C'est amusant ces éditos, ces tweets, ces interviews pugnaces et ces débats dominicaux qui s'enflamment. Sujet du jour : le rachat de l'Avenir par Tecteo nuit-il à la liberté de la presse ?
Et c'est vrai il y a des questions à poser. D'abord parce que lier un groupe de presse à une autre activité c'est prendre le risque que l'on ne soit pas très regardant sur ce que l'autre branche du groupe traficote. Il faut donc être vigilants. Mais affirmer que c'est une première est une vaste blague : TF1 est lié au groupe Bouygues, Canal Plus à Vivendi, le Figaro à Dassault. Récemment Lagardère (ex-Hachette) et EADS (ex-Matra) cohabitaient joyeusement. Cela peut parfois limiter le pouvoir d'investigation ou d'indignation mais cela ne fait pas des journalistes employés par ces grands groupes de simples publicistes, soyons sérieux. Dans notre modèle économique, les intérêts économiques se croisent et les influences s'entremelent. La seule garantie d'une information de qualité reste la diversité des titres et la concurrence. C'est la raison pour laquelle service public et société privé sont si complémentaires en audiovisuel.
Deuxième élément à surveiller la propension de Stéphane Moreau, directeur général de Tecteo, à vouloir contrôler la presse. L'homme n'aime pas la critique dit-on, il aime jouer du rapport de force et n'hésite pas à lancer des actions en justice contre des quotidiens qui écrivent des choses qui lui déplaisent. Cela mérite d'être dit. Soit. Mais laissons la justice et la presse faire leur boulot. Ce n'est pas parce qu'on dépose plainte qu'on obtient gain de cause. Et ce n'est pas parce qu'on est menacé qu'on arrête d'écrire, fort heureusement. Contrairement aux idées reçus les plus habiles censeurs ne sont pas les plus bruyants.
Pour éviter de dire ou d'écrire n'importe quoi sur cette affaire il importe de savoir deux ou trois petites choses qui n'ont pas réellement été expliquées à l'opinion publique. D'abord que Corelio était vendeur. Le groupe flamand investit dans une nouvelle stratégie en Flandre avec une grande concentration en court : la constitution d'un groupe "Het Mediahuis" où il met en commun ses titres papiers avec ceux de Concentra. Parallèlement Corelio doit aussi éponger les pertes de ses activités TV avec la chaîne Vier. En clair Corelio est passé d'une logique de diversification géographique (offrir à des annonceurs des médias francophones en complémentarité avec son offre flamande, raison invoquée lors du rachat de l'Avenir) à une stratégie de diversification des médias (on investit dans la télévision et l'internet et on syndique les contenus, stratégie actuelle).
Ensuite, si il y a un vendeur il ya forcément un acheteur. En l'occurrence il y en avait deux : Tecteo et Rossel. Je ne vous fait pas l'injure d'expliquer que Rossel est un groupe majeur de la presse francophone, concentrant près de la moitié du marché avec Le Soir et les éditions Sud Presse. L'avenir représente grosso-modo 30%. Si Rossel avait remporté la vente il représenterait aujourd'hui les 3/4 du marché... une situation que les défenseurs de la liberté de la presse ne pourraient assurément pas accepter.
Surtout, il aurait fallut beaucoup de candeur pour croire que Rossel allait conserver les titres de l'Avenir en parallèle à ceux de Sud-Presse. A terme la fusion, et donc la disparition de l'un des deux journaux était inévitable. Disons-le franchement : le rachat par Tecteo a sauvé l'Avenir d'une mort certaine. Et ça c'est une bonne nouvelle pour les journaliste de l'Avenir, pour ceux de Sud-Presse aussi, pour l'information au sens large et pour la démocratie.
Quels sont donc les enjeux du débat aujourd'hui ? Tout simplement de garantir l'indépendance d'une rédaction. Il faut faire confiance aux journaliste de l'Avenir pour qu'ils organisent les conditions de cette indépendance : une société de rédacteurs qui se prononce sur la nomination du rédacteur en chef, une politique éditoriale claire et publiquement défendue, la poursuite d'une stratégie volontariste, des investissements, la conscience de chacun... C'est ce qui fait la qualité d'un journal.
Le second enjeux se trouve au niveau des pouvoirs publics. Il est de leur responsabilité que le monde de la presse soit protégé d'un certain nombre de dérives. La presse est soumise aux lois du marché, soit, mais cela n'empêche pas de prévoir des gardes-fous (par exemple lier les aides à la presse au respect des recommandations du CDJ, organe qui émane du secteur, ne serait pas une sotte idée). C'est le boulot de la fédération Wallonie-Bruxelles.
Enfin, l'enjeu crucial réside dans la mise en place des outils d'information du futur. Le monde du papier va progressivement s'effacer derrière les tablettes et les écrans. Nous n'imaginons pas encore très bien comment nous consommerons de l'information demain, mais nous savons déjà que le modèle est fortement amené à évoluer. C'est ce qui conduit Tecteo à vouloir se rapprocher de grands groupes de presse (L'avenir aujourd'hui, IPM demain). Nous risquons d'avoir un marché francophone divisé en deux grands groupes Rossel/Tecteo à parts égales. Ajoutez deux grands opérateurs télé (RTL/RTBF) , car les métiers sont amenés à se rapprocher, c'est une simple question de technique, vous aboutissez à un match à 4. Est-il normal que l'un des opérateurs contrôle à la fois le contenant et le contenu, en d'autres termes les moyens de diffusion et les programmes ? De mon petit point de vue de journaliste, cela me semble une question bien plus centrale que tout ce que j'ai entendu depuis 48 heures.
Ensuite, si il y a un vendeur il ya forcément un acheteur. En l'occurrence il y en avait deux : Tecteo et Rossel. Je ne vous fait pas l'injure d'expliquer que Rossel est un groupe majeur de la presse francophone, concentrant près de la moitié du marché avec Le Soir et les éditions Sud Presse. L'avenir représente grosso-modo 30%. Si Rossel avait remporté la vente il représenterait aujourd'hui les 3/4 du marché... une situation que les défenseurs de la liberté de la presse ne pourraient assurément pas accepter.
Surtout, il aurait fallut beaucoup de candeur pour croire que Rossel allait conserver les titres de l'Avenir en parallèle à ceux de Sud-Presse. A terme la fusion, et donc la disparition de l'un des deux journaux était inévitable. Disons-le franchement : le rachat par Tecteo a sauvé l'Avenir d'une mort certaine. Et ça c'est une bonne nouvelle pour les journaliste de l'Avenir, pour ceux de Sud-Presse aussi, pour l'information au sens large et pour la démocratie.
Quels sont donc les enjeux du débat aujourd'hui ? Tout simplement de garantir l'indépendance d'une rédaction. Il faut faire confiance aux journaliste de l'Avenir pour qu'ils organisent les conditions de cette indépendance : une société de rédacteurs qui se prononce sur la nomination du rédacteur en chef, une politique éditoriale claire et publiquement défendue, la poursuite d'une stratégie volontariste, des investissements, la conscience de chacun... C'est ce qui fait la qualité d'un journal.
Le second enjeux se trouve au niveau des pouvoirs publics. Il est de leur responsabilité que le monde de la presse soit protégé d'un certain nombre de dérives. La presse est soumise aux lois du marché, soit, mais cela n'empêche pas de prévoir des gardes-fous (par exemple lier les aides à la presse au respect des recommandations du CDJ, organe qui émane du secteur, ne serait pas une sotte idée). C'est le boulot de la fédération Wallonie-Bruxelles.
Enfin, l'enjeu crucial réside dans la mise en place des outils d'information du futur. Le monde du papier va progressivement s'effacer derrière les tablettes et les écrans. Nous n'imaginons pas encore très bien comment nous consommerons de l'information demain, mais nous savons déjà que le modèle est fortement amené à évoluer. C'est ce qui conduit Tecteo à vouloir se rapprocher de grands groupes de presse (L'avenir aujourd'hui, IPM demain). Nous risquons d'avoir un marché francophone divisé en deux grands groupes Rossel/Tecteo à parts égales. Ajoutez deux grands opérateurs télé (RTL/RTBF) , car les métiers sont amenés à se rapprocher, c'est une simple question de technique, vous aboutissez à un match à 4. Est-il normal que l'un des opérateurs contrôle à la fois le contenant et le contenu, en d'autres termes les moyens de diffusion et les programmes ? De mon petit point de vue de journaliste, cela me semble une question bien plus centrale que tout ce que j'ai entendu depuis 48 heures.
6 commentaires:
Autant on peut comprendre le rachat de l'Avenir (entreprise de presse bénéficiaire) par Tecteo (avec l'aval dans le fond de tous les acteurs politiques de Tecteo (y compris CDH, Ecolo et même MR) au nom de la "dynamique économique liégeoise", autant le rachat d'IPM, entreprise aux sérieuses difficultés économiques, pose question.
Peut être est-ce pour cela que les choses traînent : vendeur et acheteur doivent s'entendre sur un prix... En l'occurrence quel montant pour combien d'actions ? Et participation minoritaire ou prise de contrôle ?
Il y a tout de même une première ici: qu'une intercommunale assez opaque de télécommunication cogérée par le PS, le MR et le CDH devienne propriétaire du 2ème plus gros tirage de la presse quotidienne francophone n'est pas banal. D'autant que le management de cette intercommunale est coutumier des pressions directes sur les journalistes (voir les 6 millions de dommages et intérêts réclamés en juin à Rossel et Joel Matriche). Quelle garantie d'indépendance éditoriale pour la rédaction de VA face au bureau exécutif politique de Tecteo? Quelle régulation du secteur face au seul opérateur propriétaire à la fois des moyens de diffusion et de la production de contenus (que dirait-on si la RTBF devenait un télédistributeur ou un fournisseur d'accès à internet?). Bref, tout ceci pose question. Je suis moins optimiste que Fabrice...
Très bonne analyse, comme d'habitude.
J'ajouterais, pour ce qui concerne la liberté et l'indépendance de la presse, que je ne me souviens pas avoir entendu autant d'inquiets se manifester pour les défendre quand le PRL était actionnaire de "La Dernière Heure"; quand l'Évêché de Namur contrôlait "L'Avenir" et le MOC "La Cité"; quand PSC, Palais et Église influençaient "La Libre Belgique"; quand le PC pilotait "Le Drapeau Rouge" et les sphères PS-FGTB "Le Peuple" et "La Wallonie". Ni même quand des porte-parole MR (entre autres) sont devenus rédac’chef, éditorialiste…
Le vrai problème de l’indépendance des médias, ce ne serait pas plutôt une régression assez généralisée de la qualité, de la rigueur, du fond, de la mémoire, de l'esprit critique, de recul émotionnel, du recoupement, de la déontologie, des effectifs, des moyens, des conditions de travail…? A voir le nombre toujours plus gigantesque de sujets, tous types de médias confondus, qui servent simplement la soupe à la communication de quelqu'un sans un minimum de travail journalistique, il est difficile de croire qu'il y a forcément toujours une influence obscure ourdie dans l'ombre, non?
Le plus inquiétant pour les médias, c'est que de ces atteintes-là à leur indépendance, très peu de politiques s'inquiètent avec autant de ferveur. Peut-être parce qu'elles les arrangent pour la plupart, non? En tout cas, si j'étais resté journaliste, cette question m'aurait également semblé assez centrale...
Qu'on n'oublie pas que la rédaction de L'Avenir a une certaine habitude à cohabiter avec des propriétaires "particuliers": jadis avec l’Évêché de Namur à l'époque où l'évêque du cru était Mgr Léonard, puis sous la coupe d'un groupe flamand. Et tout cela n'a pas empêché L'Avenir, bien au contraire, d'évoluer tant sur le fond, en renforçant au passage son indépendance, que sur la forme et sur différents canaux de diffusion. Bref, L'Avenir n'est heureusement plus ce qu'il était et, en reprenant des couleurs wallonnes, il ne sera, heureusement, pas demain ce qu'il est aujourd'hui.
Très bonne analyse. Je suis assez d'accord... jusqu'à nouvel ordre. Wait and see.
Et je souscris entièrement au commentaire de Pascal Sac.
Un lecteur de L'Avenir (par ailleurs journaliste).
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