04 juin 2017

Mårten Spånberg : la danse condamne la routine et l'ennui

À gauche, sur une table basse, d'immenses bougies à moitié consumées. Sur le sol, des tasses de cafés renversées. À leurs fonds brunâtres on devine qu'elles ont été consommées. Sur le côté une fenêtre donnant sur la forêt. C'est le décor de "Gerard Richter, une pièce pour le théâtre" , pièce chorégraphique montée par Mårten Spånberg au KVS pour le Kunsten Festival des Arts. Les gradins sont éclairés, ils le resteront tout au long des 2h40 que dure le spectacle.  

Les danseurs traversent lentement l'espace. Les pas sont lents, les visages fermés. Deux personnages assis commencent un dialogue. On y parle de mort. De maladie, de sexe, de rapports parents-enfants, de rencontre et surtout  de culpabilité. C'est un texte par bribes, sans cesse répétés. Quand deux danseurs se taisent, deux autres, quelques minutes plus tard, reprennent la conversation. On décale d'une phrase ou deux, on change les interprètes, un homme, une femme, deux hommes, deux femmes, mais ce sont les mêmes propos, toujours, qui reviennent. L'interprétation est neutre, sans intonation, sans éclat de voix. Derrière les danseurs esquissent des mouvements, la musique perce du fond de la scène, mais toujours la parole reprend le dessus et accapare notre attention. Comme une discussion dont on saisit bien qu'elle évoque des faits graves mais qu'une répétition abusive précipite dans la banalité. À force d'entendre les mêmes phrases en boucle, le drame relaté n'a plus d'odeur. Pire, il finit par nous irriter au lieu de nous émouvoir. 

Les danseurs ont la quarantaine, hommes et femmes. Ils portent des costumes de loisirs, vêtements de sports et chemises colorées  d'une classe moyenne en quête de loisirs et de soleil. Comme si la gaité  de l'habit pouvait soulager de la grisaille de nos existences qui tournent en boucle. 

Mårten Spånberg est un chorégraphe exigeant. L'an dernier son "Natten", également présenté au festival, durait 7 heures. À l'évidence il n'aime pas faire court. Il devrait, pourtant. Après une heure de spectacle les premiers spectateurs quittent la salle. C'est vrai que le propos aurait pu être ramassé. La lecture resserrée, même si on comprend bien l'intention : cette répétition inlassable nous fait glisser vers l'ennui, puis vers l'indifférence. Le deuil c'est l'oubli nous explique la pièce,  ou plus exactement "vivre avec mais sans affects". Mais la danse n'est pas le théâtre, et les danseurs ne sont pas comédiens. 

Quand aux deux tiers du spectacle les narrateurs se taisent et redeviennent danseurs, le tableau est pourtant  de  toute beauté. Mouvements collectifs fluides, postures gracieuses. Les paumes ouvertes, ou le poing tendu, les bras s'ébrouent en vagues successives, les corps écrivent des arabesques, les gestes inspirés de la vie quotidienne sont sublimés. Le chorégraphe et ses danseurs offrent un moment de pure beauté. Les mouvements deviennent plus amples, le rythme plus rapide, la synchronisation impeccable. Le moment de grâce ne dure pas. La recitation reprend, les gestes redeviennent lents, la musique reste lointaine. Comme nos vies qui s'écoulent si lentement, prisonnières d'une routine si répétitive, un quotidien immuable recommencé chaque jour, en chemin vers une mort toujours certaine. Des bougies qui brûlent lentement et ne peuvent que s'éteindre. Des tasses de cafés qu'on ne peut que vider. Une litanie  dont seule la danse nous  permettrait de sortir. 

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