15 décembre 2006

Ceci n'est pas un docu fiction


Dans une polémique comme celle qui nous occupe désormais le choix des mots a son importance. Depuis deux jours la RTBF, suivie par la plupart des journaux belges, utilise le terme de « docu-fiction » pour évoquer son « édition spéciale ». C’est un détournement sémantique. Un docu-fiction c’est l’utilisation d’acteurs pour reconstituer des faits réels. La prestigieuse BBC a donné ses lettres de noblesse à ce genre télévisuel. Ce n’est pas du tout ce qu’a fait la RTBF. Les personnes à l’antenne étaient des journalistes, connus et identifiés comme tels par les téléspectateurs. Les hommes politiques étaient de véritables hommes politiques. La soirée de mercredi n’appartient donc pas au genre « docu fiction » mais s’inscrit dans un registre, bien plus trouble de la manipulation de l’opinion.

On peut avoir plusieurs lectures de l’événement. Je comprends bien la position de plusieurs commentateurs qui sont intervenus sur ce blog, de la RTBF elle même, ou de certains confrères. Il s’agissait de créer un débat, de provoquer un choc. La démarche s’inscrirait dans la tradition d’Orson Welles. C’est voir la vraie fausse édition spéciale comme une création artistique. Un objet télévisuel non identifié qui a le mérite de remettre en cause les codes d’écritures journalistiques et de provoquer l’émotion. Très bien, mais cela n’est pas du journalisme. Adopter cette grille de lecture c’est méconnaitre l’impact de la télévision et abuser de la confiance de téléspectateurs, qui dans leur grande majorité ne possèdent pas les « clefs » permettant de déjouer une supercherie dont ils sont les victimes.

La seule lecture acceptable, à mon sens, est celle qui consiste à voir la télévision pour ce qu’elle est réellement (un média grand public extrêmement puissant dans la communication des émotions et qui obéit à des codes d’écriture) et le journalisme pour ce qu’il ne doit jamais cesser d’être (la recherche et la diffusion de la vérité). Sous ces deux prismes la RTBF est en faute : elle n’a pas maîtrisé la portée de l’émotion qu’elle provoquait sur base d’un fait factice, elle a instrumentalisé ses journalistes dans une démarche qui relève de la création vidéo et non pas de la diffusion d’informations.

Aujourd’hui la RTBF a perdu tout crédit au niveau international. C’est le prix à payer pour un « coup » pensé et mis en place pour faire l’événement, mais pas, contrairement à ce que la RTBF annonce, pour informer. Et je suis bien conscient que ces lignes vont irriter plus d'un lecteur de ce blog.
PS : de nombreux blogs parlent du phénomène. Je conseille ce billet de Philippe Leruth, ancien président de l'association des journalistes professionnels, et, à l'opposé, celui de François Schreuer, avec qui je ne suis cependant pas d'accord .

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous dites: "Aujourd’hui la RTBF a perdu tout crédit...".

Mais n'était-ce pas plutot avant que ce crédit était bien bancal?
Et cela, en lissant sans cesse le discours, en frottant toujours dans le sens du poil, sans déranger, sans jamais sortir de sa petite mission bien définie et en garantissant que chaque eurocent est bien utilisé pour le déontologiquement correct mais quasi-inutile.

Quel est le réel mal qu'a fait la RTBF dans cette émission pour que la critique de certains soit si acerbe?

Anonyme a dit…

"Flash spécial !

Nous interrompons nos éditions pour vous annoncer :

a) qu'un attentat a eu lieu ce soir dans le métro bruxellois !
b) la mort de George W Bush, tué sur le tarlac de Mesbroeck alors qu'il venait à un sommet de l'OTAN
c) une défaillance majeure à Tihange, où le réacteur nucléaire aurait pris le feu.

Tout de suite, retrouvons sur place XXX. Avez-vous plus de détails ?"

Le tout avec un présentateur vedette, dans le cadre de son JT. Avec des envoyés spéciaux familiers, prêts à tout vous dire du peu qu'ils savent, plans de coupe et images furtives à l'appui.

De deux choses l'une : soit c'est vrai, et ça s'appelle de l'info, soit ça ne l'est pas. Dans ce cas, ca s'appellera un gag, un mensonge, une manip, ou que sais-je encore, en fonction de l'intention réelle de ceux qui propageraient ces fausses infos.


Si pour lancer le débat sur des enjeux aussi essentiels que :
a) insécurité - terrorisme
b) pol étrangère amerlock
c) le nucléaire en Belgique
il fallait à chaque fois passer par une imposture cautionnée, mise en scène et interprétée par des journalistes, quelle serait encore la différence entre journaliste et acteur ???

A ce train là, je peux vous garantir que vous ne regarderez plus l'info à la télé. Un bon film américain fera l'affaire.

Que des membres de la rédaction de la RTBF aient sciemment mis leur meilleur outil de travail, dans toute sa splendeur, au service d'une fausse information, c'est contraire à tout ce en quoi je crois, et tout ce qui fonde l'essence même du journalisme.

L'info fiction tue l'information et discrédite injustement tous ceux qui mettent leur VIE (je déconne pas : y'en a plein qui crèvent sur des champs de bataille pour qui vous puissiez voir ce qui s'y est VRAIMENT passé !) au service d'une information correcte et sincère du public.

Mercredi soir, le métier de journaliste en a pris plein la tronche. Que le grand public aime ça, c'est son affaire. Que les journalistes cautionnent cela, c'est une HONTE pour le métier.

Anonyme a dit…

Viaduc dit: "De deux choses l'une : soit c'est vrai, et ça s'appelle de l'info, soit ça ne l'est pas".

N'est-ce pas un peu trop manichéen?
Avez-vous déjà entendu parler de mensonge par omission?
Une vérité n'en est plus une lorsqu'elle est partielle.
Donc je me méfie d'une déduction telle la vôtre...

Anonyme a dit…

@pijean :
On est disciple de Mani quand on bipolarise entre "bien" et "mal", noir et blanc, sans accepter les gammes intermédiaires.

Pour le reste, il me semble que dans ce qui précède, il est question d'évènements objectivables :
a) un attentat est commis ou ne l'est pas
b) on est soit mort, soit vivant, c) une chose brûle ou ne brûle pas;

Mais si vous rencontrez des attentats par omission, des morts-vivants ou des maisons qui brûlent sans brûler, faites signe... Ca fera au moins une info !

Anonyme a dit…

@Viaduc

L'info c'est plus subtil que seulement des faits.

Mon exemple favori est le suivant: dire que l'alcool et l'excès de vitesse au volant tue EST vrai. Mais c'est aussi un mensonge par omission, car la fatigue, l'énervement, la prise de médicaments, le manque d'expérience, etc., au volant tuent aussi.

Les exemples donnés (soit mort, soit vivant) ne sont pas représentatifs de tous les types d'infos.

Donc surexciter son sens critique est et reste primordial.

Anonyme a dit…

Dites-moi en quoi cette émission a relancé le débat? On ne parle que de "ils auraient du ou pas" !!"

Qu'ont dit les politiques "on ne joue pas avec le feu", le but est-il atteint, est-ce pédagogique, est ce que l'on a appris quelque chose de plus sur le séparatisme depuis deux jours à la RTBF (idem pour RTL)? Dans les quotidiens me direz-vous, oui regardez les chiffres de vente et vous me direz combien de Belges soi disant conscientisés ont mieux compris le débat...

La RTBF redresseur de tort, celle qui éveille les conscience??? on aura tout entendu... La RTBF en mal de "coup de pub" qui instrumentalise l'info me semble plus correct.

L'avenir de la Belgique est un débat fondamental, j'en conviens mais la fin ne justifie pas les moyens, n'en déplaise à certains.

Ceci dit Mr Grofilley, n'étiez-vous pas vous-même candidat à "la maison Kafka" il y a encore de cela quelques mois avant qu'un sms mal orienté ne crée la polémique? SI je suis pour ainsi dire d'accord avec votre indignation journalistique, je ne peux m'empêcher d'avoir un doute sur vos intentions.

Entre Le Soir qui justifie éditorialement une campagne de pub abjecte pour vendre plus, la RTBF qui joue avec le feu, Belga qui lance un concours "je veux être journalistes"... la profession a décidément du souci à se faire! Les téléspectateurs et lecteurs aussi, en conséquence!

Unknown a dit…

En ce qui concerne mes intentions, je vous invite à relire ce billet du mois de juin : http://ruedelaloi.blogspot.com/2006/06/libre-prcision.html.
Mes critiques ne visent pas la RTBF dans son ensemble mais bien l'émission de mercredi soir.

Anonyme a dit…

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le faux diffusé par la RTBF mercredi. La lecture du bouquin publié par un "merveilleux hasard" deux jours après l'émission confirme que les juristes de la chaîne publique avaient indiqué qu'en vertu de l'article 49 de son code déontologique propre, la distinction devait être clairement faite entre la fiction et la réalité. Les responsables de l'émission ont passé outre, ce qui était leur choix. Ce qui choque aujourd'hui, c'est le mépris avec lequel ils traitent les objections qui leur sont présentées. A croire qu'ils sont les détenteurs de "la" vérité journalistique?
Sur le fond, ont-ils prêché le faux pour dire le vrai? Je pense que tous les journalistes qui prennent la peine d'observer la vie publique en Flandre savent qu'il est extrêmement réducteur de faire croire qu'en 2007, le chaos est probable. Pour rappel, on disait la même chose à l'approche de 2002, à l'époque où la Flandre se préparait à célébrer le 700eme anniversaire des Eperons d'Or.
Dernière réflexion d'un trop long commentaire: il apparaît que la mention indiquant que le JT était fictif n'est apparue qu'après un coup de fil comminatoire de Fadila Laanan, la ministre de l'Audiovisuel. Voilà qui semble démontrer que la volonté était de prolonger la diffusion de cette fausse information. Et qui nuance les grandes déclarations de M. Philippot sur l'indépendance de sa chaîne...

Joe a dit…

quel pétard pour ce gag!
s'ils l'ont fait sur ce sujet, ce n'est pas pour rien et si les gens y ont cru, c'est que ce n'est pas si loin d'une réalité probable.
Quant à parler de mensonges,... tous les jours, des informations nous sont rapportées sans être recoupées, par manque de temps, ou parce que le journaliste s'est fait piéger par son interlocuteur.
Et que dire des "il semblerait que...", "nous vous appelons dès que nous avons plus d'infos", "le premier ministre aurait déclaré..." C'est ça, l'info déonthologique??

Unknown a dit…

Non , Joe. Contrairement à ce que vous pensez les infos d'un journal télévisé, quelque soit la chaîne, sont recoupées, et rarement données au condtionnel. C'est un métier exigeant et délicat, il arrive que l'on se trompe c'est vrai, mais la volonté est d'être de tous est d'être le plus exact possible.
Ce que vous dénoncez dans votre fin de commentaire est ature chose : la volonté de couvrir l'évenement en direct. Il est vrai qu'en "temps réel" les journaliste ne sont pas plus informés que les autres citoyens.