur se retrouve donc sans protection sociale, alors que l'Etat (donc les contribuables) est appellé à renflouer les caisses de la sécu, et que nous savons tous que le coût du vieillissement est un enjeu sociétal majeur. Laisser ce secteur travailler en dehors des lois est un encouragement à une forme de criminalité qui coûte cher aux travailleurs de ce secteur et à la société belge tout entière. Le principe de la sécurité sociale s'applique à tous (ou alors il faut avoir l'honnêteté de dire qu'on n'en veut plus et privilégier des assurances privées pour ceux qui en ont les moyens), et si tous en bénéficient, tous doivent logiquement y contribuer. Il ne saurait y avoir des entreprises au dessus des lois sous prétexte qu'elles nous servent un petit café en terrasse. 

Pour les compagnies aériennes le raisonnement est sensiblement comparable. Si la région Bruxelloise édicte des règles (ici des normes de bruit à ne pas dépasser) c'est évidemment pour  les faire appliquer. À charge pour les entreprises de s'équiper en avions moins bruyants (ça existe) ou pour les autorités aéroportuaire d'emprunter des routes compatibles. On rappelera que le survol de Bruxelles n'est pas une absolue nécessité, des routes aériennes contournant la capitale existent, il suffit de les emprunter. Certes  l'opposition entre les intérêts de la Flandre et de la Region Bruxelloise  rend ce dossier legerent plus complexe, mais entendre un patron dire qu'il ne paiera pas ses amendes est particulièrement choquant. 

Poussons le raisonnement. Demain une entreprise de  transport refusera de respecter le temps de pause de ses chauffeurs et la limitation de vitesse à 90 km/h pour les poids lourds ; mauvais pour ses affaires donc mauvais pour l'emploi. Nous supprimerons l'obligation de porter un casque et des chaussures de protection sur les chantiers. Mauvais pour les affaires donc mauvais pour l'emploi. Mc Donalds ne devra plus se soucier des règles d'urbanisme pour installer ses enseignes publicitaires ; mauvais pour les affaires donc mauvais pour l'emploi. Nous n'interdirons plus la vente d'alcool ou de tabac aux mineurs ; mauvais pour les affaires, donc mauvais pour l'emploi.  Nous ne découragerons plus le boulanger de faire travailler ses employés de 3 heures du matin, heure du premier pétrin, à 19h, heure de fermeture de sa boutique. Etc.

Le principe fondateur  d'un Etat est de permettre aux citoyens qui l'habitent de cohabiter le plus harmonieusement possible. Pour permettre aux intérêts divergents de s'exprimer sans nuire  cet État  (plus précisément le législateur) édicte  des règles. Si elles sont mauvaises on peut les contester (les élections servent à cela en démocratie) et les changer. Appeller à s'en affranchir est le plus mauvais exemple que le monde des affaires puisse nous donner. Ce que nous avons lu et entendu cette semaine est l'œuvre de patrons voyous qui tentent de faire pression sur les négociateurs de la coalition suédoise  pour défendre leurs seuls intérêts. Faire levier sur l'opinion publique est habile mais ne légitime pas l'appel à l'incivisme. En Europe l'Etat régule l'économie. En position d''arbitre il veille à l'équilibre global mais reste l'émanation des citoyens et non le bras armé des entreprises.

Je ne voudrai pas être excessivement moralisateur, mais l'enjeu est de taille : il oppose les dividendes des actionnaires au bien-être collectif. On espère que quelques négociateurs resteront sourds à ce type de déclarations entrepreneuriales ou simplement lucides. Une entreprise qui triche, comme un citoyen qui triche, doit être sanctionnée. C'est une question d'équité. On ne peut pas prétendre appliquer la justice et respecter l'Etat de droit quand l'appel à contourner les règles vient des plus puissants. 

2 commentaires:

Dany a dit…

100% d'accord.
La libre concurrence doit être encadrée de règles relatives à la protection des travailleur, à l'environnement, à l'hygiène, etc. Ces règles doivent être édictées par les autorités publiques en faveur du bien-être général.
Ce principe se heurte toutefois à au moins trois écueils. Primo, les entreprises et les financiers ne veulent pas de ces règles car elles limitent leur productivité, seul mot d'ordre dans notre système économique. Du coup, elles font tout pour repousser ces limites, les contourner ou... les ignorer. Secundo, les représentants de l'autorité publique sont parfois liés au monde des affaires et n'ont donc pas l'indépendance nécessaire. De plus, les tenants de l'idéologie de droite veulent moins d'Etat. Il s'agit même de leur fonds de commerce. Tertio, il conviendrait que ces limites soient les mêmes pour tout le monde. Or, les pays voire les Etats membres de l'Union voire les régions de notre pays ne parviennent pas toujours à trouver un accord, chacun défendant son pré carré. D'où du dumping social, des délocalisations, etc.
Bref, c'est pas gagné mais la puissance publique doit tenir bon et affirmer son autorité. Pas certain que le vent suédois souffle dans ce sens-là.

Anonyme a dit…

Thomas Cook et jetairfly bénéficiront de plus de 4 millions d'aides alors qu'elles doivent 3 millions d'euros d'amendes pour infraction aux normes de bruit.Et de plus elles font des bénéfices plantureux ,la belgique est vraiment un pays où l'on gaspille l'impôt du contribuable.Je suggère que l'état prélève le montant des amendes sur leurs subventions et le reverse à la région bruxelloise pour nous indemniser des préjudices que nous subissons.De la même façon qu'un citoyen qui ne paie pas ses contraventions se voit contraint de les rembourser car elles sont prélevées sur ses d'impôts.Cela forcerait aussi ces compagnies à s'équiper d'avions plus silencieux.D'autres aéroports en Europe ont dû fermé la nuit et les compagnies aériennes se sont adaptées.Ce chantage à l'emploi n'est pas réaliste surtout que la Belgique est un petit pays.