24 juillet 2014

Kamikazes suédois

C'est joli la Suède. Un pays où il fait bon vivre, une démocratie respectueuse des droits de l'homme, qui s'étend du Danemark au Cap Nord, où le respect de l'environnement n'est pas un concept creux, et qui affiche une relative bonne santé économique. Tout pour plaire. Ajoutons que depuis 2006 le pays est dirigé par une coalition de centre droit (elle associe les Moderterna, l'équivalent du parti libéral, aux démocrates chrétiens et au parti du centre, sous la houlette du premier ministre Fredrik Reinfeldt) ce qui encourage la comparaison avec notre scène politique intérieure.  On se gardera d'aller trop loin dans la métaphore. Mais la Suède c'est aussi un paysage politique façonné par des décennies de domination sociale-démocrate, une remise en cause de nombreux services publics (l'Etat providence n'a plus les moyens), et désormais un gouvernement devenu minoritaire en raison de la montée en puissance de l'extrême droite. C'est aussi un pays marqué par un protestantisme tout puissant, d'où une certaine rigueur morale, un contrôle social intense (frauder l'impôt n'y est pas socialement acceptable, votre voisin vous dénonce facilement en cas de manquement aux règles, ou vous regarde de travers si vous fumez en rue) et des interdits très présents (l'alcool est toujours interdit aux moins de 20 ans et  vendu exclusivement par des magasins d'état, je ne suis pas sur qu'on puisse importer ce modèle en Wallonie et à Bruxelles).

Depuis quelques jours l'expression "coalition suédoise" s'impose donc progressivement au détriment de l'expression " coalition kamikaze". Les militants du MR présents sur les réseaux sociaux ainsi que l'équipe de communication du parti n'y sont pas pour rien : pas un article reprenant l'expression "Kamikaze" sans que cela ne suscite une réaction. Cela s'appelle du lobbying, et les libéraux, qui aiment si souvent se décrire comme mal aimés des journalistes (il faudra un jour faire le relevé des plaintes ou autre "discussions viriles" vis à vis des journalistes qu'on ne trouve pas assez favorables aux thèses du parti ) prouvent ici qu'ils ont un pouvoir d'influence beaucoup moins anecdotique qu'ils ne le prétendent sur de nombreuses rédactions. 

Suédoise ou Kamikaze, la politique est devenue une bataille qui se joue avant tout sur le terrain de la communication. De ce point de vue la période qui s'ouvre devant nous est inédite et s'annonce agitée. Si les journalistes politiques ont déjà appris depuis longtemps à slalomer entre majorité et opposition pour maintenir leur indépendance, ils vont désormais devoir trouver le bon équilibre  entre des pouvoirs régionaux et fédéraux qui s'annoncent ouvertement concurrents. Qui couvre davantage les régions, qui donne la parole à l'opposition, le point de vue adopté dans les articles est-il celui des wallons, des bruxellois, des francophones ou de la Belgique ? Les cellules communications des partis (et parfois même leur présidence, qui de toutes façons est toujours très proche de ses communicants) ont depuis longtemps l'habitude de décortiquer et juger le travail de la presse, distribuant plus ou moins publiquement bons et mauvais points (une interview par ici, une exclu par là, le silence  pour un autre) ce qui témoigne d'un mal typiquement belge : l'obsession à vouloir étiquetter chaque titre et parfois chaque journaliste. Cette incapacité maladive à pouvoir admette l'indépendance de la presse témoigne d'une forme de mépris pour les journalistes et d'un fonctionnement  de citadelle assiégée qui me semble parfois proche de la paranoïa. Notre démocratie manque de maturité sur ce point précis. Je crains que cela n'aille pas en s'améliorant. 

Depuis quelques jours il y a donc les journalistes qui emploient l'expression "kamikaze" et ceux qui optent pour la "suédoise". Les premiers seraient considérés comme hostiles à la négociation en cours, les seconds l'appelleraient de leur vœu. C'est un raccourci réducteur mais on est pas sûrs  que certains élus ne fonctionnent pas ainsi. J'avais moi-même écrit (il y a un mois déjà) que  Kamikaze n'était pas un terme neutre. Il est donc logique qu'une autre appellation voit le jour. Mais ne soyons pas dupes. Quel que soit le terme retenu, la majorité qui se met en place sera marquée par trois caractéristiques indiscutables.

1. Une coalition à droite 
Depuis 1987 le PS était de tous les gouvernements. Ce sera donc bien un gouvernement de rupture, et on peut même écrire qu'il est, sur papier, plus à droite que la coalition Martens-Gol en raison de l'absence du CDH (PSC à l'époque) et de la présence de la NVA. On a beau prétendre que l'équipe a l'intention de gouverner au centre, cette configuration historique devrait encourager des réformes franches. On a trop souvent entendu les partis flamands prétendrent que les francophones en général et le PS  en particulier les empêchaient de mener la politique souhaitée pour ne pas leur souhaiter de faire leurs preuves maintenant qu'ils ont les mains libres. Les lecteurs de ce blog qui ont le cœur à droite s'en réjouiront, voyant dans cette coalition une juste revanche sur l'épisode régional, ceux qui penchent à gauche la redouteront. 

2. Une coalition flamande
C'est une évidence. Avec 20 députés francophones seulement en sa faveur la coalition, si elle voit le jour, sera néerlandophone. On aimerait être une petite souris pour se glisser aux futures réunions du conseil et du kern : on est pas certain d'y entendre souvent la langue de Molière. Et comme les 3 partis néerlandophones sont aussi présents en Flandre ils feront tout pour être cohérents, ce qui est logique. Les premières déclarations sur l'application de la circulaire Peeters (alors qu'une décision de justice vient de la condamner) sont particulièrement éclairantes. Pour un ministre flamand,  l'intérêt flamand prime toujours, y compris sur le droit : pas besoin d'une réforme de l'Etat quand on a les commandes en main. 

3. Une coalition avec une composante séparatiste
La NVA sera donc présente à tous les niveaux de pouvoir. Ce n'est pas anormal étant donné son score électoral. Je me permets malgré tout de vous renvoyer à ce que disaient Charles Michel (à mon micro, vidéo ici : http://www.rtl.be/videobelrtl/video/489153.aspx) et Didier Reynders le 29 avril : jamais avec la NVA, ce parti dangereux auquel on ne peut même pas faire confiance sur le plan socio-économique  (Vincent De Wolf utilisera même le mot "bruxellicide"). Croire que la NVA a changé de projet c'est faire preuve d'une certaine naïveté. Résister à son ambition autonomiste  ne sera pas qu'une affaire de communication. 

3 commentaires:

Philip Hermann a dit…

Petite anecdote face a l'evenement historique que nous sommes en train de vivre:

Je vis aujourd'hui a l'autre bout de la planete mais lors de ma premiere campagne electorale, je m'etais porte volontaire (il faut bien commencer par quelque chose) et on m'avait associe a un chauffeur ministeriel. Un brave gars a la probite irreprochable (si si il y en a et par son job, qui etait au courant de pas mal de secrets...ben oui, telephoner dans la voiture, c'est un peu le meilleur endroit).

Aujourd'hui il a repris contact avec moi pour m'annoncer a la fois qu'il etait mourant (une tres longue maladie) mais egalement sa joie d'avoir connu la delivrance d'un gouvernement sans socialiste avant de mourir!

Voila, nous sommes dans l'anecdote, et il n'y a pas de quoi en faire un titre de l'edition du matin. Mais pour certains militants, a l'oeuvre depuis plus de 26 ans, cette coalition "suedoise", liberee de la pieuvre socialiste>>> c'est simplement la concretisation d'un reve.

On dira ce qu'on veut de cette coalition et dans d'autres medias, on annonce plutot son echec avant meme sa mise sur pied mais chez d'autres ce sont des larmes de joie qui ont coule et ce ne sont pas tous des cadres a Range Rover des beaux quartiers d'Uccle, le MR est aussi un parti populaire, peuple de gens simples, travailleurs et qui meritent simplement le respect!

Baudouin P. a dit…

Cher Fabrice,
Excellente analyse…

Voilà ce que j'avais écrit le 7 juin 2007, 3 jours avant les élections comme édito dans "La Tribune de Buxelles". J'avais été convoqué le lendemain par l'éditeur responsable pour me faire "tirer les oreilles" mais je n'avais retiré aucune ligne de ce que j'avais écrit… L'indépendance, notre raison d'être ;-)

L'heure de l'alternance a sonné

Depuis que la Belgique est devenue un Etat fédéral, le PS est au pouvoir, à tous les niveaux, sans interruption. Cela fait aujourd’hui quasi 20 ans. Il est omniprésent dans toutes les strates de la société : du sommet à la base des administrations, dans l’enseignement, les intercommunales, le conseil d’administration des télévisions et des entreprises publiques, les asbl culturelles et sportives, les hôpitaux, les délégations à l’étranger, les logements sociaux… 

Dans la réalité quotidienne, il ne fait plus qu’un avec l’Etat. C’est une situation unique au monde parmi les Etats démocratiques. Il serait sain, pour notre pays comme pour le PS d’ailleurs, d’avoir une alternance. L’exemple de la cure d’opposition forcée des CVP-PSC, au pouvoir pendant 40 ans, et aujourd’hui réformés et revigorés, avait permis de faire entrer la société belge dans 
la modernité. Il montre à quel point l’alternance en politique est souhaitable parce que notre pays a grandement besoin de réformes. 
Ainsi, au-delà de la nécessaire union nationale et prise de conscience pour 
le climat, la réforme de notre système de chômage doit être la priorité des priorités. 
Il est tout à fait indécent de demander à tout jeune qui termine ses études de devoir s’inscrire au chômage pour un stage d’attente sans véritablement identifier quels sont ses points forts et faiblesses, sans aucun “coaching” professionnel et le cas échéant, sans lui proposer une formation complémentaire efficace. 
L’hypocrisie de l’allocation de chômage (entre 600 et 800 €), automatique et à durée indéterminée, sans contrepartie, est, à ce titre, consternante. Faire commencer 
un jeune dans la vie active par une allocation est le pire des signaux. 
De même, ce système est tout aussi inadapté à la situation d’un père de famille de deux enfants qui perd son travail. 
Cette situation est encore plus critique à Bruxelles et particulièrement parmi les jeunes d’origine étrangère, à qui il faut donner toutes les chances de bénéficier de l’ascenseur social par le travail. Or, le PS entretient cette forme d’assistanat et refuse de la voir évoluer. Les partis flamands, en ce compris le SP.A, en sont à ce point courroucés qu’ils cherchent prétexte à plus d’autonomie pour se débarrasser de ce mode de gestion alors que, dans les faits, une grande majorité des néerlandophones est profondément attachée à notre pays. 
Comme le proposent beaucoup de démocrates européens modernes, il faut redéfinir la notion de justice sociale pour que l’Etat Providence rénové privilégie l’éducation, le travail et la responsabilité, seuls capables de donner à tous les clés pour réussir et s’épanouir. 
La survie et le redéploiement du modèle “Belgique”, berceau de l’idéal européen et au carrefour des cultures, est à ce prix. 

B.P.

Philip Hermann a dit…

Petit bemol quand meme, le gouvernement federal reunira autant de ministres francophones que flamands, cela a son importance car la plupart des decisions sont d'abord prises par le Kern avant d'etre proposees au parlement. Et au Kern, c'est la parite linguistique qui est et restera la regle. Le MR aura plus de responsabilites que d'habitude mais ne sera pas moins francophone qu'auparavant.

Les separatistes de la NVA seront une des composantes de ce gouvernement mais le MR ne sera certainement pas le seul a defendre l'accord de gouvernement, qui ne comprendra pas de dossier institutionnels ou communautaires.

Sans prejuger de la suite, on a quand meme beaucoup de raisons de croire qu'il en sera bien ainsi:

1. l'abandon (temporaire) des revendications institutionnelles et communautaires de la NVA date de la campagne electorale et les electeurs de la NVA ont vote pour ce parti en sachant que cette legislature serait uniquement consacree a la mise en oeuvre de la sixieme reforme de l'etat et au socio-economique. C'etait une question posee par Kris Peters lors de son debat avec BDW sur VTM.
2. Le socio economique apres 26 ans de presence socialiste, cela fait un terrain de jeu assez important pour donner a tous l'occasion de s'illustrer et la volonte de reussir. Le travail ne manquera pas.
3. Enfin le MR peut retirer la prise de ce gouvernement quand il le souhaitera, il est profitable que si c'est pour des raisons "communautaires", ce sera la NVA qui endossera cette responsabilite et qui en paiera le prix electoral apres avoir ete "mouillee" par la prise de responsabilite>>>voila une menace qui ne devrait pas manquer d'etre prise au serieux!

Mais bien sur, ce n'est que mon avis...