Olivier Maroy : l’interview politique
Le débat mobilise et secoue ma profession, à juste titre. Un
journaliste politique qui rejoint les rangs d’un parti politique c’est un peu
une trahison. Comme si un pair quittait la confrérie pour rejoindre le camp d’en
face. Jean Quatremer a bien résumé la
situation dans un tweet, entre les journalistes politiques et les élus qu’ils
doivent suivre il y a bien un rapport comparable à celui qui unit policiers et
brigands, ou si vous préférez une image moins dure, l’ arbitre aux joueurs de
foot : on a besoin les uns des autres pour exister, on se connait bien, c’est
une obligation professionnelle, on se côtoie,
on se respecte, on s’admire parfois, mais au final l’un traque l’autre et veille
à signaler l’éventuel faux pas. L’élu est l’artisan de la démocratie et le
journaliste est son chien de garde.
Je ne connais pas Olivier Maroy, et je ne veux pas porter de
jugement sur un cas particulier. Mais je trouve que la polémique actuelle
a le mérite de poser quelques bonnes
questions. Bien sûr tout citoyen a le droit d’être candidat un jour, c’est le
principe d’une société démocratique. Avec un bémol que nous indique le
vocabulaire : on dit « entrer en politique » comme « entrer en religion » c’est
un choix qu’on ne fait pas à moitié, et qui repose sur une adhésion forte à un
système de valeurs … et qui n’est pas du
tout compatible avec la distance critique du journaliste.
Un journaliste politique, s’il travaille pour un média qui
se présente comme idéologiquement neutre, c’est le cas des
grands médias audiovisuels, doit se
tenir à équidistance de tous les partis, et s’il a bien ses propres
inclinaisons, il prendra soin de les garder pour lui et de traiter chacun de
manière équitable. C’est une gymnastique intellectuelle passionnante que de
laisser son opinion au placard et d’essayer de se mettre à la place des
auditeurs/téléspectateurs en veillant à respecter la palette des opinions de l’opinion.
C’est ce télescopage entre la nécessaire distance du
journaliste et l’adhésion à la doctrine du militant que Johanne Montay dénonce
à juste titre. Et plus encore que l’entrée d’un confrère en campagne, la
confusion des genres et le manque de rigueur morale de quelques journalistes
peu scrupuleux est un cancer plus pernicieux encore comme le fait remarquer
Bertrand Henne. Oui certains journalistes font passer pour
de l’esprit critique, une opposition (parfois un dénigrement) d’un ou
plusieurs partis qui est avant tout un choix partisan. Oui d’autres sont
enclins à être beaucoup moins critiques lorsque les initiatives viennent d’un
parti en particulier. Il y a donc des journalistes qui roulent pour des idées
ou qui ont une proximité (idéologique et/ou parfois amicale) avec certains dirigeants de partis au point d’en
oublier leur devoir d’équidistance, et c’est cela qui est une faute au regard
de ce que le public peut attendre du journaliste (et je précise bien explicitement que je n'accuse pas Olivier Maroy d'être dans ce cas).
Pour revenir au débat du moment je voudrais préciser deux
éléments qui éclairent bien ce qui est en jeu dans les rédactions. D’abord la
notion de suspicion. Quand un journaliste est mis en cause ce n’est pas
nécessairement parce qu’il a commis une faute mais simplement parce qu’on peut
le soupçonner d’avoir commis cette faute. A un certain niveau de professionnalisme
on est en droit d’exiger qu’un journaliste veille à ne pas se trouver dans une
situation où la suspicion devient permise. A titre personnel je n’accepterais
par exemple jamais d’animer un débat qui serait lié à une organisation qui a
une couleur politique. Non pas parce que cela me placerait en situation de
dépendance vis-à-vis de cet organisateur (contrairement aux idées reçues le
défraiement est souvent modeste) mais parce que cela suffit à ce que l’on
puisse se poser la question. C’est encore bien pire quand on parle de conseil
en communication ou de coaching : un journaliste devrait, à mon estime, s’en
tenir soigneusement éloigné.
Deuxième notion importante celle du calendrier. La question
du timing est en effet essentielle. Si l’on revient à notre point de départ, le
droit de tout citoyen à s’engager en politique, il faut noter que les personnalités médiatiques font souvent le choix de s’engager alors que la campagne est déjà bien lancée.
Le parti politique qui les recrute est
ainsi assuré de profiter pleinement de l’image de la personnalité en question
et du retentissement médiatique engendré par cette annonce. C’est le principe
de l’attrape-voix qui n’honore personne. C’est bien parce qu’un journaliste
reste en fonction jusqu’au dernier moment avant de se déclarer subitement que
la suspicion sur la qualité de son travail est permise. Si mes collègues faisaient
part de leur démarche 6 mois avant l’échéance et demandaient à leur
rédacteur-en-chef de les remplacer discrètement ils prouveraient à la fois leur
respect du métier et la sincérité de leur engagement politique. Le débat n’aurait plus lieu d’être.
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