15 mars 2015

Religion et citoyenneté : nous avons besoin de laïcité (à la française)

"Je suis moins radical que ma collègue du parti socialiste". C'est par cette petite phrase étonnante que Youssef Handichi,  député bruxellois du PTB, a pris ses distance avec Karine Lalieux samedi sur le plateau de l'émission "Les Experts" sur Télé Bruxelles. Un élu PTB qui se revendique moins radical que sa concurrente PS, diantre ! Nous parlions alors de cours de citoyenneté,  Karine Lalieux venait de se prononcer pour la suppression pure et simple des cours de religion. "Je veux la liberté pour les élèves, qu'ils puissent ou non aller au cours de religion, mais pas supprimer ces cours" a alors développé l'élu d'extrême-gauche. Visiblement le marxisme mode PTB s'accommode fort bien de l'opium du peuple.  

Il ne faut pas accorder une importance démesurée a cette déclaration de Youssef Handichi. D'abord le député régional participait pour la première fois à une émission de télévision, il a pu s'écarter de la ligne officielle par manque de préparation (la question du cours de citoyenneté n'est pas une matière bruxelloise  mais communautaire) combiné à une bonne dose de stress (votre premier plateau télé ce n'est pas rien). Et si en prime le PTB peut désormais s'ouvrir à des prises de paroles plus personnelles de ses élus, c'est le signe d'une évolution plus démocratique du parti.  

Je rapporte ce propos parce qu'il est toutefois emblématique d'un malaise qui traverse tous les partis : la difficulté pour les élus proches de la communauté musulmane (au sens des familles croyantes, mais aussi non-croyantes mais marquées par la culture musulmane) à condamner la religion. A l'évidence si Youssef Handichi ne veut pas la suppression des cours de religion c'est parce qu'il sait trop bien que dans son entourage on accorde de l'importance à l'enseignement religieux. On n'affronte pas les croyants impunément, parce que l'on sait que les consignes de votes négatives sont souvent suivies et  peuvent coûter cher. Mais aussi parce que l'on ne voit pas la nécessité de brusquer une communauté déjà stigmatisée et dont on est l'un des représentants. 

Prendre ses distances avec une religion ou une culture dont on est issu n'est jamais facile pour un élu. C'est prendre le risque de se brouiller avec ses électeurs mais aussi avec ses proches. Je connais beaucoup d'élus musulmans qui boivent du vin à table. Mais qui ne veulent surtout pas que cela se sache. "Ma mère le prendrait très mal" m'expliquent-ils souvent. Derrière la figure maternelle ou paternelle se cache la craindre d'être perçu comme "non-représentatif" et de tomber en disgrâce électorale. 

Ce dimanche un peu plus de 3 000 personnes ont participé au rassemblement "Together in Peace". C'est peu. Portée par les grands courants religieux et philosophiques, la manifestation de voulait une démonstration de tolérance entre chrétiens de toutes obédiences, musulmans, juifs et libre penseurs. Elle n'aura pas mobilisé énormément de monde. 

Trois jours plus tôt la cour constitutionnelle avait rendu un arrêt qui rend facultatif les cours de religion ou de morale dans le réseau officiel. La décision de la cour ébranle les fondamentaux (voir mon billet précédent) et incite le monde politique à agir vite. Il y a une fenêtre d'opportunité qui semblait impensable il y a quelques années : l'enseignement de la religion au sein des écoles publiques pourrait rapidement appartenir au passé. Une anomalie du pacte scolaire est donc en passe d'être  corrigée dans une relative indifférence, 56 ans plus tard après le vote de la loi au parlement fédéral. 

Si je  mets la déclaration de  Youssef Hendichi, la marche pour la paix et l'arrêt de la cour en parallèle c'est parce que ces trois information nous renvoient au débat sur la laïcité. Il y a entre belges et français une incompréhension majeure pour ce concept. La laïcité à la belge est un acte militant qui ressemble à la libre-pensée en France. Elle implique une forme d'hostilité pour ceux qui croient. La laïcité à la française a une tout autre définition : c'est le fait de réserver ses croyances et ses convictions à la sphère privée. On peut être un chrétien convaincu et militer pour plus de laïcité.  Si nous appliquions la laïcité à la française, personne ne devrait dire s'il est croyant ou pas, aucun élève n'aurait plus à se positionner entre cours de morale et cours de religion, la famille royale et les ministres éviteraient les déplacements à haute valeur symbolique à la côte du Vatican, et Youssef Handichi n'aurait plus à se positionner sur les cours de religion. 

Au risque de paraître donneur de leçons : la Belgique de 2015 a besoin de laïcité à la française. Pour que chacun prenne l'habitude de discuter des affaires religieuses ou philosophiques chez soi, au café,  avec des amis. Mais plus dans l'espace public en considérant que tout le monde doit le savoir. Et encore moins avec l'idée que je dois convaincre d'autres brebis égarées de suivre le bon chemin. La laïcité est un rempart contre l'obscurantisme. Une forme de discrétion qui facilite la politesse. C'est cette laïcité qui nous permettra d'éviter la surenchère, de lutter contre le déterminisme,  de monter des projets communs, de transcender les clivages. C'est cette laïcité qui nous permet de vivre nos convictions sans blesser les autres. Il y a dans la "laïcité à la française" une forme de pudeur et de retenue qui facilite le vivre ensemble. Je suis un citoyen avant d'être un croyant ou un militant. Je ne suis pas le porte-drapeau de la communauté à laquelle "on m'a confié".  Entendons-nous bien : ce concept de laïcité c'est bien le renvoi hors du débat public des convictions religieuses ou athées. Ce n'est pas la traque aux différences comme essaye de le faire croire l'extrême-droite française qui livre de la laïcité une interprétation militante et teintée d'islamophobie. 

Longtemps la société belge fut organisé sous forme de piliers : on entrait dans des associations de jeunesses libérales, catholiques ou socialistes, on adhérait au syndicat puis à la mutuelle du même pilier, etc. Cette organisation de nos vies sociales et citoyennes ne correspond plus au monde d'aujourd'hui. De plus en plus d'électeurs assument un comportement consumériste et passent d'un parti à l'autre en fonction du scrutin, les convictions  sont devenues moins fortes. Surtout nos trois pilliers ne laissaient guère de place aux citoyens belges musulmans qui ne se reconnaissaient dans aucun d'entre eux. L'affaiblissement des piliers facilitera le passage à une laïcité moderne et respectueuse des convictions de chacun. Mon medecin n'a pas à connaître mon orientation politique parce que je sors ma carte de mutuelle. 

Ramener les convictions de chacun à une place spécifique, hors du débat public,  c'est les ramener à leur juste place.  Nous n'avons pas à nous déterminer dans chaque débat  en tant que chrétien, musulman, juif ou athée. Être de droite, de gauche, conservateur ou révolutionnaire, humaniste ou dirigiste , cela devrait suffire largement à alimenter le débat. Laissons nos convictions philosophiques à la porte d'entrée. Lorsqu'on enlève ses œillères, le débat avec l'autre devient une évidence. 

6 commentaires:

Eléonore a dit…

"Il y a dans la "laïcité à la française" une forme de pudeur et de retenue qui facilite le vivre ensemble."

Assez incroyable cette phrase quand on connait la situation de tension sociale en France.

La "laïcité à la française", à l'heure actuelle, est devenue très idéologique et absolument discriminante.

Anonyme a dit…

Chez nous il n'y a pas d'agenda caché, les choses sont claires et ceux qui se font élire pour représenter une communautés le sont visiblement.

A part le problème du séparatisme, qui date de la création du pays (et qui se limite a des mots, on est pas des corses ou des bretons, heu je veux dire des français), on est très ouverts: fin de vie, droits des homosexuels, la belgique peut donner des leçons de vivre ensemble à n'importe quel pays du monde.

En france, vous vous cachez derrière votre vision de la laïcité puis vous êtes tout surpris aux élections....

Pol-Henry a dit…

l'élu musulman est confronté à un énorme dilemme, sa loyauté première est-elle vers l'islam et son avancement, comme l'exige sa religion ou vers la constitution du pays dont il est citoyen ?

bibz a dit…

La laïcité à la française? Vous voulez parler de cet autre extrémisme? Décidément les belges ne feront que copier ce que les français font. Émancipez vous des français que diantre!!!
Vous voulez substituer une idéologie religieuse ou politique par une idéologie athéiste, agnostique ou laïque?
Votre intolérance est affligeante...

Gilles a dit…

L'élu musulman? Intéressant, donc par exemple moi (petit blanc, athé, issu d'une famille chrétienne), je suis d'accord avec Youssef Handichi (la liberté de choix pour les élèves, cours de religion ou pas, de citoyenneté de moral ect...) donc je suis dans le même dilem? La défense de l'islam et son avancement ou le pays dont je suis citoyen? Mmmmmmmm, je crois que la réfléxion est terriblement réductrice et particulièrement insultante.

Anonyme a dit…

Le FDF est le seul parti a défendre cette notion de laïcité politique.
Fred Lambin