Incontestablement, la démission d'Arnaud Montebourg du gouvernement Vals est un fait politique majeur. Pensez-donc : trois ministres (Montebourg, Hamon, Filippetti ) qui défient le président de la république et son premier ministre au nom des valeurs cela s'apparente à un bras d'honneur. Un gouvernement installé depuis 5 mois contraint au remaniement ministériel sans que la tête de l'exécutif ne soit à la manœuvre c'est la confirmation d'une crise, d'un schisme profond. Un président déjà au plus bas dans les sondages malmenés par des élus de son propre camp, le témoignage d'une perte de confiance du "peuple de gauche" dans celui qui est censé être son capitaine. Un désaccord profond avec le premier lieutenant dont on se demande s'il ne s'est pas trompé de camp. La mutinerie se déroule sous nos yeux, d'une petite phrase provocante à l'autre, d'une fête de la rose par ci à un tweet par là. Pire, en squattant les plateaux des journaux télévises ce lundi soir Montebourg et Hamon ont fort bien fait passer leur message : eux seraient fidèles à leurs engagements et veulent œuvrer à une reprise par la relance tandis que Francois Hollande et Manuel Valls trahiraient leurs électeurs et les intérêts français en sacrifiant la reprise sur l'autel d'une rigueur qui ne profiterait qu'aux entreprises. Déjà les analystes s'interrogent pour savoir quelle stratégie sera la plus gagnante tant sur le plan économique que dans la course présidentielle. Il y aura donc un avant et un après Montebourg. Pour plus de détails je vous renvoie à mes confrères français.
Si la situation du gouvernement français est passionnante je voudrais surtout la confronter à nos débats belges du moment. On dit souvent que les belges adorent la politique française parce qu'elle est plus contrastée, passionnelle et exaltante que nos querelles communautaires. Je rencontre souvent des français qui n'entendent rien à la politique belge parce qu'elle serait trop subtile, brouillonne, byzantine pour des esprits non-initiés. L'occasion est belle d'essayer de transposer la crise française et d'en tirer quelques enseignements. Une sorte de cours de politique belge pour les nuls (par nuls notez que je ne vise pas les français en particulier), un manuel de survie pour citoyen belge fraîchement naturalisé, ou un manifeste de la différence, parce que ce n'est pas parce qu'on parle la même langue qu'on peut forcément se comprendre.
Leçon 1 : le ministre est tenu à un devoir de réserve.
"Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne". La célèbre phrase est signée Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de la défense de François Mitterrand, fort en gueule et lui même démissionnaire. Elle illustre bien cette obligation de réserve qui s'impose à un membre du gouvernement. Un ministre ne critique pas ses collègues et ne met pas en cause la politique suivie. C'est vrai en France, pas en Belgique. Le principe de coalition vous autorise à critiquer les collègues surtout lorsqu'ils sont membres d'une autre formation politique et donc des concurrents électoraux à intervalles réguliers. Il est plus délicat de contester la ligne générale du gouvernement, mais on peut quand même marquer sa différence lors de chaque grand débat politique pour autant qu'on ait l'intelligence de le faire avant la prise de décision (les contrôles budgétaires servent autant à susciter le débat idéologique qu'à trouver des économies réelles).
Leçon 2 : le chef de gouvernement nomme ses ministres et peut les révoquer
C'est vrai en France où le Président de la République nomme un premier ministre, lequel compose son équipe avec les ministres de son choix et peut les démettre à sa guise. Hors période de cohabitation ce type de décision se prend à deux, président et premier ministre constituant un tandem, ce qui semble avoir été le cas ici. En Belgique par contre ce pouvoir n'appartient pas au chef de l'exécutif. Officiellement c'est le roi qui nomme ses ministres. Officieusement ce sont les présidents de parti qui les désignent. Si demain un ou plusieurs ministres devaient être remplacés ce sont ces présidents qui désigneraient leurs successeurs et le premier ministre n'aurait pas grand chose à dire. En Belgique Manuel Valls n'aurait donc pas pu obtenir le départ d'une partie de son équipe : le(s) président(s) de parti(s) concerné(s) s'y serai(en)t sans doute opposé(s).
Leçon 3 : un gouvernement doit être homogène
Là on rigole. En France il y a une certaine cohérence à être de gauche dans un gouvernement de gauche et de droite dans un gouvernement de droite (notez qu'il y a quand même régulièrement des exceptions). En Belgique dans des gouvernements qui sont par nature des gouvernements de coalition la notion d'homogénéité n'a aucun sens. D'ailleurs ce n'est pas parce qu'on siège dans un gouvernement kamikaze qu'on est soi même kamikaze, ou suédois dans une coalition suédoise.
Leçon 4 : on peut changer de cap en cours de route
C'est le grand argument de Montebourg : constatant l'échec de sa politique économique François Hollande devrait oser un changement de cap. Ce virage politique serait d'autant plus justifié que de nombreuses voix s'élèvent pour condamner les politiques de rigueur, et qu'on ne peut rester sourd à ces appels. Un tel changement de cap est impossible en Belgique. Le cap est fixé dans un accord de gouvernement, on n'y touche plus. Plus la coalition est hétérogène plus l'équilibre politique est difficile à trouver et plus l'accord sera détaillé. Les belges n'aiment pas l'improvisation et face à un imprévu leur capacité de réaction est proche de zéro.
Leçon 5 : un différend idéologique justifie de faire tomber un gouvernement
Là on reconnaîtra à Arnaud Montebourg et Benoit Hamon un certain panache. Provoquer une crise gouvernementale sur une question de politique économique c'est quand même de la politique avec un grand P. Pour comparer on se rappellera qu'en Belgique on fait tomber des gouvernements parce qu'ils n'ont pas scindé un arrondissement électoral ou parce que le premier ministre n'a pas tout à fait dit la vérité sur la situation des banques que le contribuable est prié de sortir du pétrin.
Leçon 6 : une démission ça vous relance une carrière politique
Tout le monde en France pense que Montebourg pense à l'élection suivante. Démissionner aujourd'hui c'est prendre ses distances avec Manuel Valls et se positionner pour la prochaine présidentielle. La démission comme tremplin ? Ce n'est pas Yves Leterme qui nous contredira. Oups, pardon.
Leçon 7 : c'est toujours un peu à cause de l'Europe
Là-dessus les hommes et les femmes politiques de toute l'Europe se ressemblent tous un peu. Quand ça va mal c'est toujours parce qu'il a fallu suivre les recommandations de la Commission Européenne et que celle ci bride la liberté des États. Bien sûr on évitera de rappeler que ce sont les Etats qui nomment les commissaires.
Leçon 8 : quand il pleut , il pleut
L'image de François Hollande s'exprimant à l'Ile de Sein restera comme l'une des images fortes de la journée. Imperméable sur les épaules, visage ruisselant, soumis aux bourrasques, François Hollande n'est pas à son avantage. Là on reconnaîtra que les Belges ne sont pas mieux lotis que les Français : le climat serait tout aussi humide et même un peu moins favorable. C'est la raison pour laquelle, en Belgique, quand on a un discours solennel à faire et qu'à fortiori toute la presse du pays vous guette, on installe le pupitre à l'intérieur.
5 commentaires:
Je pense que votre article aurait été plus fourni et instructif si vous aviez analysé les différences....dont l'obligation de résultats (inexistante en Belgique), l'absence de transparence idem ,la "non communication" (fuite de la presse)aggravée par l'inexistence d'une presse réactive, l'inertie des citoyens face à une incompétence notoire: incapacité à établir un plan de vol sécuritaire, à assurer l'approvisionnement en électricité, à organiser un enseignement de qualité voire un enseignement tout court.... etc.(trop fourni). ... En Belgique les journalistes ne comprennent pas ce qu'est un devoir d'information n'ont pas le courage de l'assumer.
Excellent et de plus, ce qui ne gâche rien, amusant.
Excellent!
De plus, ce n'est pas en France qu'on verrait les mêmes parlementaires voter à la fois pour et contre un traité européen (auquel ils déclarent être opposés) en fonction de l'hémicycle et de leur appartenance à la majorité. Le concept même de "loyauté à la majorité" est d'ailleurs appliqué de manière très particulière chez nous...
Je me permets un commentaire concernant les coquilles :
"C'est vrai en France ou le président de la république nomme un premier ministre, lequel composé son équipe avec les ministres de son choix et peut les démettre à sa guise." => "où" et "compose" et également, un espace en trop entre "république" et "nomme".
"on se rappèlera" => rappellera
(sauf s'il s'agit d'une nouvelle règle de conjugaison dont je n'ai pas eu connaissance)
Sinon, très juste.
@melisande: tout à fait d'accord avec vous. L'équilibre instable continuel de l'état belge supporte tout simplement que peu de critiques.
Le distillat ultime des flamingants et wallophobes, dont le saint graal est une république flamande, s'apprête à prendre les rênes de ce qui reste encore de cet état. Même cela n'a pas l'air de susciter des réactions.
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