L'exercice s’impose aux gouvernements comme aux écoliers : se soumettre à la critique et regarder le chemin parcouru. Mesurer les progrès déjà réalisés et ceux qui restent à accomplir, les objectifs atteints ou les manquements manifestes. Un an après sa prestation de serment (le 11 octobre 2014) le gouvernement Michel entre dans une période d’évaluation de son action et de sa cohésion. Les examinateurs sont nombreux : la presse et les politologues qui seront sollicités pour célébrer l’anniversaire, les syndicats qui manifestent mercredi et l’opposition qui se prépare à la rentrée parlementaire. Le discours de politique fédérale, le second mardi d’octobre, fait toujours figure de grand oral dans ces occasions-là.
Ce week-end mon confrère de l’Echo Joan Condijts écrivait que le bilan du gouvernement fédéral n’etait pas « disruptif » : la rupture n’etait finalement pas aussi forte qu’annoncée, beaucoup de politiques étant maintenues ou poursuivies. C’est dans doute vrai si l’on s’en réfère aux politiques socio-économiques ou fiscales (le prisme naturel de l’Echo) : il n’y a pas eu de grand soir et la majorité ne peut changer tout du jour au lendemain, une partie importante des leviers étant désormais dans les mains des régions. La nouvelle majorité ne peut s’en prendre qu’à elle-même puisqu’elle avait fait bruyamment fait savoir que gouverner sans les socialistes serait une véritable libération. On allait voir ce qu’on allait voir. Les supporters les plus impatients sont donc déçus. Le gouvernement composé de partis tous classés (plus ou moins) à droite se chamaille et se paralyse, les ministres ne paraissent pas plus compétents qu’avant, les difficultés budgétaires sont les mêmes, et le fossé linguistique se creuse. Même le fameux « tax-shift » (basculement fiscal) présenté comme une rupture fondamentale relève plus de la réformette cosmetique que de la révolution.
Si les milieux économiques affichent leur déception il ne faut pas sous-estimer une nouvelle donne essentielle : celle d’un nouvel équilibre politico-linguistique. Douze mois après son installation le gouvernement fédéral tient bon (il tient tellement bon même que le président du PS se contente d’estimer que « ce serait une bonne chose qu’il tombe » sans donner le sentiment d’oeuvrer vraiment à la chute de son adversaire). Son seul maintien pérennise un état de fait qu’on a suffisamment jugé atypique lors de son installation : un déséquilibre nord-sud réellement révolutionnaire (beaucoup au PS le tenaient pour tellement improbable qu'ils spéculaient sur sa rapide disparition) même si l’actualite tend à le faire oublier.
Jusqu’ici les gouvernements belges reposaient sur une notion de parité : on tentaient d’approcher une majorité dans chacune des deux grandes communautés. Néerlandophones et Francophones fondaient des majorités qui se complétaient (mais aussi se neutralisaient ou paralysaient parfois). Depuis les années septantes la suprématie néerlandophone était manifeste : le poste de premier ministre, les grands portefeuilles, l’impulsion dominante étaient dans la main du nord, mais de Martens à Leterme en passant par Dehaene ou Verhostadt on veillait à mettre en œuvre une partition collégiale, le concerto Belgique s’ecrivait pour deux pianos : un francophone et un néerlandophone et on prenait bien soin de nommer un gouvernement par les noms du premier ministre et du premier vice-premier (Martens-Gol ou Dehaene-Di Rupo) histoire de souligner qu’il y avait deux compositeurs.
Aujourd’hui la majorité gouvernementale est une majorité dominée par les partis néerlandophones. L’ecrire n’est pas une critique mais une simple constatation. La rupture est dans cette observation parlementaire. Avec le gouvernement Michel la Belgique politique a changé de logiciel. Nous sommes passés d’une Belgique politique bi-communautaire à une Belgique flamande, dans laquelle les francophones ne jouent plus qu’un rôle d’appoint. C’est un précédent. Il pourrait fort bien devenir la règle, et dans ce cas il y aura bien un avant et un après gouvernement Michel.
Ce changement de logique parlementaire induit que les thématiques politiques qui font l’agenda flamand (la compétitivité, la sécurité , l’immigration) s’imposent au niveau fédéral, alors que des thèmes plus portés au sud (l’emploi, la protection sociale, l’environnement) deviennent moins prioritaires. Dans ce contexte la nomination d’un bourgmestre issu de la minorité flamande à Linkebeek agit comme un révélateur : celui d’une démocratie où le pouvoir est aux mains des néerlandophones. Bien sûr, le conseil d’Etat a donné tort à Damien Thiery, Lisbeth Homans est dans son droit et les affaires flamandes ne relèvent pas du fédéral. Mais on ne fait pas de la politique uniquement avec des notions juridiques, la symbolique d’une élection bafouée est plus forte que la séparation des pouvoirs. L’opposition francophone qui multiplie les communiqués sur l’affaire de Linkebeek ne s’y est pas trompée. L'affaire est embarrassante pour un premier ministre mis en difficulté par son principal allié, mais qui ne peut politiquement pas intervenir sur le terrain régional. Elle démontre que la NVA a bien plus d'attention pour ses électeurs que pour le locataire du 16 rue de la loi. Le couac de Linkebeek résonne politiquement plus fort qu'un concert de Stromae.
Au delà du cas particulier de Linkebeek, on aurait donc tort de sous-estimer l’ évolution fédérale vers une Belgique désormais plus flamande. C’est bien là, plutôt que dans la nomination du bourgmestre d’une commune sympathique mais de taille modeste, dans une supposée flamandisation des nominations ou dans des réformes économiques qui n’arrivent pas, que le gouvernement Michel a changé la Belgique .
Avec un effet probable : celui de réveiller des régionalismes wallons et bruxellois en sommeil depuis un quart de siècle. Face au logiciel fédéral flamandisé, la prochaine réforme de l’Etat pourrait bien devenir une revendication francophone.
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