07 juin 2014

Le blocage bruxellois en 7 questions (avec les réponses)

L'info est à la une depuis jeudi soir. L'openVLD et le CD&V ne veulent pas entamer de discussions avec les FDF en vue de former le gouvernement régional  bruxellois. Un coup de tonnerre alors que les deux communautés avaient choisis leurs champions respectifs : PS/FDF/CDH pour les bruxellois francophones VLD/SPA/CD&V pour les bruxellois néerlandophones. Comme le week-end me laisse un peu de répit je voudrais tenter de résumer ce fait de négociation (j'emploie cette expression pour renvoyer aux "faits de campagne" et désigner un événement qui pèsera sur la suite des événements).

1. S'agit-il d'une première ? 
La réponse est oui. En 25 ans d'existence de la région Bruxellois jamais une communauté (ou pour être plus précis une partie de celle-ci) n'avait lancé d'exclusive sur ce qui se passe chez le voisin. Pour rappel le législateur (à la demande des partis néerlandophones qui souhaitent protéger leur langue, leur culture et leurs élus, minoritaires dans la capitale)  a mis en place deux collèges distincts à Bruxelles, et y a ajouté lors des accords du Lombard une représentation garantie pour les élus néerlandophones (avec comme conséquence qu'un candidat  NL a besoin de moins de voix pour être élu, c'est un fait). Rappellons egalement que notre constitution impose un relatif équilibre au sein du gouvernement bruxellois (j'écris relatif car le ministre-président ne compte pas, et que si le nombre de ministres est fixé, on peut jouer avec des secrétaires d'état) . Nous avons donc bien deux systèmes électoraux distincts qui débouchent sur la formation de deux majorités. Jusqu'à présent on négociait chacun de son côté. En 1989, à la création de la région les partis flamands ont bien protesté contre la présence du FDF de même que les francophones ont fait savoir qu'ils ne désiraient pas travailler avec la Volksunie mais on en était resté au niveau des déclarations. Un blocage des négociations, s'il se confirme, est une première historique. Avec comme conséquence une paralysie possible des institutions régionales.  

2. S'agit-il d'un veto ? 
Là il faut être subtil. Les prochains jours nous diront quel est le degré de crise. Le Parti Socialiste et les FDF s'appliquent à dédramatiser la situation en évoquent une poussée de fièvre momentanée et en jouant l'apaisement. Un simple report de quelques jours de l'ouverture des discussions. Du côté de la presse flamande on semble plus alarmiste à ce stade. Les mots employés indiquent bien qu'il y a plus qu'un simple effet de manche et Open VLD et CD&V ont bien donné comme consigne de ne pas ouvrir les discussions. Mais ce n'est pas un veto ferme et définitif. Pour le dire en termes simples on a appuyé sur "pause" pas encore sur "stop". 

3. Qui bloque ? 
Le communiqué cite trois noms : ceux de  Gwendolyn Rutten, présidente des libéraux flamands,   Wouter Beke, son homologue du Cd&V et Guy Vanhengel, ministre bruxellois sortant et formateur car grand vainqueur des élections dans le Bruxelles néerlandophones, sa liste ayant emporté 5 sièges.  Dans les faits c'est l'attachée de presse de l'openVLD qui adresse le communiqué par mail aux rédactions. Pire Guy Vanhengel, ne pouvait pas ignorer que PS et FDF négociaient (on se parle, hein dans ces cas là et Charles Picqué a publiquement expliqué sur le plateau de Télé Bruxelles que le négociateur néerlandophone  avait bien été informé) et n'a semble-t-il pas trouvé matière à bloquer le processus ( on rappellera qu'il est en majorité avec les FDF à Evere). La preuve ? Guy Vanhengel avait prévu une conférence de presse commune entre tous les partis vendredi matin à 11 heures. L'invitation était partie. Il a fallu l'annuler en dernière minute. D'après mes informations le formateur néerlandophone, dont la majorité VLD/SPA/CD&V était un secret de polichinelle, pressait même les francophones d'accélérer le mouvement. Le blocage vient bien de l'échelon supérieur, celui des flamands de Flandre, et de l'Open VLD en particulier. 
On notera que le SPA et Groen ont pris leurs distances : le "non au FDF" n'est porté que par 2 formations politiques. 

4. Le blocage est-il légitime ? 
Ici on quitte le domaine de l'analyse pour entrer dans le champ du commentaire. On pourrait arguer que les néerlandophones craignent que les FDF rognent certains de leurs  droits acquis en région bruxelloise (la représentation garantie au parlement, l'obligation de bilinguisme dans les services publics,etc). Cela rend la manœuvre explicable politiquement. Il appartient dans ce cas aux partis concernés d'expliciter leurs craintes. 
On rappellera quand même quelques chiffres. Les FDF ont séduit 60 547 électeurs (ce qui leur donne 12 députés). L'open VLD 14 250 (soit 4 fois moins d'électeurs mais les liberaux obtiennent néanmoins  5 députés grâce à la représentation garantie) et le CD&V 6 102 (3 députés). Cela jette un certain discrédit sur la légitimité du propos. 

5. Quelles seront les conséquences du blocage ? 
Inévitablement cela pose la question de confiance entre francophones et néerlandophones de Bruxelles. Alors que les partis flamands, Guy Vanhengel en tête, ne cessent d'affirmer qu'ils sont de vrais bruxellois, on voit qu'une fois de plus les ordres viennent de Flandre et que l'intérieur supérieur passe avant celui de la région bruxelloise. Guy Vanhengel est ici déshabillé, mais Pascal Smet et Brigitte Grouwels ont aussi montré dans le passé leur profil plus flamand que bruxellois (donnons-nous rendez-vous pour le dossier survol de Bruxelles pour voir lequel des 3 plaidera en faveur d'une concentration des vols sur le Brabant flamand pour soulager Bruxelles).   À ce titre entendre des elus néerlandophones essayer de séduire les électeurs francophones élections après élections pour changer d'attitude des le scrutin passé devient lassant. 
Plus grave, si le blocage persiste OpenVLD et CD&V auront fait un pas de géant vers la mise sous tutelle de la capitale. C'est la proposition NVA d'une co-gestion de la capitale par les communautés francophones et flamandes et non par les bruxellois eux même qui s'exprime ici. Cela risque de mettre à mal tout l'équilibre bruxellois, et notamment la fameuse représentation garantie. Ouvrir ce débat est particulièrement dangereux et équivaut à une 7ieme réforme de l'état. 
Ajoutons que les francophones ne peuvent pas mettre le FDF au coin sous prétexte que les flamands le demande (de même que la NVA ne peut pas être hors jeu parce que des francophones le souhaitent). Imaginer que PS et CDH feront machine arrière parce que Gwendolyn n'est pas contente c'est comme acheter un billet à l'euro million : un doux rêve. 

6. Le blocage est-il provoqué par des arrières pensées ? 
La presse a évoqué l'hypothèse d'un coup de colère libéral après l'annonce des coalitions. C'est possible. Certains journaux évoquent même une démarche conjointe MR/VLD destinée à rendre un coup aux socialistes. Je doute que cela puisse être la seule motivation. 
En revanche l'Open VLD se savait mal embarqué dans les négociations flamandes. Qu'il ait voulu marquer le coup et se positionner "en bon flamand" , enlevant donc un argument a la NVA me semble plus crédible. J'ouvre ici une parenthèse : Gwendolyn Rutten ne procède pas différemment d'Alexandre De Croo lorsqu'il avait fait chuter le gouvernement fédéral sur la scission de BHV. L'openVLD fait campagne en se démarquant de la NVA et en s'affirmant fédéraliste  mais dès l'élection passée il se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine communautaire. En musicologie on parlerait de tempo syncopé, d'improvisation ou même de couac. 


7. Peut-on sortir de la crise ? 
La réponse est oui. À la condition bien sur que les FDF ne versent pas dans la provocation dans un climat déjà chauffé à blanc. Laurette Onkelinx et Guy Vanhengel n'ont pas perdu le contact. Ils peuvent très bien définir ce qui est nécessaire pour relancer le processus. Bien sûr cela passera par une expression publique. Des gages donnés à la communauté néerlandophone de Bruxelles. On n'imagine pas un seul instant que PS et CDH veuillent revoir les mécanismes de protection des flamands de Bruxelles, cela pourrait donc très bien  être publiquement réaffirmé. Olivier Maingain indique déjà qu'il respectera les accords de la 6ieme réforme de l'Etat. Il faudra encore quelques déclarations dans le même sens  dans les  prochains jours pour débloquer la situation. Histoire que tout le monde reprenne son calme. 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Maintenant que l'Open VLD a été débarqué du gouvernement flamand, on ne pourrait pas imaginer que Gwendolyn Rutten revienne à la raison et permette à Guy Vanhengel de remplacer le CD&V (et la très flamande Grouwels) par Groen (qui a un siège de plus que le CD&V) ?