01 octobre 2017

Parce que l'histoire n'a pas de sens

Elle commence le spectacle dans un costume de Monsieur Loyal, haranguant le spectateur, façon bateleur à l'entrée du chapiteau. Elle termine chevelure dénouée et chemise déboutonnée avec une voix radoucie, sur le ton de la confidence. À l'oreille vous êtes passés du speaker des actualités cinématographiques aux interviews intimistes de Mireille Dumas (pour les français) ou Régine Dubois (pour les belges). Pendant 1h20 Anne-Marie Loop n'a cessé de changer de registre pour vous raconter le siècle passé. De la guerre de 14 à mai 68 en passant par l'Holocauste. 

Tenir la scène, seule, pendant 80 minutes, nécessite de l'endurance et des ruptures de ton pour relancer l'attention . Le dispositif scénique est minimal : un rideau rouge, quelques caisses en bois pour se poser, le tapis du chien qui l'accompagne sur scène, un micro et quelques musiques pour agrémenter et rythmer la représentation. Le monologue est une performance au profit du texte. Celui-ci n'est pas une simple ballade historique qui nous mènerait de la découverte de la pénicilline à "Come Together" des Beatles, de l'attentat de Sarajevo aux slogans de mai 68. Non, le texte de Patrick Ourednik est d'abord une interrogation de la notion de progrès. L'arrivée de l'électricité dans les campagnes, la locomotive à vapeur, l'eau courante et les sanitaires : le XXe siècle est celui de ces avancées techniques. Mais aux progrès de la science et des industries l'auteur mêle l'évolution des arts et des idées : vous croiserez l'impressionnisme, le surréalisme, l'existentialisme, le communisme  et la montée en puissance de la sociologie. Cela donne un joyeux fatras jubilatoire où le pire côtoie ironiquement le meilleur. Car le progrès au XXIe siècle engendre des monstres, le nazisme, bien sûr, qui occupe une place centrale dans le monologue, le nationalisme, le racisme, l'eugénisme, longtemps défendu par les savants les plus pointus, ou , dans un registre moins dramatique, la frénésie de consommation et l'acculturation des masses... 

Ce qui paraissait  le progrès de l'époque résonne comme une horreur vu de la nôtre. Et Anne-Marie Loop et Patrick Ourednik  de nous amener à nous poser la question du sens de l'histoire. C'est quand l'humanité croit marcher d'un bon pas vers un futur radieux où le soleil brille brille brille (le spectacle commence par cette chanson d'Annie Cordy) qu'elle déclenche les pires oppressions et catastrophes. C'est au nom du bonheur et du progrès de la race humaine que les esprits les plus éclairés déclenchent guerres et violences. De ce XXe siècle, analysé ici par un prisme uniquement  européen, on retiendra encore la libération sexuelle et la lente accession des femmes à la citoyenneté. Il n'y a donc pas eu que des horreurs. Mais ce retour sur un passé récent suffit à nous alerter sur ce qui nous attend au XXIe siècle. Du terrorisme, des guerres, du nationalisme, des scientifiques sans éthique et des philosophes sans empathie... 
Sur scène, on consomme et on jette les objets au fur et à mesure du récit  dans l'insouciance la plus totale, et cela finit par ressembler à une décharge, comme notre environnement. Peut-on se sortir de cette histoire, avec un grand H ? Non répond le texte.  Attendre la révolution cosmique du New Âge ou se tourner vers le bouddhisme  n'empêchera pas les adeptes d'être engloutis par leur époque. Parce qu'il n'y a pas de morale de l'histoire. Le siècle qui suit le précédent ne progresse ni ne régresse. L'homme ne va pas naturellement dans  le bon sens. Ni dans le mauvais. 

"Europeana, une brève histoire du XXe siècle " au théâtre des martyrs. Photo emprunté au site du théâtre. 

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