01 février 2015

Trois leçons à tirer de l'affaire Vervoort

Nous venons de traverser une semaine qui marque probablement un tournant dans l'histoire du gouvernement Michel. Une semaine qui aura vu deux camps se radicaliser : d'un côté la majorité gouvernementale avec la NVA dans le rôle du parti moteur, et un MR qui semble enclin à lui emboîter le pas avec de moins en moins de réserves, de l'autre un PS qui se cherche et n'arrive plus à trouver le ton juste. Entre les deux un CD&V qui met en musique ses difficultés et ses états d'âme comme une manière de se démarquer et d'exister,  et le reste de l'opposition francophone qui peine à se rendre audible. Beaucoup de choses ont été écrites, mais il me semble qu'on peut aller un peu plus loin. Ce n'est pas parce qu'on est ému ou choqué qu'on doit se contenter d'une analyse à courte vue.
 
Reprenons la séquence. Tout part d'une interview de Rudi Vervoort à Martin Buxant pour l'Echo.
"La déchéance de nationalité cela a toujours  arme utilisée par les régimes extrêmes. Quand on voit Auschwitz, quand on voit que dans l'Allemagne hitlérienne, les premières lois qui ont été votées, ce sont les déchéances de nationalité pour les Juifs. Le contexte est différent, mais regardez, on reprend quand même ces vieilles recettes aujourd'hui."
Ou encore : "La déchéance de nationalité, c'est une recette qui a été utilisée par les Allemands pour considérer que les Juifs n'étaient pas des citoyens à part entière. Le régime de Vichy a fait la même chose: les lois d'exception de Vichy, c'était aussi la déchéance de nationalité des Juifs français à qui on retirait tous leurs biens. La déchéance de nationalité, ça a une histoire". 

Quand on développe deux fois la même idée cela ne relève pas de la distraction. Les propos sont plus que maladroits : ils sont choquants, parce qu'ils mettent sur un même pied des hommes et des femmes déchus de leur nationalité pour ce qu'ils étaient (les juifs des années 30) avec des hommes qui risquent de l'être pour ce qu'ils auront fait (les jihadistes reconnus coupables de crime). Derrière la charge excessive se cache une faute morale évidente. C'est aussi une erreur politique majeure, on y reviendra. Elle est surprenante car personne ne soupçonne Vervoort de racisme (ce qui le différencie d'un Franken par exemple).  C'est enfin une boulette de communication digne d'un débutant. Le moindre député sait qu'on ne compare pas la politique d'aujourd'hui avec le nazisme sous peine de s'exposer à une volée de bois vert (le fameux point Godwin), un ministre-président doit donc l'avoir intégré depuis longtemps. Surtout, se retrouvant face à Martin Buxant, journaliste expérimenté et dont le sens de l'accroche n'est plus à démontrer, le ministre-bruxellois aurait dû préparer son interview. Calibrer ses phrases, tester des formules, définir son discours. A lire l'article c'est tout l'inverse.

Si la référence au nazisme n'avait pas attiré le regards et les commentaires, nous aurions aussi pu débattre du reste de l'interview. Quand Rudi Vervoort énonce que la fédération Wallonie-Bruxelles est une "phase transitoire" vers l'autonomie des régions, cela n'a sûrement pas le caractère scandaleux d'une comparaison avec le nazisme, cela n'en reste pas moins une déclaration forte et novatrice, en rupture totale avec l'affirmation de la communauté comme lien intangible des francophones (discours  qui constituait le dogme absolu du tandem Di Rupo-Milquet sous la précédente législature). Petit à petit Vervoort tient des propos de plus en plus ouvertement régionalistes. Petit à petit il s'émancipe de la doctrine du boulevard de l'Empereur. C'est la première leçon, même si la boulette de communication va temporairement l'affaiblir : le ministre-président a la velléité de s'affirmer et d'incarner un discours pro-bruxellois. La dynamique qu'il réussira ou pas à créer avec des régionalistes wallons comme Jean-Claude Marcourt sera intéressante à observer. 

La deuxième leçon à retenir c'est le Mouvement Réformateur qui l'offre, avec une réaction virulente qui relance l'antagonisme bleu/rouge. C'est Didier Reynders qui, une fois encore, donne le ton, en évoquant des propos "indignes" dés le matin chez Bertrand Henne à la RTBF. La polémique est lancée. Le mot sera repris par tous les élus et militants MR. La déferlante est énorme, de la page Facebook des militants jusqu'à une déclaration du premier ministre Charles Michel. Là aussi tout le monde ne calibre pas sa communication avec le même professionnalisme. Lorsque Richard Miller rétorque dans le Soir que "dans national-socialisme il y a socialisme" il est exactement dans le même registre que Rudi Vervoort. C'est donc tout aussi indigne, tout aussi lourd, tout aussi scandaleux. Mais cela fera moins de bruit. Peu de journalistes le relèveront et personne au MR ne rectifiera. On doit bien parler d'indignation sélective et politiquement orientée. 

Cette semaine on assiste donc à la mise en place de ce clivage caricatural  : les pro-musulmans avec le PS, les pro-juifs avec le MR. Les accusations  d'antisémitisme et de communautarisme d'un côté contre un abandon (pour ne pas dire une stigmatisation)  des quartiers populaires et immigrés de l'autre. Puis-je écrire que c'est aussi puéril que dangereux ? Et que les hommes d'Etat des deux camps devraient  s'abstenir d'instrumentaliser des sentiments aussi bas ? Condamner tous les racismes est un examen de conscience qu'on devrait s'imposer en permanence. 

 On retiendra aussi et surtout de l'épisode que le MR assume une politique sécuritaire qui commence pourtant à gêner  le CD&V. C'est vrai pour la déchéance de la nationalité mais aussi pour la présence des militaires en rue. La NVA propose, le MR approuve, le CD&V renâcle. Laissons nous un peu de temps pour la confirmer mais posons cette hypothèse : en montant au pouvoir avec la NVA et en constatant les succès médiatiques et politiques de Bart De Wever le Mouvement Réformateur est en train de glisser vers la droite. Comme si les libéraux voulaient se "décomplexer" et qu'après avoir longtemps voulu gagner les élections au centre (le fameux libéralisme social) ils entendaient désormais faire pencher le balancier plus clairement et se distancier de toutes les autres formations francophones. L'état de choc de l'opinion après les attentats et le populisme ambiant dans la presse et sur les réseaux sociaux encouragent sans doute  une politique sécuritaire forte. Il est singulier de voir que c'est désormais le CD&V qui incarne la résistance aux risques de dérives en la matière. 

Si le CD&V fait entendre sa différence c'est parce que l'opposition s'est tue et c'est la troisième leçon de la semaine. Le debat sur la pertinence et l'efficacité du retrait de la nationalité mérite d'être défendu. Si le CD&V s'en saisit c'est bien parce que les interrogations posées dans le fameux interview polémique étaient légitimes mais exprimées de manière excessive. La forme a tué le fond.  La faute de Rudi Vervoort disqualifie son parti et est un revers politique majeur pour le PS, aux conséquences électorales imprévisibles. Parce que les libéraux ont tapé fort et instrumentalisé l'incident, on l'a vu. Mais aussi parce que cela tombe dans un moment où les pouvoirs en place sont légitimement confortés (les périodes d'incertitudes, parce qu'elles poussent au réflexe d'union nationale sont bonnes pour tous les gouvernements, ce qui est vrai pour Francois Hollande l'est aussi pour Charles Michel). Ici cet effet est décuplé par la boulette et son tohu bohu médiatique. Ce n'est pas tout. Cela ruine aussi le discours de respectabilité que tente d'incarner Elio Di Rupo." Nous  sommes le parti de gouvernement et de stabilité alors que les libéraux sont des aventuriers" : cette stratégie de communication n'est plus possible. 

Pire encore,  les libéraux obtiennent une belle revanche sur la séquence Jambon-Franken de la rentrée d'octobre. Dans le registre des comparaisons douteuses avec la seconde guerre mondiale c'est désormais 1-1. Et même si on notera que les  libéraux les plus culottés dans leur critique du ministre-président bruxellois étaient ceux qui étaient les plus cléments avec leurs alliés de la NVA, voici le PS privé d'un de ses meilleurs arguments. La NVA était infréquentable, mais après  l'affaire Vervoort, le soupçon s'est déplacé. Le silence d'Elio Di Rupo, éloquent, témoigne d'un président de parti tétanisé. 
  

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