23 novembre 2006

VW : la Belgique des emplois d'hier ?


Le drame social que représente la suppression de 4500 emplois à l’usine Volkswagen de Forest occupe légitiment la une de l’actualité. Comme toujours dans les cas de forte émotion les politiques, c’est leur rôle, tente d’apparaître en phase avec l’opinion. On ne compte plus les condamnations de la décision de la direction de VW, ni les appels à maintenir un minimum d’activité à Forest. C’est utile : la perspective de voir 10 000 travailleurs (sous traitants compris) perdre leur emploi vaut bien une mobilisation des gouvernements concernés et on se réjouit de voir pour une fois les élus flamands, wallons, bruxellois et fédéraux travailler dans la même intention. Dans ce cadre gouvernement fédéral et partenaires sociaux pourraient proposer dans les prochains jours à VW de nouvelles pistes pour accroître la flexibilité et diminuer le coût du travail. Ces revendications traditionnelles des entreprises reviennent à chaque grand round de négociation et son présentées comme le principal moyen de permettre à la Belgique de rester « compétitive ».
Saisissons ce débat pour tenter d’aller plus loin. Ce raisonnement sur le coût des salaires a en effet ses limites. Ainsi à VW le « salaire » en représente plus que 6% du coût de production d’une golf. Les économistes ont raison de souligner que dans la construction automobile la différence entre un travailleur belge et un travailleur allemand est finalement marginale (mais marginale n’est pas nulle, et il est d’autres secteurs où l’impact du salaire est considérable). Les débats politiques de ces derniers jours, comme les remarques postées sur ce blog (voir les commentaires des internautes sur le billet «VW : constat d’impuissance » publié ci dessous) n’attirent à mon sens pas suffisamment l’attention sur le caractère « industriel » des emplois perdus à VW. On peut en baisser le coût salarial à l’extrême. A moins d’imaginer que l’on puisse être demain moins payés et moins protégés en Belgique qu’en Chine en Inde ou au Brésil ces emplois sont, il faudrait avoir la lucidité de le reconnaître, des emplois forcément menacés. Les gains de productivité (l’automatisation) et la concurrence des pays émergents condamnent la part des emplois industriel -à devoir encore reculer. On peut hélas écrire dès aujourd’hui qu’il y aura d’autres « Forest » demain.
Le courage politique est aujourd’hui de dire que la création d’emplois passe par les PME innovantes, dans des secteurs à forte valeur ajoutée et non plus par les grands groupes industriels. Dans une Belgique dont l’histoire et les paysages sont marqués par l’essor de l’industrie au XIX siècle c’est sans doute un discours difficile à tenir.
Je voudrai inciter les lecteurs de ce blog à consulter sur ce sujet le très pertinent rapport du conseil central de l’économie, rendu dans le cadre des négociations interprofessionnelles (ce rapport sert de base à la discussion sur la norme salariale). Il est particulièrement inquiétant. On peut ainsi y lire que les salaires belges ont progressés de1,5% par rapport aux 3 pays voisins, mais aussi que la rentabilité des entreprises s’est améliorée (traduction : les salariés comme les actionnaires sont bien lotis en Belgique). Revers de la médaille : un sous investissement en matière de recherche et développement. Attardez vous sur la page 14 : « la maîtrise des coûts salariaux et les mesures prises pour réduire les cotisations patronales à la sécurité sociale (…) devront être accompagnées, dans le futur , d’un investissement accru dans la formation et la recherche (…) pour soutenir l’augmentation de la productivité et ainsi maintenir le potentiel de croissance de l’économie ».
Et les chiffres collectés par le conseil central sont cruels en la matière. Entre 2001 et 2003 les budgets des entreprises belges consacrés à la recherche et au développement reculaient au lieu d’augmenter. Si les choses se redressent en 2005 l’effort est insuffisant. Les pouvoirs publics ne font pas mieux que les entreprises.
Bref, une réelle politique de l’emploi, si elle ne peut pas ignorer un débat utile sur le coût du travail, devrait également se traduire par un engagement massif des entreprises dans la recherche et la formation. Cela n’en prend pas le chemin et notre tradition de concertation sociale n’incitera sans doute pas le(s) gouvernement(s) à imposer par la contrainte aux entreprises des investissements qui, s’ils sont salutaires pour notre avenir collectif, peuvent être perçus comme contraires aux intérêts immédiats des actionnaires. Il n’empêche : se focaliser sur le coût du travail sans se préoccuper de la recherche serait faire preuve de myopie. Se condamner à défendre les emplois d’hier sans chercher à créer ceux du siècle prochain.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis tout à fait d’accord. Il vaut mieux investir dans les emplois de l’avenir plutôt que de dépenser de l’argent pour éviter que les emplois du passé disparaissent trop vite. Le manque d’investissement dans la recherche et développement est un problème national aussi bien en Flandre qu’en Wallonie. La Flandre n’est aujourd’hui qu’un grand parc logistique et la Wallonie n’est qu’un grand parc de rien du tout.

Le problème, c’est que de plus en plus les politiciens comme les entreprises n’ont qu’une vision qu’à court terme. Investir en R&D affecte le profit immédiat des sociétés et investir dans la formation et la recherche ne rapporte rien aux politiciens à court terme : les jeunes ne votent pas et la recherche ne porte ses fruits que bien des années plus tard ce qui n’est pas intéressant en terme de voix.

Eva

Anonyme a dit…

On ne peut qu'abonder dans votre sens, Fabrice. Lueur d'espoir, peut-être: le 7e programme-cadre de recherche européen, une fois voté par les eurodéputés (le 30/11) puis avalisé par le Conseil des ministres (le 5/12), devrait voir son budget augmenter de 41% par rapport au précédent programme-cadre.
Les programmes-cadres européens fixent les grands axes de la recherche européenne pour 7 ans. En l'occurence pour la période 2007-2013. La Belgique en profitera évidemment, via notamment le financement de ses "centres d'excellence". Mais ce ne sera sans doute pas suffisant pour amorcer sereinement le virage post-industriel que nous vivons aujourd'hui.