Ce sont deux démissions rapprochées dans le temps, et pourtant elles n'ont pas grand chose en commun. Joëlle Milquet, ministre de l'enseignement et de la culture de la fédération Wallonie Bruxelles (CDH) et Jacqueline Galand, ministre de la mobilité du gouvernement fédéral (MR) ont donc dû quitter leurs postes respectifs. Avec près de 20 ans de carrière journalistique au compteur, dont une bonne partie comme intervieweur politique, j'ai évidement approché l'une et l'autre. Deux femmes, deux tempéraments, et deux sacrifices. Joëlle Milquet et Jacqueline n'ont pas grand chose en commun de prime abord. Si ce n'est d'avoir offert leur vie à la politique. Cette semaine la politique a décidé de se passer de leurs talents respectifs. Le système les rend à leur vie, et l'atterrissage peut paraître brutal. Tant d'années où l'on travaille du matin au soir, sans compter ses heures, sans craindre les coups, à voir son nom étalé dans les journaux et sali sur les réseaux sociaux, pour se retrouver soudainement face au néant d'une privée du sens qu'on voulait lui donner. Dans ces cas là le soutien des siens est très relatif.
Des hommes et des femmes politiques fortement impliqués dans ce qu'ils considèrent être une mission, j'ai appris que la sortie de piste est souvent douloureuse. Mal préparée, involontaire, rarement anticipée. Les politiques sont comme ces acrobates qui poursuivent la voltige sans reconnaître que leurs articulations vieillissent et qu'il y a désormais dans la troupe de jeunes artistes plus agiles. Ils attendent l'accident pour raccrocher.
Pour Joëlle comme pour Jacqueline de l'accident était prévisible, inscrit, inéluctable. L'une comme l'autre ont vu le mur se rapprocher. Aucune des deux n'a pu freiner à temps.
Mes premières rencontres avec Joëlle Milquet furent glaçantes. Une interview ? Vraiment ? Oui, bon d'accord, si il faut, mais deux minutes, là maintenant, tout de suite, debout dans le couloir. Voilà, ça va , vous avez ce que vous voulez ? allez, au revoir. Et la fois suivante : Une interview ? Vraiment ? Vous êtes qui vous encore ? Ha oui, c'est vrai. Joëlle Milquet était un coup de vent permanent. Il lui aura bien fallu 4 ou 5 interviews pour qu'elle me donne l'impression de me reconnaître et mémoriser un nom de famille qui n'est pourtant pas si courant. Témoigner du respect et valoriser l'interlocuteur n'était pas son point fort. Ce manque d'écoute et d'ouverture lui a valu un nombre incalculable d'inimitiés. Joëlle Milquet, comme beaucoup de politiques divise l'humanité en deux catégories : ceux qu'elle estime et ceux qui lui veulent du mal. Elle a définitivement classé une majorité de journalistes dans le second groupe, ce qui rend les rapports rugueux, mais je crois avoir eu le privilège d'avoir parfois fait partie de ceux à qui elle reconnaissait un brin de subtilité. Se confronter régulièrement en interview amène à se connaître un peu. Bosseuse, c'est une évidence. Du matin au soir, passant d'un dossier à l'autre, maîtrisant ses données et son cadre juridique. Boulimique, elle prenait tout en main. Trop, peut être. Passer sans arrêt d'une idée à l'autre ou d'un dossier au suivant puis revenir au précédent sans crier gare perd votre interlocuteur et donne de vous une image brouillonne. Je me suis souvent demandé si c'était un trait de caractère ou un mode de fonctionnement qui permettait de continuer à avancer en camouflant les difficultés. J'ai lu beaucoup de notes de Joëlle Milquet dans ma carrière, y compris au moment des négociations de l'orange bleue. Le point A, le point B, le point C, le point D... On s'y perdait et on avait beau avoir le sentiment que rien n'était vraiment tranché, à la fin de la démonstration l'auteure voulait vous persuader qu'elle avait avancé. Pas toujours honnête. Joëlle Milquet c'est un peu de l'abattage de Guy Verhofstadt qui vous affirme devant une caméra qu'il y a un accord alors qu'en coulisse on discute encore, le sourire complice en moins, le regard maquillé qui se perd dans les nuages, les manches que l'on remonte et les mains qui font des moulinets en plus... Surtout Joëlle Milquet ne compartimente pas. Ses enfants, ses convictions, son parti, ses ministères, ses amis. Dans sa vie tout se mélange. La synthèse c'est Joëlle. C'est justement ce que ses amis et la justice ont fini par lui reprocher, d'avoir tout mélangé. Depuis les affaires de Chareleroi la règle est qu'un ministre inculpé doit faire un pas de côté. Suspension de carrière implicite, peu importe que le ministre soit finalement blanchi ou condamné au final.
Avec Jacqueline Galant c'est une autre histoire. Je l'ai interviewée moins souvent, et pour une bonne raison : elle déclinait la plupart de mes invitations. J'étais déjà un journaliste "installé" quand elle perce sur la scène nationale. Elle n'a pas toujours été sûre d'elle et n'était certainement pas "tout terrain", mais elle avait l'humilité de le reconnaître et travaillait donc ses points faibles. Jacqueline Galant doit son ascension politique à sa popularité dans un fief local où elle avait récupéré une partie de la notoriété paternelle. Une dose de centralisation ( à Jurbise comme à Mons, tout passe par le bourgmestre) une dose de bon sens, une dose de conservatisme. Je n'ai pas épargné ses penchants populistes et une vision politique qui vise à repousser celui qui est sans le sou ou d'une origine différente (elle rechignait à accueillir des logements sociaux dans sa commune)... mais je pense qu'elle les assumait et les assumera encore. C'est justement ce qui fait son succes électoral. La Jacqueline des champs aime la vie de village, ses réseaux et ses fêtes traditionnelles, c'est une bonne vivante. La Jacqueline des villes ne supporte pas la promiscuité, l'immigration et l'agitation désordonnée d'une grande agglomération cosmopolite. Avec des personnalités comme Jacqueline Galant et ses déclarations matamoresques ce que le MR gagne en proximité dans le Hainaut il le perd en image à Bruxelles. Sur l'échiquier politique, soutien inconditionnel de Charles Michel, elle fait pencher le parti sur sa droite. Ses convictions l'avaient amené à discuter avec des parlementaires NVA à une époque où c'était encore tabou. Humainement capable de taper dans le dos et de rire aux éclats avec ses ennemis politiques, Jacqueline Galant est une fille de la campagne, comprenez campagne électorale, pas une stratège des cabinets ministériels qui avancerait précautionneusement avec deux coups d'avance. Pour paraphraser les tontons flingueurs c'est du brutal, qui goûte la pomme et la betterave, du moment que ça fait de l'effet et peu importe ce que les journalistes bobos en écrivent. Être ministre ce n'est toutefois pas être bourgmestre, le bon sens et les formules chocs se sont avérés nettement insuffisants face à l'adversité de la chambre des députés et de sa propre administration. Cheminots, RER, survol de Bruxelles, directeur d'administration en opposition : à force de ne résoudre aucune des crises qui se présentait à elle la ministre mettait les siens en difficulté. Etre imperméable à la critique (même si on ne doute pas que certaines critiques aient quand meme blessé sous l'apparente cuirasse) ne vous autorise pas à exposer votre premier ministre.
Voici donc une semaine qui se referme avec deux démissions. L'une pour une inculpation, dont on rappelera qu'elle n'est qu'une inculpation et pas une condamnation. L'autre pour une incapacité à faire les critiques et gérer les conflits. On est très loin des attentats de Bruxelles et de leurs conséquences dramatiques pour lesquels les démissions de Jan Jambon et Koen Geens ont été refusées. La morale de l'histoire est une question de poids politique. Il est plus facile de sacrifier une ministre dont vous savez que le départ ne provoquera pas un déséquilibre qui pourrait vous être fatal. Joëlle Milquet et Jacqueline Galant n'ont pas que des qualités. Elles étaient surtout dans des positions où leurs partis respectifs avaient plus à perdre qu'à gagner à les laisser en place.
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