Sur scène le dispositif est riche. Les décors signés Aurelie Borremans, mobiles, convaincants et appropriés. Deux cubes accueillent une récitante et un dressing au rez-de-chaussée, Ann Pierlé, son piano et ses musiciens prenant place au premier étage. Entre les deux un grand écran accueille les images filmées sur scène. Juliette Van Dormael et son assistant, Takeiki Flon, opèrent avec deux caméras, l’une sur grue, l’autre à l’épaule. Juliette est au plus près des comédiennes, gros plan sur les visages, les mains, les détails du décor comme pour mieux faire ressortir la banalité sordide de la vie quotidienne de Sylvia Plath. Déjà, Takeiki ( ou Dimitri Petrovic , autre assistant caméra mentionné dans la distribution, et on savoure ici cette inversion où les hommes laissent le premier rôle artistique aux femmes ) prépare le cadre et positionne l’autre caméra pour la scène suivante. Le passage d’une caméra à l’autre est une prouesse de réalisation TV. Comment faire aussi riche avec seulement deux objectifs ? Notre regard passe des plans serrés de l’écran à la vue large de la scène. L’intimité sur l’écran du haut, le mouvement d’ensemble sur la scène du bas. Pas anodin. La vie de Sylvia Plath c’est aussi celle de l’âge d’or de la TV. Quand le petit écran impose l’image de ménagère modèle. Celle qui prépare les corn flake le matin, monte les blancs en neige l’après-midi et se morfond en attendant l’hypothétique retour de l’homme en soirée. Sylvia Plath intègre les stéréotypes, les assume. Elle ouvre aussi le courrier des maisons d’édition, tape les poèmes du mari à la machine, enfante et élève. Perd le temps de créer. Vole sur son sommeil quelques heures d’écriture.
Ann Pierlé, aérienne, et pas seulement parce que son piano est perché, prend du recul et donne du sens. Mélodies et textes s’interpénètrent. Des extraits d’enregistrements radio où les comédiennes évoquent le projet se superposent. Il y a Sylvia, sa vie, le projet des comédiennes et le film qui réunit le tout. Le discours et le meta-discours. C’est pourtant fluide et convaincant. Saxophoniste et percussionniste apportent ce qu’il faut de swing et de rupture. La vie de Sylvia n’est pas la mine ou l’usine. C’est juste une comédie musicale un peu trop mièvre pour celle qui assume le rôle principal. Une vie enfermée dans un décor de carton qui fini par être en dissonance avec le scénario annoncé.
Une vie qui se consume trop vite et se débat avec les renoncements. Neuf comédiennes incarnent tour à tour ce rôle principal. Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers, Valérie Bauchau et sa grâce ne sont pas seules. Blondes, rousses, brunes, jeunes ou dans la force de l’âge. Toutes jouent juste et forment un chœur féminin, à la fois acteur et spectateur d’une histoire de la féminité. Comme pour nous rappeler que Sylvia n’est pas un cas unique. Dans les années 1950 la poétesse qui se sacrifie jusqu’à la folie et la négation de soi pour la gloire d’un poète ingrat est une femme méprisée parmi tant d’autres. En 2018 on aimerait que cela ait changé. Un peu.
Le spectacle est à voir au théâtre narional cet automne. Il sera visible ensuite à La Louvière, Mons et en France.
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