29 juin 2014

Pourquoi Charles Michel doit tenter la coalition téméraire





C'est une question de vocabulaire.
En imposant le terme de "coalition kamikaze" pour désigner une alliance NVA-CD&V-OpenVLD-MR la presse n'aide pas les libéraux. Lancée par les journaux flamands, avant d'être reprise, comme souvent, par les commentateurs francophones, l'expression décrit bien ce qui ressemble à un raid aérien, aux pulsions guerrières plus ou moins assumées (éliminer les socialistes) mais suffisamment risquée pour que ses auteurs craignent d'y laisser leur peau. 

Sur le plateau de Télé Bruxelles le député bruxellois Boris Dillies, l'un des rares libéraux à s'exprimer ce weekend (l'émission a été enregistrée vendredi juste avant que son état major ne donne une consigne de silence aux troupes parlementaires, elle est au bas de ce billet) a d'ailleurs bien pris soin de récuser l'appellation. "Ne parlons pas de coalition kamikaze mais de coalition de l'audace" a-t-il plaidé dès que le sujet fut abordé. Audace, voici un terme diablement plus positif, qui selon ses partisans définirait bien ce qu'une coalition très ancrée à droite pourrait proposer : une rupture avec les gouvernements plus ou moins centristes des dernières décennies, un attelage inhabituel certes, mais qui aurait le mérite de la cohérence idéologique et qui pourrait se lancer dans des réformes spectaculaires et politiquement marquées. Sortir du compromis à la belge qui consiste à donner autant de la main droite que de la main gauche, assumer un cap, et un seul (plus libéral en l'occurrence) : voici ce que les audacieux kamikazes envisagent. A ce stade la question du vocabulaire n'est pas tranchée et les plus lettrés de mes lecteurs pourraient suggérer "coalition téméraire", qui est à mi-chemin entre l'audacieuse et la kamikaze. 

En devenant  informateur Charles Michel doit donc d'abord vérifier si cette coalition a une chance de décoller (on s'occupera du crash sur la cible ennemie plus tard). Non pas parce qu'il serait lui-même kamikaze, mais parce qu'il me semble que cette option est celle qui doit être étudiée à ce moment précis, et cela pour plusieurs raisons. 

D'abord c'est une question de séquence. La coalition de centre droit étant (au moins temporairement) exclue par le refus de Benoit Lutgen de s'assoir à la même table gouvernementale que Bart De Wever il faut trouver d'autres combinaisons. Je ne vous dresse pas toute la liste (tripartite classique ou papillon,  4G, miroir), il y a plusieurs possibilités. La logique politique du moment veut que l'on teste d'abord ce qui est possible avec la NVA, vainqueur des élections en Flandre. Et la logique politique du moment veut aussi qu'on laisse de côté quelques temps le CDH. Enfin, les propos particulièrement agressifs de Charles Michel vis à vis des socialistes  ne lui permettent pas d'être très crédible dans une autre recherche. Certes l'informateur aura à cœur de donner une image d'impartialité dans sa démarche (et renouer ainsi avec la tradition d'information qui explore plusieurs piste, la mission de conclure étant confié au seul formateur). Prendre de la hauteur, calmer le jeu, occuper les caméras quitte à cacher ce qui se passe dans l'arrière cuisine  : on n'est pas informateur, et fils d'informateur, pour rien. La première mission de Charles Michel est donc bien celle-ci.  Il faut vérifier cette possibilité avant de passer éventuellement à autre chose. Dans le cas contraire l'option kamikaze deviendra la coalition fantasme et elle risque de tout bloquer. La recherche d'une majorité fédérale  obéit à cette règle : ouvrir une porte puis la refermer et passer à la suivante. Quand on ouvre toutes les portes en même temps on ne pend guère de risque mais on n'avance pas. Vérifions la temeraire, donc, ça me semble pure logique. 

Ensuite c'est une question de personne. Il ne vous a pas échappé que Charles Michel a le coeur qui penche à droite. Plus nettement à droite que celui de son père qui avait tendu la main vers l'électorat de gauche en inventant le "libéralisme social" et en investissant les débats internationaux avec des prises de position progressistes qui pouvaient froisser les Etats-Unis (de quoi séduire les pulsions anti-amércanistes ou pro-pays émergents qui sommeillent chez de nombreux électeurs classés à gauche). En s'opposant jusqu'à l' excès au PS d'Elio Di Rupo et de Paul Magnette (dire du bien d'Elio Di Rupo est impossible, confiait -il à Pascal Vrebos il y a 2 semaines),  en se fâchant tout bleu sur le dos de Benoit Lutgen, en se profilant comme plus proche de l'Open VLD et du CD&V que de n'importe quel autre formation francophone, le président du MR s'est lui même placé (ses détracteurs diront "enfermé") dans une position ou la coalition de droite semble la seule en cohérence avec son discours. Charles Michel est donc au pied du mur : il a la possibilité de réaliser son programme avec une coalition en phase, il se doit donc d'essayer de  concrétiser dans les faits ses offensives verbales. On ne peut pas taper avec autant de force sur les socialistes pour aller les rechercher la semaine suivante. 

Question de personne encore : il est le mieux placé pour tenter de débloquer ce qui hypothèque la mise en place de la coalition kamikaze. Aujourd'hui l'Open VLD conditionne sa participation fédérale à une présence en Flandre. La NVA et le CD&V n'y sont pas favorable. Pour que la kamikaze décolle il faut donc un Yalta flamand. Pour permettre aux partis néerlandophones  de débloquer ce point il est logique de faire appel au seul francophone qui a intérêt à mettre cette alliance en route. Mettre les trois formations flamandes sur le même longueur d'onde sera probablement le plus délicat, Charles Michel devra user de diplomatie et je n'écris pas qu'il va nécessairement réussir. 

Enfin, cette coalition de droite est aussi une question de dynamique de parti. Ayant échoué dans leur conquête de Bruxelles (qui leur aurait permis de faire levier sur la Wallonie) les libéraux avaient besoin d'une stratégie de rechange. Voir Charles Michel avoir la main au fédéral est inespéré pour un parti qui accumulait déception et rancoeur ces dernières semaines. Si le président lui-même n'était semble-t-il pas convaincu de la pertinence de l'option "seul au fédéral", beaucoup de ses barons le poussent ouvertement dans cette direction. Au MR on piaffe d'impatience de se venger du PS et du CDH. Déjà il se dit qu'une majorité de "téméraires" existe au sein du bureau du MR. Les barons se frottent les mains en pensant aux 7 ministères à se partager. Un étage plus bas, les militants rêvent de réforme fiscale et de politique migratoire durcie. Une élection se gagne traditionnellement au centre. Pour la première fois depuis longtemps l'après élection pourrait se gagner par un coup de barre à droite.  

Ajoutons la situation personnelle de Charles Michel. Renvoyé dans l'opposition à tous les niveaux de pouvoir pour 5 ans le MR entrerait en ébullition. Vous avez sans doute comme moi noté le silence assourdissant de Didier Reynders depuis le 25 mai. Que le ministre des affaires étrangères boude à ce point les médias est inhabituel. Certes, en ne prenant pas la première place à Bruxelles, Didier Reynders est co-responsable de la situation du parti et ne parait pas en mesure de revendiquer la présidence à ce stade. Mais il ne faut pas sous-estimer le choc que pourrait représenter une coalition sans libéraux au sein du MR. Puisqu'il a la main Charles Michel doit donc tout faire pour l'éviter. Le président de parti est comme un cycliste  : personne dans son entourage ne lui reprochera que l'ascension soit difficile, tant qu'on a une chance d'arriver en haut du col. S'il met pied à terre, la situation sera très différente.


6 commentaires:

Christophe De Caevel a dit…

J'ajouterais ceci: comme Charles Michel a accepté de pactiser avec 'le diable' (la NVA), il doit aller au bout de sa logique. Le mal est de toute façon déjà fait dans l'opinion publique. Seule une réussite de sa mission lui permettrait éventuellement de démontrer qu'une alliance avec De Wever n'est pas un pacte avec le diable.

Guy Gamache a dit…

Mon analyse de simple citoyen est la suivante: Une coalition avec pour seul parti francophone le MR affaiblirait encore la position de l'ensemble des francophones dans ce pays. Comment imaginer que la NVA mette de côté son objectif, à savoir la fin du pays ? Je plaide donc pour la solution de raison, la reconduction de l'ancienne majorité dans l'intérêt d'une survie de notre modèle fédéral: une Belgique unie. Utopique ? Peut-être mais mon projet quand même

Nicolas a dit…

La NVA sans son programme communautaire n'a rien de plus diabolique qu'un autre parti politique. Ils n'ont peut-être pas les même idées que les vôtres, mais elles ne sont pas moins honorables que celle, par exemple, du PS. Y en a marre de toujours sous-entendre que les idées (dites) de droite seraient plus honteuses que celles (dites) de gauche. C'est d'ailleurs comme pour le terme "progressif" abusivement utilisé par le PS, alors que c'est probablement l'un des partis les plus conservateurs du paysage politique belge !

Quant à l'éventuel affaiblissement des francophones, c'est précisément une manière de penser typiquement confédérale.
Comme dans TOUTE coalition gouvernementale, il y a une grande différence entre le programme politique des partis qui forment la coalition et l'accord de gouvernement soumis au vote du parlement.
Si l'accord de gouvernement est purement socio-économique, je ne vois pas où si situerait le problème.

Philip Hermann a dit…

Reynders et Michel se rejoignent donc aujourd'hui de maniere attendue avec d'un cote une NVA qui a fait ce qui etait attendu d'elle et le PS qui a fait l'oppose de ce qu'on exigeait de lui. Par ailleurs, je ne crois pas qu'Elio ne pouvait pas faire autre chose non plus, vu le succes du PTB sur sa gauche, et son propre desaveu electoral alors que le president du PS etait pourtant Premier Ministre! Une radicalisation du PS etait inevitable et largement attendu et ce qui etait possible hier, ne l'est sans doute plus aujourd'hui: une coalition avec le MR.

A partir de ces differents points d'analyse, une conclusion s'impose: et c'est cette coalition "courageuse" du MR avec la Flandre. Pour moi, c'est aussi la seule qui permette d'esperer une pacification communautaire durable de notre pays. Pour moi le succes de la NVA repose plus sur un ras le bol en Flandres lie a l'impossibilite de jamais se passer du PS cote francophone que d'une volonte de se separer de leurs compatriotes francophones. Il est important de ne pas sous estimer l'impact en Flandres que Charleroi et les nombreux autres scandales qu'a connu le PS depuis 2006! Dans tous les pays du monde ou presque, aucun parti n'aurait pu survivre a cette vague d'affaires: meme la toute puissante DC italienne n'a pas survecu a Mani Pulite et dans de nombreux emergents de telles affaires auraient declenchees a juste titre des procedures d'impeachment. Le PS ne doit son salut dans la partie francophone, qu'au silence coupable des media, au soutien par les composantes syndicales voire mutuellistes au PS (par exemple lors de cette parodie de formation regionnale en 2009), ce qui rend particulierement grotesque les interventions du PS par rapport aux recentes interventions patronales, et aussi au trait d'union indissociable qui lie desormais (sans doute en raison de cette communaute d'interet evoquee dans le point precedent) le PS au cdH.

Mais merci pour votre analyse, qui tranche avec le ron ron habituel de la presse subsidiee! Cela fait du bien et donne envie de croire que tout n'est pas foutu en Belgique francophone.

Lucien, Frédéric, Léo & Pascale a dit…

Il me semble tout de même étonnant qu'on souligne très peu le fait qu'un tel gouvernement serait minoritaire du coté francophone. Bien entendu ce n'est pas une obligation constitutionnelle, et bien entendu le gouvernement précédent l'a fait du coté flamand. Cependant ce fut après un blocage d'une longueur historique et en dernier recours, parce que former un gouvernement avec la NVA s'avérait impossible. Je suis étonné qu'on semble considérer que ce précédent ouvre toutes les portes pour le reproduire, car cela semble tout de même impliquer un déficit de légitimité non négligeable.

Philip Hermann a dit…

Comme vous dites, cela a ete le cas sous le precedent gouvernement et cela ne pose pas de problemes majeurs tant que des majorites speciales ne sont pas necessaires, notamment dans les matieres institutionelles>>>et c'est justement cela qui doit absolument etre eviter par le prochain gouvernement. Plutot qu'une faiblesse, je vois plutot cela comme un avantage, une certitude tandis que d'autres configurations ouvrent la porte a de nouvelles reformes, notamment si le PS est implique (par exemple dans le cas d'une coalition miroir ou dans celui d'une coalition des plus grands partis)!

Quant a la legitimite, du moment qu'une majorite existe>>>pourquoi la contester avant meme qu'elle n'ait pris la moindre mesure! Pour rappel 67% de la population a vote pour un parti de centre ou de droite dans ce pays, moi je trouve cela pas mal comme legitimite. Meme si on retire le cdH (qui pour moi a bascule radicalement a gauche a l'occasion des formations regionales et par son refus de participer a un gouvernement federal de centre droit) et le FDF (plus difficilement classable), on reste a plus de 60% de l'electorat du pays. Ce qui ne serait pas legitime, ce serait d'ecarter le plus grand gagnant des elections cote flamand pour imposer a nouveau un gouvernement de gauche a la Flandre, qui aspire clairement a autre chose!