Dans la réalité les choses sont plus complexes. Benoit Lutgen avait sans doute la conviction dès sa première rencontre avec l'informateur que le scénario proposé n'etait pas possible pour lui. D'abord parce qu'il ne partage pas le programme de la NVA. Ensuite parce qu'il se sentait mal à l'aise dans un projet de coalition ou son parti aurait incarné une aile gauche numériquement faible et peu susceptible d'imposer ses vues face à trois partis nettement plus à droite. Parce qu'avec De Wever le courant ne passe pas. Parce qu'avec les libéraux le courant ne passe pas mieux (et même moins bien). Parce que le CD&V est un faux parti frère (et donc pas loin du parti faux-frère). Et parce qu'être le seul à siéger à tous les niveaux de pouvoirs, quand le régional tire à gauche et le fédéral à droite, c'est prendre le risque d'etre écartelé et de prendre des coups de tous les côtés. La position de refus du nouveau Monsieur Non ne faisait pourtant pas l'unanimité au sein de ses propres troupes. Pour certains membres du bureau humaniste, la coalition federale de "droite" était une occasion unique de montrer son indépendance vis à vis du PS et de priver le MR de l'argument du "scotchage". C'était démontrer que le CDH était au centre politiquement mais aussi stratégiquement parlant. La discussion interne fut donc une véritable discussion. A tel point qu'en cours de journée la rumeur annonçait que les humanistes n'allaient peut être pas fermer la porte, mais poser des questions à l'informateur. Le souci de cohérence l'a finalement emporté sur la tentation du bon coup.
Ce soir, en fonction de vos convictions vous partagez probablement l'une des lectures suivantes.
Soit vous trouvez que le CDH a été logique, qu'il respecte les positions prises dans la campagne, et qu'on ne peut s'allier à la NVA qu'en tout dernier recours. Monter dans une telle coalition présentait des risques sociaux pour les francophones et le CDH ne pouvait pas faire partie de ceux qui par petites touches risquaient de rogner sur la protection sociale ou dégraisser l'Etat Fédéral. Dans ce cas vous noterez que c'est finalement le MR qui fait la mauvaise opération de la journée en étant le seul parti francophone à avoir montrer qu'il était prêt à entrer dans ce genre de discussion avec un Bart De Wever qui reste un grand méchant loup temporairement déguisé en Mère Grand.
Soit vous trouvez que le CDH manque de courage. Que la note de Bart De Wever était une base de discussion acceptable, qui préservait l'essentiel pour les francophones et surtout que c'était une occasion unique de pratiquer une forme d'alternance au niveau fédéral. Vous regretterez alors sûrement que le CDH finisse dans les faits par toujours s'aligner sur le PS et que ces deux partis soient indissociables depuis 10 ans à tel point que le vote CDH soient en passe de devenir inutile, que Benoit Lutgen est un Pinocchio ardennais dans les mains d'un Gepetto montois et que ses électeurs doivent constater que leurs suffrages théoriquement au centre servent à maintenir des coalitions à gauche.
Je vous propose un autre niveau de lecture. Celui de la logique des blocs. En optant pour le refus et en le motivant par les arguments employés ce mardi soir Benoit Lutgen défend son projet politique bien sur, mais renforce malgré tout la division de la Belgique en deux blocs que tout opose : la langue, mais aussi la sensibilité politique , le rapport à la sécurité sociale, le rythme de réforme, etc.
Schématiquement le bloc flamand s'organise autour de la NVA, le CD&V et dans une moindre mesure l'open VLD en sont des satellites proches tandis que Groen et le SPA évoluent à la marge du système, dans un rôle d'opposants peu audibles. Le groupe francophone s'organise autour du PS avec le CDH et potentiellement le FDF et Ecolo en satellites proches tandis que le MR est désormais à la marge du bloc francophone.
De bloc à blocage il n'y a qu'un pas. On ne voit pas aujourd'hui qui peut lancer des ponts d'un bloc à l'autre. Imaginer que le système flamand ne tourne plus autour de la NVA et que ce bloc néerlandophone va se fissurer pour laisser le parti de Bart De Wever sur le bord de la route federale est un pari hasardeux. Croire que le bloc francophone peut s'organiser sans le PS vient d'etre démenti par les faits. Nous revenons donc à la situation de 2010 quand PS et NVA se faisaient face. Mais on notera que ces deux acteurs majeurs ont bâti leur (relatif) succès électoral sur la dénonciation de l'autre. Il faudra beaucoup de doigté et sans doute pas mal de temps pour contourner la logique des blocs. Vous pouvez lancer le compteur.
3 commentaires:
Excellent. Merci.
Benoît Lutgen aggrave la méfiance entre le Nord et le Sud
Autre idée: et si au lieu de regarder le choix du CDH sous un angle socio-économique ou stratégique on le regardait sur un angle institutionnel? Le CDH est sans doute le parti le plus attaché à l'unité de la Belgique, le plus nostalgique de la Belgique unie du temps ou les sociaux-chrétiens gouvernaient en maîtres et le plus attaché à la monarchie. Faut-il s'étonner qu'ils aient un rejet épidermique vis-à-vis d'un parti qui veut la fin de la Belgique unitaire et la fin de la monarchie?
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