16 janvier 2019

Benoit Lutgen et le départ inévitable

Solitaire et secret, il sera resté imprévisible jusqu’au bout. Avec une opération de com rondement menée (la une de presque tous les quotidiens -sauf l’Echo - et des interviews dans le Soir, la Libre, l’Avenir, un passage sur la Première, bref un strike, surtout quand l’embargo n’est rompu qu’à 23 heures, une performance) Benoit Lutgen aura donc surpris les commentateurs. Pas sur le fond : son départ de la présidence était inscrit dans les astres, l’hypothèse avait déjà été évoquée à plusieurs reprises. Mais on l’attendait plus tôt (dans la foulée des communales) ou plus tard (après les prochaines élections). Le nom du successeur le plus probable, Maxime Prévôt, était connu depuis longtemps. A vrai dire le CDH n’a pas beaucoup de choix. Catherine Fonck ou Celine Fremault manquent d’assises, André Antoine , Benoit Cerexhe, René Colin et même Carlo Di Antoine n’incarnent pas l’avenir. Bref, tant que Melchior Wathelet ne tenterait pas un come back en politique l’affaire était entendue. Prévôt est le seul à appartenir à la bonne génération et à avoir démontrer la capacité de gestion, la surface électorale et la solidité médiatique nécessaires à la fonction. 

 Reste donc le choix du moment. Un coup de tête impulsif comme Benoît Lutgen les affectionne railleront ses détracteurs. Il y a un peu de cela : depuis son accession à la présidence Benoit Lutgen pratique volontiers l’art du contre-pied, et n’informe qu’un entourage très restreint. Le président consulte un peu, rumine beaucoup et surprend toujours. Mais croire que ce départ est irréfléchi serait une erreur. Il est, au contraire, la conséquence logique des actes posés par le président partant.

 Comme toujours en politique les jugements manichéens n’offrent qu’une vue partielle. Benoit Lutgen avait pour objectif, atteint, de changer l’image d’un CDH au centre gauche, devenu un parti urbain et ouvert à la diversité, pour le repositionner plus près de l’électorat wallon et rural. Il en a payé le prix en terme électoral (les sondages ne sont pas bons, surtout à Bruxelles, et si le parti s’est maintenu dans certaines bourgades wallonnes, son déclin est loin d’être enrayé) et surtout en terme d’image personnelle. Car c’est bien de cela dont il s’agit. La difficulté de la famille centriste (on disait social-chretienne il y a 15 ans encore) à retrouver une position originale et solide dans l’offre politique contemporaine pèse lourdement sur le sort peu enviable de ses premiers de cordée.

 La présidence de Benoit Lutgen pourrait se résumer en deux séquences particulièrement fortes. La première en 2014, alors que les négociations régionales ont permis au CDH de monter dans les exécutifs régionaux, le président du CDH ne veut pas entendre parler d’une coalition avec la NVA au fédéral. L’affrontement avec Charles Michel se fera sur les plateaux de télévision. Benoit Lutgen y apparaît déterminé, ses attaques sont frontales, viriles. Question de principe martèle-t-il, genre la NVA c’est le démantèlement de la Belgique, ils ne passeront pas par moi. Seconde séquence forte, en 2017. Le président du CDH voit que son parti n’en finit pas de s’abîmer dans l’exercice du pouvoir. Il déclare le PS indigne et décide de changer de partenaire. Brusquement, et apparement sans sommation. Une trahison pour les socialistes et une aubaine pour les libéraux. 

 Il faudra attendre les prochaines élections pour tirer le bilan comptable de la présidence Lutgen. Sur le plan de l’image si l’essentiel était de se « descotcher » du PS, le sparadrap n’existe plus, les compteurs ont été remis à zéro, la présidence est un succès. S’il s’agissait de se mettre en position de continuer à peser sur le cour des choses en participant aux majorités à venir, on peut en douter. En se brouillant avec Charles Michel pour mieux se jeter dans les bras de son parti par la suite, en déclarant la NVA infréquentable en début de législature pour finalement se fâcher avec le PS ensuite (même si ce n’est pas le même niveau de pouvoir), Benoît Lutgen s’était personnellement mis dans une situation intenable. Humainement compliquée et illisible pour le grand public. Négocier avec un nationaliste flamand ou un socialiste francophone après les prochaines élections ne lui aurait pas été aisément possible. Maxime Prévôt, au caractère plus rond et aux déclarations plus prudentes pourra faire l’un et l’autre. La cohérence entre ces deux séquences fortes me direz-vous ? Benoit Lutgen a soldé l’héritage de Joëlle Milquet. C’est ce que lui demandait le bureau du CDH. Au final son retrait est moins à contretemps qu’il n’y parait. La chute de la majorité suédoise et le positionnement clairement populiste et flamand de la NVA ont ouvert une nouvelle séquence. Il faut redéfinir stratégies et positions. C’est vrai pour tous les états-majors, pas seulement au CDH. Avec une barbe de trois jours et une expression moins fluide qu’à l’accoutumée l’homme a déjà tourné la page. Pas par caprice. Mais parce qu’il lui était difficile d’aller plus loin.

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